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nationale se rendrait moins coupable qu'eux, en les faisant tirer au sort pour envoyer l'un d'eux à l'échafaud. >>

Cédant à cette pression des clubs et de la rue, Louis XVI consentit à prendre un ministère dans le parti girondin. Les deux principaux personnages du nouveau cabinet étaient Dumouriez aux affaires étrangères, et Roland à l'intérieur. D'après un contemporain, Roland n'était qu'un « vieillard entêté, irascible, pétri d'amour-propre, imitant gauchement Caton le Censeur, dont il avait l'extérieur sec... » Son collègue, Dumouriez, ajoute encore ce portrait: << Roland, dit-il, ressemblait à Plutarque ou à un quaker endimanché... Un des plus puissants moyens de réforme qu'il avait imaginé était l'institution de tribunaux pour juger les morts.

Le général Dumouriez, longtemps employé dans la diplomatie secrète de Louis XV, était un ambitieux habile et intrigant, désireux d'arriver, n'importe par quel moyen. « Si j'étais le roi de France, disaitil, je déjouerais tous les partis, en me plaçant à la tête de la Révolution. » Avant de prendre possession de son ministère, il se rendit aux Jacobins, fit acte d'adhésion à leur programme, et se coiffa du bonnet phrygien, emblême de la Révolution triomphante.

Le nouveau ministère se prononça pour la guerre, et le roi le fit savoir à l'Assemblée par un message : << J'avais dû épuiser tous les moyens de maintenir la paix, disait-il ; je viens aujourd'hui, aux termes de la Constitution, proposer à l'Assemblée nationale la guerre contre le roi de Bohême et de Hongrie. »

Les premières nouvelles du théâtre des opérations

furent désastreuses. Les troupes, ayant rencontré l'ennemi à Quiévrain, furent saisies d'une panique générale et prirent la fuite sans combat. On aurait pu s'attendre à ce résultat, car depuis longtemps les clubs et les journaux prêchaient aux soldats l'indiscipline. Marat écrivait dans l'Ami du peuple : « La première chose à faire, c'est de massacrer les généraux. » Voilà ce qui se répétait à la tribune des Cordeliers; à celle des Jacobins, on se contentait de demander leur destitution et leur mise en accusation.

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Les ministres étaient loin d'être d'accord; ils s'accusaient réciproquement de la défaite de nos armées. Dans une séance du conseil Dumouriez et le ministre de la guerre, Servan, allèrent jusqu'à porter la main à leur épée. Ils ne témoignaient d'ailleurs au roi ni égard, ni déférence. Cette situation ne pouvait se prolonger. Louis XV1 manda Dumouriez, la reine était présente : « Monsieur, dit celle-ci au ministre, croyez-vous que le roi doive supporter plus longtemps les menaces et les insolences de Roland, les fourberies de Servan et de Clavières ? Non, madame, répondit le général; j'en suis indigné ; j'admire la patience du roi, et j'ose le supplier de changer entièrement son ministère. Je veux que vous restiez, reprit le roi. Rendez-moi le service de me débarrasser de ces trois factieux insolents, car ma patience est à bout. »>

L'Assemblée accueillit le renvoi des ministres girondins par des cris de fureurs, et décreta « que Servan emportait l'estime et les regrets de la nation. »

Ce vote atteignait Dumouriez, qui dut, trois jours après, suivre ses collègues dans leur retraite. Il partit pour l'armée. « Tout ce que je désire, dit-il, c'est qu'un coup de canon réunisse toutes les opinions sur mon compte. »

Le roi se décida à former un nouveau ministère d'hommes peu connus, appartenant pour la plupart au parti modéré des Feuillants. Cette décision déchaîna la tempête. La Gironde, battue dans le ministère, se redressa menaçante et furieuse dans la rue. Depuis que Pétion avait remplacé Bailly comme maire de Paris, les Girondins étaient maîtres de la capitale. Ils avaient à leurs gages un certain nombre d'agitateurs des faubourgs. Le plus exalté était le brasseur Santerre, commandant le faubourg SaintAntoine. Ce fut là que pendant plusieurs jours l'émeute put s'organiser librement. Tout fut réglé d'avance; on décida qu'elle aurait lieu le 20 juin, anniversaire du serment du Jeu de paume.

Au jour indiqué, vers midi, l'assemblée fut avertie qu'une multitude armée et vociférant était à ses portes, et demandait à défiler devant elle. Quelques membres de la droite ayant timidement protesté au nom de la loi, le girondin Vergniaud les interrompit: << Justement inquiets de l'avenir, s'écria-t-il, les Parisiens veulent prouver que, malgré les intrigues ourdies contre la liberté, ils sont toujours prêts à la défendre. Comment pourrions-nous leur refuser la faveur qu'ils demandent ? » L'Assemblée décida par acclamation que le défilé aurait lieu.

En tête marchait Santerre; puis venait une foule immense d'hommes, de femmes et d'enfants, armés

de tout ce qui leur était tombé sous la main. Ils chantaient le Ça ira. Un homme portait au bout d'une pique une culotte déchirée avec cette inscription « Vivent les sans-culottes ! » un autre, un cœur de veau sanglant, avec ces mots : « Cœur d'aristocrate. » Par instant, les danses patriotiques venaient égayer les graves législateurs, qui toléraient de pareilles scènes. Enfin, à la voix de Santerre, l'émeute sortit et se précipita avec une nouvelle fureur vers les Tuileries.

Elle cherchait le roi. Le malheureux prince, effrayé des cris qu'il entendait, ordonna d'ouvrir les portes et se présenta à la multitude : « Me voici, » dit-il. « A bas Monsieur Veto! le rappel des ministres patriotiques ! » hurlèrent mille voix. « Sire, dit un grenadier dévoué au roi, n'ayez pas peur. Voyez s'il bat plus vite qu'à l'ordinaire,» répondit le monarque, en lui prenant la main, pour la poser sur son cœur.

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Le boucher Legendre lut alors une pétition : « Monsieur, disait-il, vous êtes fait pour nous écouter, vous êtes un traître; vous nous avez toujours trompés, vous nous trompez encore. Prenezgarde à vous; la mesure est comble; le peuple est las d'être votre jouet. Je ferai ce que la Constitution m'ordonne de faire,» répondit Louis XVI avec dignité. Un homme tendit au roi un bonnet rouge. Il le prit et le mit sur sa tête, aux applaudissements de la foule; un autre, à moitié ivre, lui offrit un verre de vin; il le but à la santé de la nation. C'est alors seulement que Pétion arriva, pour faire évacuer le palais; la scène arrangée par la Gironde avait suffisamment réussi.

A la faveur de ces saturnales, l'ennemi faisait toujours de nouveaux progrès; on apprit tout à coup que quatre-vingt mille Prussiens, sous les ordres du duc de Brunswick, s'avançaient par Coblentz. On commentait avec passion un manifeste dans lequel ce général disait que Paris serait détruit et la France démembrée, si elle osait résister. L'Assemblée répondit à cette provocation, en déclarant, selon la formule romaine, que la patrie était en danger. «La patrie est en danger, s'écria le girondin Brissot. Qui paralyse nos forces? Un seul homme, celui-là même que la Constitution appelle son chef .. Je demande que vous discutiez solennellement si le danger vient du roi. »

Les meneurs des faubourgs et les sections qui s'ẻtaient constituées en permanence n'avaient pas besoin de ces excitations pour se porter aux extrêmes. Le 3 août, obéissant à leur pression, Pétion se rendit à la barre de l'Assemblée. « Par un reste d'indulgence, dit-il. nous aurions désiré pouvoir vous demander la suspension de Louis XVI, tant qu'existe le danger de la patrie; mais la constitution s'y oppose; nous demandons sa déchéance. » La discussion de cette proposition fut renvoyée au jeudi 9 août.

Le Comité insurrectionnel, car il portait ouvertement ce nom, se tint prêt, lui aussi, pour ce jour. Le 9 au matin, le constitutionnel Roederer, procureur syndic de la commune, avisa l'Assemblée que l'on devait sonner le tocsin dans la nuit. Pétion déclara qu'il ne pouvait répondre de la tranquillité. Prenant alors à part l'ancien moine Chabot, un des plus exaltés montagnards : « Mauvaise tête que vous êtes, lui dit-il, vous avez été dire hier aux Jacobins que

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