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La Communalisation de la Chasse

UNIV. OF

CHAPITRE PREMIER

ÉTAT DÉPLORABLE DE LA CHASSE EN FRANCE IMPORTANCE DE LA QUESTION. LES INTÉRÊTS EN JEU

Pendant longtemps en France, les ministres chargés de la réglementation de la chasse avaient laissé les chasseurs dormir en paix et les braconniers vaquer tranquillement à leurs affaires, quand, vers l'an de grâce 1903, survint un ministre de l'agriculture nommé M. Mougeot, lequel s'avisa que la chasse souffrait peut-être de l'inertie des premiers et de l'activité des seconds.

L'état de dépeuplement de nos cantons français lui

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inspira une inquiétude trop légitimement partagée par tous ceux qui s'intéressent au sort de la chasse en France.

C'est malheureusement un fait incontestable, la pénurie de gibier augmente chez nous de jour en jour. Traqués impitoyablement par un nombre de chasseurs qui augmente chaque année, et dont l'imprévoyance ne trouve pas de frein dans une loi trop douce et trop insouciamment appliquée, le lièvre et le chevreuil dans nos forêts, la perdrix, la caille et le lièvre en plaine tendent de plus en plus à disparai

tre.

Déjà certaines espèces de gibier ne se voient plus dans notre pays, d'autres n'existeront bientôt plus. C'est même chose faite dans certaines régions du Midi, où nos malheureux nemrods pourraient raccrocher définitivement leur fusil, sans la ressource suprême du gibier de passage.

Et la tache d'huile s'étend, ce triste état de chose empire de jour en jour (1).

Nombreux ont été les cris d'alarme poussés par les

1. A titre d'exemple: la location de la chasse dans les domaines de l'Etat a produit 2.042.900 francs en 1899. En 1904 le chiffre tombe à 1.610.900 francs.

voix plus autorisées, soit dans des documents officiels, soit dans les revues et journaux spéciaux.

Les statistiques sont nombreuses qui nous montrent cette progressive décadence.

Avant 1870, la France produit annuellement pour 120 millions de gibier, vers 1882 ce chiffre tombe en dessous de 80 millions, aujourd'hui il est encore descendu plus bas (1).

Parallèlement nous voyons augmenter, d'année en année, le tribut que nous payons aux nations étrangères. C'est actuellement une somme de près de 20 millions de francs qui passe tous les ans nos frontières en paiement de ces importations (2).

Voilà où nous en sommes arrivés en France, dans un pays merveilleusement doué pour la chasse, où la grande variété et la richesse de ses cultures, ses forêts, ses plaines et ses coteaux bien répartis, la grande étendue de ses côtes et l'heureuse distribution de ses cours d'eau constituaient une véritable situation privilégée.

Cette question de la disparition de la chasse est

1. 50 millions seulement, quoique la valeur du gibier ait quadruple. Rapport de M. Labitte au Sénat. Journal officiel du 27 octobre 1883.

2. Circulaire du ministre de l'Agriculture du 15 janvier

beaucoup plus importante qu'elle ne le semble à première vue (1).

Certes, ce serait là, la disparition regrettable d'un exercice sain et hygiénique, parfois même utile pour assurer ou maintenir la vigueur et la souplesse de notre race et combattre les ravages de l'alcoolisme; ce serait aussi l'augmentation du tribut des importations étrangères, mais ce serait surtout, au point de vue économique la ruine d'intérêts fort importants. L'Etat et la commune, tout d'abord, seraient les premiers à pâtir de cette disparition.

Le nombre des porteurs de permis est actuellement de 535. ooo, et, depuis trois ans, augmente chaque année régulièrement par bonds de vingtcinq mille permis (2).

Un tel nombre de chasseurs ne va pas sans consommer de considérables quantités de poudres qui laissent à l'État un double bénéfice de commerce et d'imposition. Puis ce serait le produit des locations, des taxes sur les chiens dont ces divers budgets se trouvaient diminués.

1. Lire à ce sujet l'intéressant rapport de M. Coutard au Congrès de la chasse sur «l'importance de la chasse au point de vue des ressources qu'elle procure à divers budgets » et auquel nous avons emprunté le tableau publié à la fin de ce chapitre.

2. Discours de M. Ruau à l'ouverture du Congrès de la Chasse.

D'où nécessité d'établir en compensation de nouveaux impôts, lesquels péseraient plus lourdement sur le contribuable, car il ne faut pas oublier que les charges de la chasse étant volontaires, sont, par cela même, malgré leur importance, légères à supporter (1).

Considérons, d'autre part, quelle atteinte serait portée aux commerces, aux industries, aux professions et aux métiers qui vivent et profitent de la chasse dans une large mesure.

Sait-on que la chasse entraîne un mouvement d'affaires que certains ont pu évaluer jusqu'à 1 milliard par an, et que M. Ruau, ministre de l'Agriculture, dans son discours d'ouverture au Congrès de la Chasse du mois de mai dernier fixe au chiffre encore respectable de 500 millions (2).

Ce sont les fabricants d'armes, de munitions, d'équipement et d'habillements de chasse ; ce sont les

1. D'une façon globale la chasse rapporte à l'Etat plus de 50 millions par an. (Disc. Ruau au Congrès de la Ch.)

2. A titre d'exemple, le nombre des chiens de chasse est évalué à 829.000 environ. Leur nourriture minimum coûte 5 à 6 francs par mois, soit 72 francs par an, ce qui donne rien que pour l'entretien des chiens de chasse un total de plus de 59 millions (Extrait du « rapport sur le mouvement commercial né de la chasse » par M. A. de Lesse au Congrès.)

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