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LIVRE DIX-SEPTIÈME

LA MONARCHIE PARLEMENTAIRE

Louis-Philippe

1830-1848

La révolution de 1789 fut préparée dans les salons de l'aristocratie, la révolution de 1830 l'a été dans ceux de la bourgeoisie.

Le mouvement révolutionnaire suit donc les lois de la pesanteur, il descend; il va des classes supérieures aux classes moyennes, de celles-ci aux classes populaires. Il semble que chaque fraction de la société veuille avoir à son actif une révolution, comme pour mieux établir l'impuissance où elles sont également de diriger un pays placé en dehors de toutes les traditions de gouvernement.

C'est là le grand enseignement qui résulte de ces bouleversements successifs, dans lesquels l'éclat des discussions publiques dissimule mal le vide des idées et l'impuissance des institutions.

Ces institutions le gouvernement de Louis-Philippe croit les avoir empruntées à l'Angleterre, parce qu'il a

pris le couronnement de la constitution anglaise, c'est-à-dire le parlementarisme. Il ne semble pas se douter que la solidité de l'édifice britannique vient de sa structure intime et non de sa forme extérieure, et qu'en ce point tout est différence entre les deux pays.

Les anglais professent au plus haut degré le respect de l'autorité divine et des pouvoirs constitués, ils sont fermement attachés à la tradition nationale, font dériver la loi de la coutume, restreignent le rôle de l'état à la gestion des affaires générales, et abandonnent la gestion des intérêts privés, des affaires locales à la libre initiative des particuliers; enfin ils obéissent à une puissante hiérarchie qui unit entre elles les diverses classes de la société.

En France au contraire, le respect de la loi morale et de l'autorité publique a été ébranlé et en partie détruit par la corruption des mœurs et des idées au dix-huitième siècle et par les violences de la révolution; la chaîne de la tradition nationale a été violemment interrompue, et il suffit qu'une idée ou une institution se rattache au passé pourqu'elle soit aussitôt rejetée avec mépris. Dès lors notre législation loin de se rattacher aux anciennes coutumes nationales n'a plus cherché ses inspirations que dans de chimériques et contradictoires déclarations de principes votées dans des assemblées tumultueuses; le rôle de l'État a été démesurément exagéré, au point d'absorber peu à peu tous les droits individuels, toutes les initiatives locales; enfin l'ancienne hiérarchie sociale a été ébranlée sous le double poids des défail

lances des classes supérieures et des excès de la révolution.

Dès lors on peut s'expliquer facilement comment n'ayant emprunté à l'Angleterre que la forme extérieure de son gouvernement nous n'avons pu en avoir la réalité et par conséquent la solidité.

CHAPITRE I

L'OPPOSITION RÉVOLUTIONNAIRE

Les écoles socialistes

1830-1840

I

1830-1840.

Explosion des idées révolutionnaires. · Les apôtres du socialisme. Saint-Simon et le Saint-Simonisme.

- Fourier et le Fouriérisme. Cabet et le Communisme. Pierre Leroux et la Doctrine de l'humanité. Effervescence des esprits.

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« La France a fait une révolution, dit M. Guizot à la Chambre, au début du nouveau règne, mais elle n'entend pas se mettre dans un état révolutionnaire permanent. Les caractères saillants de l'état révolutionnaire, c'est que toutes choses soient incessamment mises en question, que les prétentions soient indéfinies, que des appels constants soient faits à la force, à la violence. Ce n'est pas là le mouvement, mais le désordre; c'est la fermentation sans but, non le progrès. Puisque le pouvoir est armé d'un moyen légal contre le danger des sociétés populaires, non-seulement il ne doit pas l'abandonner, mais il doit s'en servir. Il l'a déjà fait et il est décidé à le faire tant que l'exige

ront le bon ordre dans le pays et le progrès régulier de ses libertés. »

Ainsi, la Bourgeoisie, qui, pendant la Restauration, avait exploité à son profit les passions révolutionnaires croyait que son avènement au pouvoir allait fermer l'ère des revendications et que tout le monde se déclarerait satisfait, du moment qu'elle était satisfaite. Elle ne se doutait pas que ses violentes attaques contre l'ordre social et contre le gouvernement avaient déposé dans le peuple, jusqu'alors inerte et expectant, des germes qui devaient bientôt lever et fructifier.

Ces classes populaires qui allaient apparaître d'un e façon si inattendue sur la scène publique devaient y apporter toute la passion d'appétits et de souffrances longtemps contenues. « C'est maintenant seulement, s'écriait Proudhon, que l'esprit de 93 commence à s'infiltrer dans le peuple. » Il constatait ensuite que ce même peuple s'habituait à repousser le baptême, la première communion, le mariage et l'enterrement religieux, et il signalait le progrès des idées socialistes. Je connais personnellement à Lyon et dans la banlieue, écrivait-il, plus de deux cents de ces apôtres qui tous font la mission en travaillant. C'est un fanatisme éclairé et d'une espèce plus tenace qu'on n'en ait jamais vu. » Il disait encore : « Le jour n'est pas éloigné où toute la comédie bourgeoise en France, avec ses héros et ses comparses de la scène parlementaire, prendra une fin terrible au milieu des sifflements et des huées, et on jouera ensuite un épilogue intitulé: Le règne des communistes. >>

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