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La ville de Bordeaux fit éclater la première, dès le 12 mars 1814, les sentimens que tout Français ne cesse d'avoir au fond de son cœur, quand il ne peut les manifester en public. Sachant que S. A. R. monseigneur le duc d'Angoulême était arrivée à l'armée de Mylord duc de Wellington, elle envoya à ce Prince une députation solennelle, pour le prier de se rendre dans leur ville où tous les cœurs l'appelaient.

Le duc de Wellington précéda de quelques heures Son Altesse Royale, accompagné des généraux des Puissances alliées, et fut reçu aux acclamations du peuple comme dans une ville alliée et soumise à Louis XVIII; la cocarde blanche fut aussitôt arborée, et le drapeau blanc sur le clocher de la principale église.

Les transports d'allégresse redoublerent lorsqu'on vit paraître S. A. R. Mgr. le duc d'Angoulême, entouré des magistrats et de la brillante jeunesse de la ville. Le Prince se rendit à la Cathédrale; il y fut reçu par M. l'Archevêque, et l'on chanta le Te Deum en actions de grâces d'un si heureux événement. La sainteté du lieu ne pût retenir les acclamations, et les cris de vive le Roi! interrompirent l'auguste cérémonie. A la sortie de l'église le peuple s'é

cria: Vivent les Bourbons! Honneur aux Anglais!

La capitale de la France ne désirait pas avec moins d'ardeur le retour des Bourbons et la présence de son Roi. Quelques mois avant que ses vœux eussent été comblés, Buonaparte n'ayant point desoldats pour servir l'artillerie de Paris, on imagina de transformer en canonniers les élèves de l'Ecole de Droit et de celle de Médecine; mais les élèves de ces deux écoles ne se souciant pas de risquer leur vie pour un prince dont ils connaissaient la conduite et les sentimens, prirent le parti de couvrir de ridicule la harangue de l'orateur qu'on leur avait envoyé. Quelque temps après un membre distingué du gouvernement rencontra M. Percy, savant professeur en médecine, et lui témoigna son étonnement de cet acte de résistance : « Que voulezvous? répondit le docteur, nos élèves aiment mieux guérir des plaies que d'en faire. »>

Malgré l'excès de son orgueil, Buonaparte ne put se dissimuler que le temps de ses prospérités était passé, et qu'il lui fallait descendre du trône qu'il avait usurpé. La valeur de ses soldats ne pouvait résister à toutes les forces réunies de l'Allemagne, de la Prusse, de l'Autriche, de la Russie, etc., commandées par les.

pius habiles généraux, et par les Souverains en personne. Il alla cacher sa défaite et les trans

ports

de sa fureur à Fontainebleau, et chercher dans les ruses de son esprit pervers, s'il n'y aurait pas encore moyen de rattacher la fortune et la gloire sanglante à son char.Mais tous ses efforts furentinutiles; il se vit contraint à descendre du haut de sa grandeur suprême, et à n'être plus qu'un simple particulier: son unique consolation était de se dire à lui-même et d'avouer à ses plus intimes confidens, qu'il saurait bien se jouer de la bonne foi des princes alliés, et qu'il ferait naître un jour l'occasion de se venger avec éclat.

Il n'avait pas dessein de l'attendre long-tenips, du moins s'il était vrai qu'il eût formé le plus horrible projet, comme le bruit s'en répandit dans Paris, ce qui n'aurait que trop confirmé son propos: « Si je péris, on verra ce que coûte l'agonie d'un grand homme ». Quoi qu'il en soit, on prétendit que Buonaparte chargea le 30 mars un de ses affidés de porter au Ministre de la guerre, l'ordre de faire sauter le magasin à poudre de la plaine de Grenelle. Le Ministre de la guerre fit passer, dit-on, ces ordres à M. Maillard de Lescourt, major d'artillerie, chargé de la direction du magasin ; celuici était alors occupé à l'Ecole militaire à distribuer les munitions. Effrayé d'une mesure aussi

épouvantable, il pâlit, et garda le silence. L'Officier porteur de l'ordre, remarquant le changement qui s'était opéré sur le visage du major, lui dit : « Quoi! Monsieur, hésiteriez-vous à obéir sur-le-champ? Non, lui répondit

c

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M. de Lescourt, je vais remplir les intentions de ceux qui vous envoient ». Alors le porteur de l'ordre, qui était un colonel à cheval, se hâta de disparaître. M. de Lescourt continua de se livrer à ses fonctions, et n'eût garde d'exécuter l'ordre affreux qu'il venait de recevoir. Ce magasin contenait 240 milliers de poudre en grains, 5 millions de cartouches d'infanterie, 25 mille gargousses à boulet, 3 mille obus chargés, et une grande quantité d'artifices. Lors de l'explosion de ce magasin en 1794, il n'y avait que 8 milliers de poudre. Ainsi qu'on se forme une idée des épouvantables désastres qui seraient résultés de l'explosion d'un magasin cent fois plus considérable. La plus grande partie de la capitale aurait été anéantie de fond en comble. C'était donc là ce dernier coup dont on nous menaçait depuis quelque temps, et qui devait effrayer les générations présentes et futures (1).

Certainement, toutes les personnes instruites

(1) Voyez aux Pièces justificatives, la lettre de M. de

Lescourt.

de ce trait d'une férocité abominable et de mille autres, qui malheureusement ont eu leur effet, ne pourront que maudire la mémoire de Buonaparte, loin de conserver pour lui le moindre attachement. On a dû voir avec la dernière surprise les ménagemens que les puissances alliées daignèrent avoir pour un tel souverain, pour un audacieux usurpateur. Ils voulurent bien consentir à lui accorder l'île d'Elbe, sur les côtes de la Toscane, à trois lieues de l'Italie, avec un revenu annuel de six millions. La prudence, ou plutôt une sage politique, ne devait-elle pas prescrire un autre séjour à un homme aussi dangereux? Fallait-il encore lui permettre d'amener avec lui des généraux, un détachement de sa vieille garde? Un exilé n'a point ordinairement un cortége si fastueux? La cause de tant d'égards imprudens provenait sans doute de ce que Buonaparte avait l'honneur d'être gendre de l'Empereur d'Autriche. Mais on n'aurait dû ne considérer en lui que le fléau de l'humanité.

Sa famille se ressentit aussi de la bienveillance étonnante des Princes alliés. L'article VI du traité fait avec Buonaparte renferme les stipulations suivantes : « Il sera réservé sur les pays auxquels l'Empereur Napoléon renonce, pour lui et sa famille, un revenu net en domaines ou

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