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ALPHABÉTIQUE

DES

QUESTIONS DE DROIT,

QUI SE PRÉSENTENT LE PLUS FRÉQUEMMENT DANS LES TRIBUNAUX.

OBLIGATION, §. IV.

OBLIGATION. §. I. Qu'entend-on par cause d'une Obligation? Nullité des Obligations sans cause ou fondées sur des causes illicites. Effets de cette nullité. Est-il nécessaire que la cause d'une Obligation soit exprimée dans le titre de l'Obligation même ? V. l'article Causes des obligations, §. 1.

S. II. Doit-on mettre au rang des Obligations fondées sur des causes illicites, les traités que des particuliers font entre eux, pour que l'un sollicite au profit de l'autre, ou s'abstienne de solliciter à son exclusion, une grâce du gouvernement? V. l'article Causes des obligations, §. 2.

S. III. La crainte d'une peine ou d'une contrainte légale, est-elle, lorsqu'elle a motivé une Obligation ou une quittance, une cause de restitution en entier contre cet acte?

V. les articles Crainte, §. 2, et Papiermonnaie, §. 3.

S. IV. 10 Peut-on, avant d'avoir prouvé par la voie civile, qu'il a existé un testament, une Obligation, une contre-lettre, une quittance ou tout autre titre, poursuivre par la voie criminelle, les auTOME XI.

teurs et les complices de la suppression que l'on prétend en avoir été faite?

2o Le peut-on notamment, lorsqu'on impute le délit de suppression à la per. sonne entre les mains de laquelle on soutient avoir mis en dépôt le titre supprimé?

V. l'article Suppression de titres.

S. V. Que signifient les mots Obligation personnelle, pris dans un sens actif? Peuvent-ils s'appliquer à un effet mobilier par sa nature ou réputé tel par la loi, dont on est propriétaire? Et en conséquence, celui qui donne ou légue ses Obligations personnelles, est-il censé, par cela seul, donner ou léguer les actions qu'il a dans des mines? Réciproquement, celui qui donne ou légue tous ses effets et droits mobiliers, est-il censé excepter les actions qu'il a dans des mines, par cela seul qu'il en excepte ses Obligations personnelles?

Voici une espèce dans laquelle ces questions ont été soumises à mon examen, et résolues à l'amiable, par les parties intéressées, d'après mon avis.

Par un contrat de mariage passé à Bruxelles, le 3 janvier 1795, entre les sieur et

I

dame T...., il était dit, art. 2, qu'en cas de prédécès du mari sans enfans, sa succession mobilière appartiendrait à la femme; et l'art. 3 exceptait de cette institution universelle les Obligations personnelles, lettres de change, marchandises et tous intérêts dans le commerce, qui pourraient se trouver au jour du décès du mari.

Le cas prévu par ces dispositions, est arrivé: le sieur T.... est mort le premier, en 1826, sans enfans; et il s'est trouvé dans la communauté un grand nombre d'actions qu'il avait acquises pendant le mariage, dans diverses mines de charbon du Hainaut.

Ces actions étaient elles comprises dans sa succession mobilière dévolue à sa veuve en vertu de l'art. 2 du contrat de mariage, ou en étaient-elles exceptées par l'art. 3 du même acte?

Consulté sur cette question, j'ai répondu que ces actions devaient appartenir sans difficulté à la dame T....

« D'une part (ai-je dit), il est constant que toutes ces actions étaient mobilières aux époques où M. T.... les a acquises.

» Cela est constant quant aux actions qu'il a acquises sous le Code civil, et sous la loi du 21 avril 1810, puisque tel est le caractère que leur attribue expressément l'art. 529 de l'un et l'art. 8 de l'autre.

» Cela est également hors de doute quant à celles qui ont été acquises avant le Code civil, et sous la loi du 12-28 juillet 1791.

» Car, sous cette loi, les concessions de mines ne pouvaient être faites que pour 50 ans au plus, et par conséquent elles ne pouvaient conférer aux concessionnaires que des droits mobiliers; c'est la conséquence des développemens dans lesquels je suis entré à l'article Mine, §. 1, no 3, de mon Recueil de Questions de droit.

» D'un autre côté, c'est un principe élémentaire que, dans les contrats, comme dans les lois et les testamens, les exceptions sont de droit étroit, et que jamais on ne peut les étendre au-delà du sens naturel des termes qui les établissent. Or, peut-on, sans forcer le sens de l'art. 3 du contrat du 3 janvier 1795, comprendre dans l'exception qui y est écrite, les actions que M. T.... avait acquises avant sa mort, dans diverses mines de charbon du Hainaut? Il est aisé de sentir que

non.

» Quels sont, en effet, parmi les objets compris dans cette exception, ceux sous la dénomination desquels on pourrait, avec tant soit peu d'apparence de fondement,

prétendre envelopper les actions dans les

mines?

» Seraient-ce les intérêts dans le commerce? Non certainement, puisqu'aux termés de l'art. 32 de la loi du 21 avril 1810, et d'après la jurisprudence de tous les temps que cet article n'a fait que consacrer, l'exploitation des mines n'est pas considérée comme un commerce et n'est pas sujette à patente.

>> Seraient-ce les marchandises? Non encore, et par la même raison.

» Seraient-ce les lettres de change? Pas davantage, et cela se sent de soi-même.

» Il faudrait donc que ce fussent les Obligations personnelles : mais le moyen de soutenir sérieusement une pareille assertion!

» Sans doute dans l'art. 3 du contrat du 3 janvier 1795, les mots Obligations personnelles ne sont pas pris dans un sens passif; sans doute, c'est dans un sens actif qu'ils y sont employés, ou en d'autres termes, ils n'y désignent pas des dettes mobilières pesant sur la succession de M. T...., et qu'elle devra acquitter: ils n'y désignent que des droits mobiliers qui augmenteront utilement la masse de cette succession, et dont l'exercice tournera à son profit.

>> Mais tous les droits mobiliers qui existent dans une succession, qui en augmentent utilement la masse, et dont l'exercice doit tourner à son profit, sont-ils des Obligations personnelles? Non assurément. Toute Obligation personnelle, en prenant ce mot dans un sens actif, ou, ce qui est la même chose, toute dette active, toute créance, est bien un droit mobilier; mais tout droit mobilier n'est pas une Obligation personnelle.

» Qu'un droit mobilier constitue une Obligation personnelle, lorsqu'il n'est que ce que les jurisconsultes romains appellent communément un jus ad rem, lorsqu'il se réduit à rendre la personne à qui il appartient, créancière de la personne qui en est grevée, rien n'est plus vrai; mais, qu'il en ait le caractère, lorsqu'il forme un jus in re, lorsqu'il rend la personne à qui il appartient, propriétaire de la chose qu'il a pour objet, à moins que cette chose ne soit elle-même une dette active, une créance, cela est de toute impossibilité; et c'est ce qu'une observation extrêmement simple va nous faire toucher au doigt et à l'œil.

>> On acquiert le jus in re, ou en vertu de la loi, ou en vertu d'un testament, ou en vertu d'une convention.

» Lorsqu'on l'acquiert en vertu de la loi,

on en est saisi à l'instant même où arrive l'événement duquel la loi le fait découler, et par conséquent sans qu'il ait été précédé du jus ad rem, sans qu'il y ait eû préalablement Obligation personnelle.

» C'est la même chose lorsqu'on l'acquiert en vertu d'un testament; ou du moins, si, dans ce cas, on n'en est pas toujours saisi à l'instant même où le testateur a rendu le dernier soupir, si, dans ce cas, on est quelquefois assujéti à la formalité d'une demande en délivrance, on l'acquiert toujours sans qu'il ait été précédé d'une Obligation personnelle passive de la part du testateur, sans qu'on ait eu préalablement contre le testateur une Obligation personnelle active, sans qu'il y ait préalablement contre le testateur aucune ombre de jus ad rem.

» A la vérité, lorsqu'on l'acquiert en vertu d'une convention, il a été précédé d'une Obligation personnelle; à la vérité, il est alors, à l'Obligation personnelle, ce que l'effet est à la cause; mais une fois qu'il est acquis, l'Obligation personnelle ne subsiste plus qu'en tant qu'elle a pour objet d'en garantir la possession paisible et perpetuelle ; elle cesse d'exister en tant qu'elle a pour objet de la conférer et la raison en est simple: c'est qu'en la conférant, l'obligé acquitte son engagement; c'est qu'acquitter un engagement quelconque, c'est payer (solutionis verbo satisfactionem quoque omnem accipiendam placet ; solvere dicimus eum, qui fecit quod facere promisit, dit la loi 176, D. de verborum significatione); c'est, qu'aux termes de l'art. 1234 du Code civil, toute Obligation s'éteint par le paiement.

» Il n'est donc aucun cas où le jus ad rem, ou, ce qui est la même chose, l'obligation personnelle, considérée activement, et le jus in re, ou ce qui est la même chose, la qualité de propriétaire, puissent co-exister; et dès-là il est clair comme le jour que la dénomination d'Obligation personnelle ne peut jamais convenir à un droit réel, à un droit de propriété, à moins, comme on l'a déjà dit, que la chose, qui est l'objet du droit reel, du droit de propriété, ne soit elle-même, non un droit réel, non un droit de propriété, mais une simple créance, une simple dette

active.

» Encore est-il à remarquer que, dans ce cas, il n'y a pas co-existence du droit réel, du droit de propriété, avec l'Obligation personnelle en vertu de laquelle il a été acquis, puisque cette Obligation a été éteinte par la translation que le vendeur a faite du droit même à l'acquéreur, et que le droit ne prend

alors la dénomination d'Obligation personnelle, entendue dans le sens actif, que par relation à l'Obligation personnelle active qui en est l'objet, que par sa confusion et sa parfaite identification avec elle. Ainsi, par la vente que vous me faites d'une créance de dix mille francs que vous avez sur Pierre, il se forme pour vous une Obligation personnelle passive de me remettre les titres de cette créance, et pour moi une Obligation personnelle active à l'effet d'en exiger la remise; mais une fois que vous m'avez remis vos titres, votre Obligation personnelle passive est éteinte, et mon Obligation personnelle active, c'est-à-dire, le droit que j'avais d'exiger la remise de vos titres, l'est aussi, et mon jus ad rem se convertit en jus in re. Mais comme l'objet que vous m'avez vendu, comme l'objet sur lequel notre convention m'avait conféré le jus ad rem, n'est pas une chose corporelle, comme il n'est qu'une simple créance, c'est aussi dans une simple créance que consiste mon jus in re; c'est aussi à une simple créance que se réduit mon droit de propriété.

» Ces notions posées, il devient d'abord évident les actions dans les mines du que Hainaut qui se trouvent dans la succession de M. T..., ne peuvent pas être qualifiées d'Obligations personnelles actives, par relation aux contrats par lesquels M. T... en a fait l'acquisition, puisque, du moment qu'elles ont été délivrées à M. T..., en exécution de ces contrats, les Obligations personnelles actives qui étaient résultées de ces contrats en faveur de M. T..., se sont trouvées éteintes, et que, dès-lors, le jus in re a pris, dans la personne de M. T... la place du jus ad

rem.

» Il ne reste donc plus qu'à nous fixer sur l'objet de ces actions, qu'à savoir si ces actions ne sont que de simples créances, ou droits de propriété. si ce sont des droits véritablement réels, des

» Qu'est-ce qu'une action dans une société quelconque? C'est, comme l'enseignent tous les lexicographes, Voët et le chancelier d'Aguesseau, une part dans la propriété de tout ee qui compose le fonds social; et c'est sur ce fondement qu'un arrêt de la cour de cassation, du 1er ventôse an 10, a jugé que le cessionnaire d'une action dans une société

industrielle, était devenu de plein droit co-propriétaire des fonds sociaux (1).

(1) V. l'article Action, Actionnaire, §. 1, no 1. .

» Qu'on ne dise pas qu'il a été dérogé à ce principe, pour le cas où le fonds social consiste en immeubles, par l'art. 529 du Code civil, qui porte que les actions ou intérêts dans les compagnies de finance, de commerce ou d'industrie, sont réputés meubles à l'égard de chaque associé seulement, tant que dure la société, encore que des immeubles dépendans de cette entreprise, appartiennent à ces compagnies.

»De ce que l'action dans une société, dont le fonds social consiste en immeubles, est fictivement mobilisée à l'égard de celui qui en est porteur, il ne résulte nullement qu'elle ne soit pas dans les mains de celui qui en est porteur, le signe représentatif d'une part dans le fonds social; il en résulte seulement que, tant dure la société, chaque actionnaire n'est propriétaire que d'une part mobilisée dans la valeur des immeubles dépendans de ce fonds, et que ce n'est qu'au moment où la société se dissoud, que cette part reprend sa nature immobilière.

que

» L'art. 529 du Code civil s'oppose donc bien à ce que, pendant la société, chaque actionnaire soit considéré comme propriétaire de l'immeuble social; mais il n'empêche pas que, même alors, chaque actionnaire ne soit propriétaire de sa portion dans la valeur de ces immeubles (1).

» D'après ces données, rien de plus facile que de résoudre la question de savoir si c'est comme Obligations personnelles actives, comme simples créances, ou comme droits réels, comme propriétés véritables, que l'on doit considérer les actions d'une société. On sent, en effet, que cela dépend de l'objet de la société même.

» L'objet de la société est-il d'acquérir et de faire valoir en commun des créances, soit sur l'État, soit sur des particuliers? Il est clair que chaque action ne représente qu'une part dans les créances dont se compose le fonds social, et que par conséquent elle ne constitue elle-même qu'une portion de ces créances, qu'elle n'est elle-même qu'une Obligation personnelle active.

» Mais l'objet de la societé est-il d'exploiter en commun, soit une propriété totalement ou presque totalement mobilière, telle qu'était la manufacture d'armes dont il s'agissait dans l'espèce de l'arrêt de la cour de cassation, du fer ventose an 10, soit une propriété totalement ou presque totalement immobi

(1) V. l'article Action, Actionnaire, S. I, no 2.

lière, telle qu'une mine, tel qu'un canal de navigation? Alors il est également clair que chaque action représente une part dans cette propriété ; que cette part, quoique mobilisée fictivement pour le temps de la durée de la société, n'en a pas moins une existence matérielle; que par conséquent elle constitue elle-même une part dans la propriété sociale; et que par une conséquence ultérieure, il est impossible qu'elle forme une simple créance. >> Vainement, pour établir le contraire relativement aux actions dans les mines du Hainaut qui se trouvent dans la succession de M. T..., vient-on dire que chacune des sociétés dont elles font partie, s'est obligée à payer à chaque associé sa part proportionnée à son action dans les bénéfices, et qu'il n'en faut pas davantage pour que ces actions forment des Obligations personnelles : il n'y a là qu'une confusion de mots et d'idées facile à éclaircir.

au

>> Si trois propriétaires de cent arpens chacun de biens ruraux s'associaient pour les exploiter à frais et profits communs, pourraiton qualifier de simple Obligation personnelle, de simple créance, le droit de chacun d'eux à sa part dans les bénéfices de l'exploitation? Non assurément, et pourquoi? Parceque le droit de chacun d'eux à sa part dans les bénéfices de l'exploitation commune, rait pour cause directe et immédiate, sa qualité de propriétaire partiel des fonds exploités en commun. Il est vrai que, si ses associés s'appropriaient cette part, il aurait, en vertu du contrat de société, une action personnelle pour se la faire délivrer; mais conclure de là que tant que la société dure, la part pour laquelle il y est intéressé, ne forme pour lui qu'une Obligation personnelle, qu'une créance, ce serait une conséquence aussi absurde que, si, de ce que j'ai, contre le régisseur préd'un domaine qui m'appartient, une action posé par moi à la perception des fermages personnelle pour lui faire rendre compte de

sa recette, et en verser le montant dans mes pas propriétaire de mon domaine, et que je mains, on prétendait conclure que je ne suis ne suis que le créancier de mon régisseur.

>> Eh bien! C'est ici la même et absolument la même chose. Cent particuliers concessionnaires d'une mine de charbon, ou subrogés aux droits des concessionnaires primitifs, se sont associés pour la faire valoir en commun. Qu'ont-ils fait par là? Sans doute ils se sont obligés, les uns envers les autres, à partager les bénéfices de l'exploitation qu'ils ont entreprise; mais très-certainement ils n'ont pas pour cela converti leurs droits de propriété

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