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qu'il y avait de départements, l'introduction dans le conseil de l'Université de quelques évêques désignés, non par l'État, mais par leurs collègues; la renonciation aux certificats d'études et aux brevets de capacité, voilà les principales concessions faites au clergé; le maintien du droit d'inspection et de juridiction sur tous les établissements d'enseignement, voilà le droit qui était conservé à l'Etat.

Moyennant ce traité, M. Thiers proclamait que la religion et la philosophie, ces sœurs immortelles, allaient vivre ensemble à côté l'une de l'autre et en parfait accord. Il se hâtait un peu trop: déjà le clergé, par l'organe de Monseigneur de Paris, faisait ses réserves :

Par votre loi, disait-il, vous nous demandez de vous aider à diriger vos établissements, et je crois que vous avez raison dans votre intérêt. Nous y consentons, sous trois réserves: la première, c'est que la liberté religieuse sera respectée; la deuxième, c'est que les décisions doctrinales prises par le conseil de l'instruction à l'occasion de l'examen des livres, ne lieront pas la conscience; la troisième, c'est que les évêques pourront se retirer, si on leur fait des conditions qui blessent la foi.

Ainsi, au moment même où la paix se signait, une des parties contractantes faisait, avec hauteur, des réserves qui ressemblaient beaucoup à des menaces de guerre.

La discussion fut longue, très-animée, surtout de la part de la gauche, qui se plaignait violemment de ce que le gouvernement livrât, sans restriction, l'enseignement public et privé au clerge; mais la majorité était d'avance acquise au projet de loi. Je n'ai pas besoin de dire que je ne fus nullement tenté de me mêler à cette discussion : je ne partageais ni les illusions des uns, ni les craintes exagérées des autres. Je savais trop bien que de pareilles questions sont bien plus gou

vernées par les circonstances, par les mœurs, par les influences de l'opinion, que par la loi : et que d'ailleurs la loi qu'on faisait était bien plutôt une trêve, très-éphémère, qu'un traité de paix définitif.

Mais une autre loi également importante, quoique d'une nature toute différente, se débattait, qui ne me permit pas de m'abstenir, c'était la loi de déportation.

Notre Code pénal, lors de la révision qui en avait été faite en 1833, avait conservé la peine de la déportation; mais son application devait rester suspendue jusqu'à ce qu'un lieu pour la subir eût été désigné; en attendant, elle était remplacée par la détention perpétuelle en France.

Depuis la suppression de la peine de mort en matière politique, il y avait nécessité absolue de sortir de ce provisoire, et de combler le vide qui existait entre l'échafaud supprimé et les autres peines. La déportation à temps ou à perpétuité, selon le degré de criminalité des condamnés, pouvait seule remplir ce vide; elle était d'ailleurs par sa nature mieux appropriée aux crimes politiques que toute autre répression, que les travaux forcés à perpétuité, par exemple, qui venaient, dans l'ordre des peines, après la mort. Il fallait cependant qu'un châtiment, destiné à remplacer l'échafaud, fùt suffisamment répressif, sans compromettre l'existence du condamné. Dans cette vue, nous avions dù, pendant mon ministère, procéder à une enquête minutieuse pour nous assurer d'un lieu qui, par son éloignement et par la salubrité du climat, pût répondre à cette double condition de sévérité et d'humanité : les îles d'Otahiti, dans l'océan Pacifique, nous avaient paru la remplir, et, en conséquence, j'avais saisi l'Assemblée d'un projet de loi, d'après lequel la déportation devrait être subie dans une de ces iles, et comme cette loi était surtout une menace pour l'avenir, j'avais eu soin d'y

faire insérer la clause expresse de non-rétroactivité.

C'est ce même projet qui avait été porté, par mon successeur, à l'Assemblée législative. D'abord, et lors de la première lecture de la loi, M. Victor Hugo ayant dit que si les révolutions de 1830 et de 1848 eussent été vaincues, Charles X eût appliqué cette loi à M. Thiers, et Louis-Philippe à M. Odilon Barrot, je lui répondis de mon banc, aux applaudissements de la majorité, « Que si je m'honorais de quelque chose dans ma carrière, c'était de n'avoir jamais conspiré contre aucun gouvernement, et d'avoir, jusqu'au bout et le dernier, défendu la Constitution de mon pays. Que, s'il y avait un parti aux yeux duquel la défense opiniâtre des lois fùt un attentat, je plaignais M. Victor Hugo d'appartenir à un tel parti. » Mais ce n'était là qu'une escarmouche. La commission avait cru devoir effacer du projet la clause de non-rétroactivité que j'avais mise; dès lors ma responsabilité, ainsi que mon honneur, me faisaient un devoir impérieux d'intervenir pour défendre cette clause sans laquelle le caractère de la loi, qui était mon œuvre, eût été complétement dénaturé, et d'une mesure purement préventive serait devenu un acte de vengeance. Je fus donc forcé, quoique souffrant encore, de rompre le silence et d'aborder de nouveau la tribune. Mon successeur au ministère de la justice, M. Rouher, crut devoir m'y devancer. Il soutenait que, d'après le Code pénal, la peine de la déportation devant être subie dans une maison de détention, en France, jusqu'à ce qu'un lieu de déportation fùt législativement désigné, en appliquant aux condamnés la nouvelle loi de déportation, on ne substituait pas une peine à une autre, mais qu'on se bornait à régulariser l'exécution d'une peine déjà prononcée. La commission, par l'organe de M. de Vatimesnil, son rapporteur, présentait un système moins

absolu : il cherchait à établir que, s'agissant d'interpréter une loi et de régler l'exécution d'arrêts déjà rendus, il n'appartenait qu'à la haute cour dont ces arrêts émanaient de se prononcer sur cette question.

Il me fut facile de répondre au ministre que la désignation du lieu de la déportation faisait si bien partie intégrante de la peine et de l'arrêt de condamnation, que le Code pénal exigeait expressément que, dans cet arrêt même, le lieu où le déporté devait subir sa peine fût désigné. Or, il était évident que cette désignation ne pouvait être faite après coup, au préjudice du condamné, par une loi postérieure, sans donner à cette loi un effet rétroactif. Au rapporteur, je répondis: qu'il était parfaitement dans les droits du législateur qui faisait une loi répressive, d'en déterminer le caractère et la portée, et de ne pas en abandonner l'application à l'interprétation incertaine et souvent arbitraire des tribunaux ; que la question était, d'ailleurs, bien plus politique que judiciaire. A cette autre objection qui m'était faite par quelques orateurs que, dans mon système et avec la clause de non-rétroactivité, le condamné serait libre de choisir entre la détention et la déportation, et que la peine perdrait ainsi ce caractère de fixité qu'elle doit toujours avoir, je répondais que cette faculté pour le condamné de choisir, entre les deux peines, celle qui lui paraissait la plus douce, n'avait rien d'exorbitant; qu'elle existait dans nos lois, toutes les fois qu'une disposition nouvelle substituait à une peine plus rigoureuse une peine qui l'était moins, ou vice versâ ; que c'était là un principe de justice et d'humanité qui, s'il ne permet pas à la loi d'aggraver le sort du condamné, lui permet toujours de l'adoucir.

Mon opinion prévalut, à une assez forte majorité, au grand déplaisir et de l'Élysée et du parti conser

vateur. Ce fut le premier, et, malheureusement, le seul échec que rencontra l'Assemblée dans cette voie de réaction où elle était si fatalement engagée,

Parmi les condamnés qu'on s'apprêtait à déporter, il y en avait un surtout, M. Guinard, l'ancien colonel de l'artillerie de la garde nationale, qui inspirait un intérêt assez général; on savait qu'il avait, le 13 juin, plutôt cédé à son fanatisme républicain, qu'à des passions égoïstes ou ambitieuses.

Je fus tenté, dans une autre occasion, de rompre encore le silence, dont ma situation dans l'Assemblée me faisait une sorte de nécessité : c'était au sujet de la levée du séquestre apposé, en 1848, sur les biens de la famille d'Orléans. M. de La Rochejacquelein crut devoir faire des réserves pour l'exécution du fameux legs du duc de Bourbon en faveur de ses anciens compagnons d'armes. Or, c'était moi qui, dans le temps, avais poursuivi, devant toutes les juridictions, l'exécution de ce legs. Mais M. Estancelin, attaché à la maison d'Orléans, ayant déclaré que, depuis sa majorité, monseigneur le duc d'Aumale consacrait tous les ans le montant du legs à élever des enfants de soldats morts en combattant pour la France, je me trouvai désintéressé de prendre la parole comme ancien défenseur de ce testament.

Dans cette circonstance, comme dans tant d'autres, ce n'est pas le Gouvernement, c'est la commission de l'Assemblée qui avait pris l'initiative de la levée du séquestre. C'est que, malgré l'accord apparent qui existait entre Louis-Napoléon et la majorité législative, les rouages de la machine jouaient avec difficulté ; il devenait de jour en jour plus évident que ce ministère, que M. Jules Favre appelait, dans un de ses discours, le petit ministère, ce ministère de palais ne pesait pas d'un assez grand poids sur l'Assemblée; il y laissait, en général, flotter la discussion sans s'en

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