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arrachai le serment à nos ennemis, et je fis céder ainsi l'intérêt de ma patrie au sentiment mal éteint d'une ancienne amitié. Voilà le seul tort que ma conscience me reproche. La France a reconnu dans Louis son roi, son père, son sauveur; c'est Louis qui a sauvé la France des suites ordinaires d'un envahissement. La conquête donnait aux puissances le droit de se partager un pays qui depuis vingt ans leur arrachait toutes leurs richesses, toute leur puissance. Le nom de Louis les a appaisées; à ce nom sacré, elles ont déposé leurs armes. Ainsi Louis, absent, sans armes, sans soldats, revêtu de cette seule force que donnent la vertu et l'ascendant d'un pouvoir légitime, a reconquis, sur l'Europe en armes, la paix la plus extraordinaire dont jamais l'histoire ait gardé la mémoire.

Je me suis voué sans réserve à la défense de mon véritable souverain; je l'ai honoré dans la prospérité, je lui serai fidèle dans son infortune; et dussent ses revers être aussi durables que je les crois passagers, ma vie s'éteindra à ses côtés; heureux de voir couler, pour sa conservation, la dernière goutte de mon sang! Voilà, Monsieur, mes sentimens et ma justification. Vous savez si le règne du Roi a pu en affaiblir l'essor: ce règne, si merveilleux dans sa brièveté ; ce règne, le sujet de notre admiration, de notre amour, de nos larmes; ce règne, l'éternel objet de la méditation des princes, le désespoir du tyran, ira déposer dans la postérité, en faveur de ceux qui contribueront au retour des Bourbons, et contre les coupables partisans de l'usurpateur. Je vous le dirai, Monsieur, avec toute la franchise qui fait le fonds de mon caractère, je n'ai recherché et je n'attends l'approbation ni de Buona

parte, ni de vous, ni des hommes qui vous ressemblent. J'ai été étonné, je l'avoue, d'entendre le compagnon d'enfance du duc d'Enghien me reprocher d'avoir abandonné Buonaparte pour un Bourbon. J'excuse ceux qui ont admiré ce héros sanguinaire, jusqu'au règne de Louis XVIII; mais je crois prévenir le jugement de l'histoire, en vouant au mépris et à l'exécration quiconque a quitté le Roi pour s'attacher à Buonaparte.

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Je vous déclare, Monsieur, que les lâches ennemis de la patrie sont, à mes yeux, indignes de pardon et de pitié. Je pense que la nation doit, pour éviter un reproche éternel, les repousser pour toujours hors de son sein. Vous voyez, Monsieur, par la franche énonciation de mes principes, si Buonaparte peut encore songer à me séduire. Dites à l'assassin du duc d'Enghien et de Pichegru, dites au perturbateur de l'Europe, dites à celui qui plonge la France dans le sang et dans les larmes, dites au violateur du droit des gens et de tous les traités, dites au plus parjure, au plus perfide, au plus coupable des mortels, que le serment que j'ai prêté à mon Roi sera, dans peu de jours, scellé du sang des traîtres; qu'il n'y a plus rien de commun entre moi et le persécuteur de ma patrie; que mon bras va bientôt conduire l'étendard du lis jusque dans la capitale; que ma vie est désormais consacrée à rallier autour du drapeau blanc, les sujets fidèles et les sujets égarés. Annoncez-lui, de la part de l'Europe entière, que le sang versé par les assassins, va retomber sur leurs têtes, et que le jour de la vengeance approche. Signé, MARMONT.

Manifeste du Roi d'Espagne.

Madrid, 2 mai 1815.

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LE ROI.

Louis XVI, l'un des meilleurs Rois qu'ait eus la France, fut la victime qu'une cabale de cruels régicides sacrifia à son ambition, en jetant l'épouvante et la terreur dans le monde entier, et en plongeant la France dans la plus vive douleur lorsqu'elle vit s'éteindre le chef de l'ancienne dynastie des souverains de la maison des Bourbons; de ces souverains que l'histoire nous présente sous les surnoms de Pieux, de Bien-Aimés, de Pères du peuple; de ces souverains qui, en servant Dieu et le faisant servir, maintenaient dans leur royaume la justice, la paix et la tranquillité, qui font la prospérité des Etats, et sont le but des efforts de tout gouvernement; de ces souverains qui se reconnaissaient responsables envers leurs peuples de leur temps, de leurs veilles et de leur amour; de ces souverains enfin qui, appuyant leur gloire sur la félicité de leurs Etats, élevèrent leur royaume, d'abord puissance du second ordre, au rang distingué de puissance dominante en Europe. La tête de Louis XVI tomba sous le couteau fatal. Ses vertus royales, abandonnant la France, trouvèrent un asile dans l'âme de Louis XVIII; et dés lors ce malheureux royaume devint le théâtre sanglant de l'anarchie et des factions. Elles varièrent dans leur forme, mais elles s'accordèrent toujours dans le système de sacrifier la prospérité publique à leur propre

conservation, et se succédant les unes aux autres, elles enfantèrent la tyrannie de Buonaparte, qui demeura maître du pouvoir arbitraire jusqu'alors exercé par plusieurs.

A l'aide de la séduction, de la force, il fut proclamé Empereur par le peuple français; et, favorisé par ses succès militaires, il obtint d'être reconnu comme souverain par les différens Etats de l'Europe, qui cependant n'avaient pas le pouvoir d'altérer les principes éternels de la justice, et qui pouvaient encore moins méconnaître l'obligation de soutenir ses principes, pour ne pas aventurer l'indépendance et la consarvation de leurs sujets, premier objet de l'attention de tous les gouvernemens.

L'Europe prit les armes; le ciel ne pouvait manquer de favoriser l'entreprise de ces premiers souverains, si fortement réclamés par la morale, la religion, l'humanité. Les nations commencèrent à respirer en liberté quand elles virent leurs droits consacrés dans le traité de Paris. Et voilà les titres sur lesquels Buonaparte appuie son droit à la couronne de France et sa prétention à la recouvrer, à l'aide de la partie démoralisée de cette nation, en plongeant dans les larmes et la douleur la partie saine qui soupire après le moment où. elle pourra vivre sous les auspices du juste, du clément Louis XVIII.

Après que, par les efforts de la fidélité et de la valeur de l'Espagne, en harmonie avec les efforts des autres puissances, les chaînes qui me retenaient à Valençay furent brisées, je sortis de cette résidence pour m'établir au milieu de mes sujets comme un père au milieu de ses enfans, Espagnols! au plaisir de me voir

au milieu de vous, se joignaient la résolution et la douce espérance de réparer, pendant une longue paix, les ravages de la guerre la plus dévastatrice et la plus sanglante. Je n'étais affligé que par la difficulté de cette entreprise. La guerre a dépeuplé mes provinces; elle avait laissé incultes les terres les plus fertiles; elle avait rendu le commerce stagnant; elle avait affaibli les arts, corrompu les mœurs, altéré la religion et ôté aux lois toute leur force. Quels objets plus graves et plus dignes d'occuper l'attention d'un souverain qui n'est pas né pour lui, mais bien pour travailler à la prospérité des peuples que la divine Providence confie à ses soins et à sa vigilance? Qu'il faut peu de temps pour détruire l'ouvrage de plusieurs siècles! Que de difficultés à surmonter pour le rétablir! Je m'étais promis, cependant, de les vaincre toutes avec de la constance, à l'aide d'une paix permanente et des veilles d'un gouvernement paternel protégé par la Providence.

Mais, dans ses impénétrables desseins, elle a permis que Buonaparte revînt troubler l'Europe et se déclarer encore son ennemi, en rompant les résolutions du traité de Paris. Ainsi, la nouvelle guerre préparée par Buonaparte, justifie les mesures prises aujourd'hui par les divers cabinets, qui se trouvent tout naturellement exemptés de toute obligation à son égard. Le bien et l'avantage de la France et la tranquillité générale furent l'objet de ces transactions; elles eurent en effet pour résultat de rétablir sur le trône la dynastie dépouillée, et d'y placer le juste, le désiré de ses peuples, le conciliant et pacifique Louis XVIII.

Ainsi la guerre, provoquée par l'agression de Buonaparte, est justifiée, non-seulement par l'obliga

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