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vous feriez sonner le tocsin ? Brissot et ses amis promettent de faire prononcer la déchéance, il ne faut point de mouvement, attendons que l'Assemblée se prononce. Vos amis sont des intrigants, dit Chabot; je vous dis que le tocsin sonnera ce soir dans les faubourgs.»

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Il sonna en effet, les émeutiers à gages et les sans-culottes y répondirent avec empressement. Des bandits, la plupart échappés du bagne de Toulon et arrivés récemment à Paris sous le nom de « Marseillais, grossissaient leurs rangs, et exaltaient encore leur fanatisme révolutionnaire. Pour la seconde fois, les Tuileries furent l'objectif de cette multitude armée. Sur le conseil de Roederer, le roi prit le parti de se retirer avec sa famille au sein même de l'Assemblée. « Je suis venu ici, dit-il aux représentants, pour éviter un grand crime; je pense que je ne saurais être mieux en sûreté qu'au milieu de vous. » Chabot fit observer que la présence du roi pouvait entraver la discussion sur la déchéance. Vergniaud, qui présidait, proposa d'installer la famille royale dans la loge du journal le Logographe, attenante à la salle, ce qui fut décidé.

Pendant que ces événements se passaient à l'Assemblée, la populace, les Marseillais en tête, était arrivée aux Tuileries. « Ceci n'est pas une promenade civique comme le 20 juin », avait dit Danton. Jamais les insurgés n'auraient pu s'emparer du palais, si, par un nouvel acte de faiblesse, le roi n'avait envoyé aux Suisses l'ordre de cesser le feu et de déposer les armes. Ces malheureux durent obéir, et furent presque tous massacrés.

Pendant que s'accomplissaient ces sanglants et odieux attentats, l'Assemblée ne trouvait rien de mieux à faire que de délibérer sur la déchéance. Vergniaud monte à la tribune, et déclare qu'il va << avec douleur » et « sans réflexion » présenter, au nom de la commission extraordinaire, une mesure rigoureuse que les événements ont rendue indispensable. Le décret commençait ainsi :

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« Le peuple français est invité à former une Convention nationale. Le chef du pouvoir exécutif est provisoirement suspendu de ses fonctions... La Commission extraordinaire présentera dans le jour, un mode d'organiser un nouveau ministère. »

Quoique réduite, par la peur ou le dégoût, de sept cent cinquante à trois cents membres, l'Assemblée vota sans discuter, et s'occupa sur le champ de constituer un ministère. Les trois ministres girondins disgraciés, Roland, Clavière et Servan, furent réélus; on leur adjoignit Danton à la justice, Monge à la marine et Lebrun aux affaires étrangères.

De leur côté, les insurgés avaient procédé tumultueusement à l'élection d'une commune encore plus radicale que l'ancienne. Une députation de ce pouvoir anarchique se rendit à la barre de l'Assemblée. << Législateurs, dit le nouveau procureur général, il ne reste plus à Louis XVI d'autre droit que de se justifier devant le souverain. Le Temple peut servir de demeure au roi et à sa famille. On interceptera toute leur correspondance; car ils n'ont que des traitres pour amis; leur plus grand supplice sera d'entendre crier: Vive la nation! vive la liberté ! »

L'Assemblée n'eut pas le courage de résister à cette pression d'en bas; elle livra l'auguste famille à la Commune, pour être enfermée dans la sombre forteresse du Temple.

Cependant l'armée de l'émeute était toujours debout et ne demandait qu'à agir. Le hideux Marat, qui disparaissait prudemment aux heures de danger, reparut tout à coup. « Le parti le plus sage, écrivitil dans son journal, est de se porter en armes à l'Abbaye, d'en arracher les traitres, particulièrement les officiers suisses et leurs complices, et de les passer au fil de l'épée. »

Danton, un singulier ministre de la justice, appuya cette motion d'assassinat à l'Assemblée. « La patrie est en danger; les ennemis ont pris Longwy, s'écria-t-il de sa voix tonnante. Il faut se saisir des traitres, y en eût-il trente mille à arrêter. Le tocsin qu'on va sonner, c'est la charge sur les ennemis de la patrie. Pour les vaincre, il faut de l'audace, encore de l'audace, toujours de l'audace. ».

Le tocsin sonnait effectivement. Les visites domiciliaires commençaient; les prisons regorgeaient de malheureux, dont nul ne pouvait indiquer le crime. Le 2 septembre, une bande avinée parcourut les rues en criant : « A l'abbaye, à l'abbaye! » Il y avait à l'abbaye une trentaine de prêtres qui furent mis à mort. Les Carmes, Saint-Firmin, la Force, Bicêtre, furent ensuite le théâtre de nouveaux massacres. Ces scènes d'horreur se prolongèrent jusqu'au 6. L'archevêque d'Arles se trouva parmi les victimes. Le vieillard se présenta de lui-même aux coups, en disant << Mon sang leur suffira peut-être. » Puis

désignant ses compagnons: « Épargnez ceux-ci, ditil, ils prieront pour vous sur la terre et moi dans le ciel. » Un coup de sabre l'interrompit. Les autres prisonniers, parmi lesquels étaient les évêques de Saintes et de Beauvais, eurent le même sort. Madame de Lamballe, l'amie de Marie-Antoinette, fut parmi les victimes. Par un raffinement de cruauté, on plaça sa tête au bout d'une pique et on la promena devant le Temple, sous les yeux de la reine, qui s'évanouit à ce hideux spectacle.

Comme on pressait Danton d'arrêter l'effusion du sang: « Je me soucie bien des prisonniers, s'écria-til; qu'ils deviennent ce qu'ils pourront. »

L'Assemblée, qui était demeurée lâchement spectatrice de ces scènes d'horreur, dont elle doit rester responsable devant l'histoire, avait terminé son mandat. Le 21 septembre, elle se sépara pour faire place à la Convention.

Son dernier vote contre la royauté n'avait été qu'une nouvelle illégalité ajoutée à tant d'autres, et que l'opinion publique était loin de demander. « Il n'y avait pas alors en France, dit Pétion lui-même, plus de cinq hommes qui voulussent la République ; j'ai vu le moment où le comité insurrectionnel n'ẻtait plus composé que de trois députés et de vingt ou trente citoyens; la terreur avait dissipé le reste. »

C'était, en effet, le règne de la Terreur qui commençait. La mesure était comble, Dieu retirait sa main et livrait la France aux hommes de sang.

CHAPITRE II

LA RÉVOLUTION TERRORISTE

La Convention

1792-1795

I

1792-1793

Portrait des chefs du mouvement.

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Les élections par inti

midation. Classement des partis. Abolition de la royauté et proclamation de la République. La Gironde contre la Montagne. Robespierre. Louis XVI devant la Convention; sa condamnation; sa mort. Journées du 31 mai et du 2 juin. Arrestation des Girondins,

Les chefs de la Révolution, Girondins et Montagnards sont maîtres de la situation, c'est sous leur influence que vont être élus les membres de la Convention nationale. Qu'on se représente ces directeurs de l'opinion, tels qu'ils étaient quelques années auparavant. « Desmoulins, dit Taine, avocat sans causes, en chambre garnie, vivant de dettes criardes et de quelques louis arrachés à sa famille; Danton, autre avocat de second ordre, sorti d'une bicoque de Champagne, ayant emprunté pour payer sa charge et dont le ménage gêné ne se soutient qu'au moyen d'un louis donné chaque semaine par le beau-père limonadier; Brissot, bohême ambulant, ancien employé des forbans littéraires, qui roule depuis quinze

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