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de cinquante-trois départements étaient annulées. C'était la mise à l'ordre du jour de la terreur.

Une liste de proscription fut dressée avec soin et présentée à la minorité des Cinq-Cents. Elle comprenait cinquante-trois députés, quarante-deux journalistes, le général Pichegru, une multitude de prêtres et un grand nombre de personnages désignés par leur haute situation. Sous forme de déportation, ce fut en réalité la peine de mort qui fut prononcée contre ces malheureux. Transportés à la Guyane, ils y périrent presque tous par la misère et par la fièvre.

Lorsque les sociétés humaines sont arrivées à ce point de décomposition, elles invoquent la force et appellent un César, car elles préfèrent toujours le despotisme à l'anarchie. La France en était là. Un journaliste, Suleau, réfugié à Coblentz, avait, dès le début de la révolution, résumé le sentiment général. << Je répète froidement, dit-il, que le dieu tutélaire que j'invoque pour ma patrie, c'est le despote... pourvu qu'il soit d'ailleurs homme de génie. C'est l'altière inflexibilité de Richelieu que je réclame; il ne faut à un pareil homme que de la terre et des bras pour créer un empire. La France ne peut être recomposée en corps de nation qu'après avoir été courbée sous la verge d'airain d'un maître farouche et intraitable. >>

L'homme que l'on appelait ainsi était né, la victoire l'avait déjà grandi et devait le grandir encore. Le 5 décembre 1797, le général Napoléon Bonaparte quittait l'Italie, théâtre de ses premiers triomphes, et arrivait à Paris, pour suivre de plus près les événements et voir si l'heure des grandes résolutions était enfin sonnée pour lui.

II

1796-1799

Napoléon Bonaparte, ses premières années.

Il prend le commandement de l'armée d'Italie. Série de victoires. Incapacité des directeurs. Victoires d'Arcole et de Rivoli..

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. Traité

de Campo-Formio. Expédition d'Egypte. Bataille des Pyra- Retour de Bonaparte.

mides. Anarchie au sein du Directoire.

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Au livre second du Contrat social, Jean-Jacques Rousseau écrit, en parlant de la Corse : « J'ai quelques pressentiments que cette petite île étonnera l'Europe. >>

Le jour de l'Assomption 1769, Lotitia Ramolino, femme d'un pauvre gentilhomme corse, Charles Bonaparte, s'était rendue à l'office divin, malgré son état de grossesse avancé. En revenant, elle se sentit prise tout à coup des douleurs de l'enfantement et eut à peine le temps de mettre au monde, sur un tapis, qui représentait les héros d'Homère, un fils, auquel on donna le nom de Napoléon, «lion du désert».

Il a résumé lui-même sa jeunesse en une phrase: « Je n'étais, dit-il, qu'un enfant obstiné et curieux. >> A l'école militaire de Brienne, il se fit remarquer par son aptitude pour les mathématiques. L'inspecteur de l'école porta sur lui le jugement suivant : « M. de Bonaparte, né le 15 août 1769, taille de quatre pieds dix pouces vingt lignes, a fait sa quatrième; de bonne constitution, santé excellente, caractère soumis, honnête, reconnaissant, conduite très régulière; s'est toujours distingué par son application aux mathé

matiques. Il sait très passablement son histoire et sa géographie. Il est assez faible pour les exercices d'agrément et le latin, où il n'a fait que sa quatrième. Ce sera un excellent marin. >>

Un de ses professeurs, M. de l'Eguille, eut un pressentiment plus juste: « Corse de naissance, il ira loin, si les circonstances le favorisent », écrivit-il.

En 1785, Bonaparte fut nommé sous-lieutenant dans un régiment d'artillerie, et deux ans après lieutenant. Ce fut dans ce poste que le rencontra la révolution; il se rallia à elle par intérêt. « Les révolutions, dit-il, sont un bon temps pour les militaires qui ont de l'esprit et du courage; si un maréchal de camp peut s'attacher au parti de la cour, un lieutenant sans fortune doit se vouer à la révolution. » Mais il fut bientôt désabusé par les excès mêmes dont il était témoin. Ayant assisté à la journée du 20 juin et à l'avilissement du malheureux Louis XVI, il ne put s'empêcher de s'écrier : « Comment a-t-on laissé entrer aux Tuileries une pareille canaille? Il fallait en balayer quatre ou cinq cents avec du canon, et le reste courrait encore. »

Il fit ses premières preuves au siége de Toulon occupé alors par les Anglais. Il dirigea l'artillerie et contribua puissamment à la prise de la place. En récompense on lui donna le grade de général de brigade à l'armée d'Italie. Mis à pied après le 9 thermidor, on a vu quelle part il prit à la journée du 13 vendémiaire. Le secours qu'il apporta au Directoire dans cette circonstance lui valut le commandement de l'armée d'Italie, en 1796.

Ce général de vingt six ans, à la taille petite et

grêle, aux joues amaigries, au teint livide, fut d'abord mal accueilli par les officiers et par les soldats qu'il allait commander. Mais cette impression se modifia bientôt, lorsque, placé sur le front des troupes, il leur adressa cette proclamation: « Soldats, vous êtes mal nourris, vous êtes nus; le gouvernement ne peut rien pour vous. Je vais vous conduire dans les plus fertiles plaines du monde; vous y trouverez de grandes villes, de riches provinces; vous y trouverez honneur, gloire et fortune. Soldats d'Italie, manquerez-vous de courage?» Les soldats répondirent par des acclamations et l'armée d'Italie descendant comme un torrent les pentes abruptes des Alpes se précipita sur les riches plaines du Piémont.

En trois jours il gagna trois batailles à Montenotte, Millesimo et Dego, les 12, 13 et 14 avril 1796. Ce coup d'éclat sépara l'armée autrichienne de l'armée piémontaise et obligea cette dernière à conclure un armistice. Poursuivis par le jeune héros les Autrichiens furent de nouveau battus au passage de l'Adda près de Lodi et obligés de livrer Crémone, Pavie, Milan (14 Mai) et bientôt toute la Lombardie.

Bonaparte voulait couronner ses succès en s'emparant de Mantoue; déjà il en avait formé le siège, lorsqu'on apprit qu'une seconde armée autrichienne commandée par Wurmser et forte de cent mille hommes accourait à marche forcée par le Tyrol. Malgré l'avis de ses lieutenants, Bonaparte se porte avec ses cinquante mille hommes au devant de Wurmser, le bat successivement le 3 août 1796 à Lonato, le 5 à Castiglione, le 3 septembre à Roveredo, le 12 à Bassano, et enfin l'enferme dans Mantoue.

Ce fut dans une de ces rencontres qu'il faillit être fait prisonnier. Ayant pénétré dans Lonato avec un millier d'hommes seulement, il se vit tout-à-coup investi par quatre mille Autrichiens. Ceux-ci lui envoyèrent un parlementaire pour le sommer de se rendre avec sa petite troupe. Sans se déconcerter, Bonaparte ordonne à tous les officiers qui l'entourent de monter à cheval et fait amener le parlementaire auquel on débande les yeux. « Malheureux, lui dit-il alors, vous ne savez donc pas que vous êtes ici en présence du général en chef et de toute son armée : allez dire à ceux qui vous envoient que je leur donne cinq minutes pour se rendre, ou que je les ferai tous passer au fil de l'épée. » Le parlementaire effrayé de ces menaces et de tout l'appareil qu'il voyait s'empressa d'obéir et les quatre mille hommes se rendirent, sans essayer aucune résistance.

Pendant qu'il marchait ainsi de victoire en victoire, Bonaparte ne cessait d'écrire au Directoire, pour l'éclairer sur la situation, et pour en obtenir des munitions et des hommes. « La république de Venise a peur elle trame avec le roi de Naples et le pape. Le roi de Naples a soixante mille hommes sur pied. Il serait possible qu'avec l'Autriche et Rome il portât son corps sur Bologne et Livourne. Le grand duc de Toscane est nul sous tous les rapports ainsi que le duc de Parme. Rome est forte par son fanatisme. Le roi de Sardaigne fomente la rébellion des barbets. Si vous persistez à faire la guerre à Rome et à Naples il faut vingt mille hommes de renforts, joints à vingt mille nécessaires pour tenir tête à l'empereur. Mais je crois que la paix avec Naples est de

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