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En remontant à la source, Papinien (1) avait dit que si le père qui avait été tuteur de sa fille, lui avait, après la fin de la tutelle, sui juris ef fectu, constitué une dot, il était censé l'avoir dotée en qualité de père, de suo, plutôt qu'en qualité de tuteur des biens appartenant à sa dite fille, et pour se libérer de ce qu'il pourrait lui devoir.

Mais quelque grande que fût l'autorité de ce prince des jurisconsultes, quelque raisonnable que fût son opinion, elle trouva des contradicteurs, qui soutinrent que le père étant le débiteur de sa fille, il devait être censé l'avoir dotée comme tuteur, et pour se libérer de ce qu'il lui devait per

sonnellement.

73. En sorte que la question était devenue tellement douteuse entre les anciens jurisconsultes, que Justinien crut devoir la décider dans la loi dernière au Code de dotis promissione (2), qui est l'une des cinquante décisions qu'il a insérées dans son Code. << Si un père, dit-il, avait simplement doté sa fille, qui avait des biens propres soumis seulement à l'usufruit paternel, ou qu'elle eût d'ailleurs des actions à exercer contre lui, comme créancière, on doutait chez les anciens jurisconsultes, si le père était censé avoir voulu se libérer de l'obligation de doter, ex ipso debito dotis, sa dette personnelle envers sa fille demeurant d'ail

(1) L. 5, § 12. ff. de jure dotium, 23, 3.

(2) Liv. 5, tit. II.

leurs dans son état primitif, un pur motif de libéralité l'ayant porté à lui constituer une dot. Ce doute avait divisé les opinions des jurisconsultes. Ils ajoutaient à cette question une autre difficulté pour le cas où l'acte de dotation portait que la dot était constituée sur les biens paternels et maternels, de rebus paternis et maternis. Les uns pensaient que la dot alors devait être prise par moitié, sur le cens et les autres biens; d'autres pensaient qu'elle devait être supportée proportionnellement à la valeur de chacun des deux patrimoines: Pro ratá portione utriusque substantiæ. »

Justinien décide, sur la première question, que si la dot est constituée simplement sans dire sur quels biens, elle est censée une libéralité du père, et que sa dette personnelle demeure telle qu'elle était, debito in sud figurd remanente, parce que les lois imposent au père absolument le devoir de doter legibus cautum est omninò paternum esse officium dotem pro sud dare progenie.

Quant à la seconde question, si le père a doté sur ses biens et sur ceux de la mère, ex rebus tam suis quam maternis, Justinien décide que si le père est pauvre, la dot doit être prise sur les biens de la fille, et sur ceux du père, s'il est assez riche pour la payer.

Ces décisions sont étendues, par la même loi, aux donations en faveur du mariage, donationibus propter nuptias, faites par le père à ses fils, qu'il était également dans l'obligation de marier. L. 13, ff. de ritų nuptiarum.

.

74. Telle est la source où les jurisconsultes de

nos pays de droit écrit puisèrent une jurisprudence qui n'était ni fixe ni uniforme, comme on peut le voir dans le Traité de la dot de Roussillhe (1). Il y avait diversité dans les opinions et dans la jurisprudence. En Provence, Boniface (2) rapporte un arrêt de réglement du Parlement d'Aix, du 29 octobre 1646,.qui ordonne que la constitution de dot faite par le père pour tous droits paternels et maternels, sans autre explication, s'imputerait sur les biens du père seul, qui avait le moyen de payer une pareille dot (3). Cet arrêt enjoignit aux notaires d'avertir les parties de sa disposition en passant le contrat de mariage. C'est, comme on le voit, la décision de la loi dernière, au Code de dotis promissione.

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Mais hors le Parlement de Provence, et dans les pays de droit écrit du ressort du Parlement de Paris (4), on tenait que la constitution de dot faite par le père à sa fille pour droits paternels et maternels, sans faire de distinction, la mère étant décédée, est présumée faite plutôt de ce qui provient à la fille du chef de sa mère, et pour tout ce qui lui en revient, que du chef du père, qui ne doit être censé avoir donné de son côté que l'excédant. Par exemple, le père constitue 10,000 fr.

(1) Tom. I, pag. 125, no 101 et suiv. Voy. aussi tous les auteurs qu'il cite en grand nombre, le Nouveau Denisart, vo Dor.

(2) Liv. 6. tit. 1, chap. 1.

(3, Cet arrêt est conforme à la décision de Justinien.

(4) Roussillhe, Traité de la dot, tom. I, pag: 126, no 101; le Nouveau Denisart, tom. I, pag. 7, vo Dor, §§ 6 et 7.

fr.

de dot à sa fille pour droits paternels et maternels, il est débiteur de 9,000 pour droits maternels; après l'épuisement de cette somme, ce ne sera donc que 1,000 fr. qu'il sera présumé avoir donnés de son chef.

75. Il serait fort long et fort inutile de rappeler les nombreux arrêts qu'on trouve dans nos livres, et qui ont fait des distinctions et modifications relatives à ces deux jurisprudences opposées, parce que toutes les questions qui peuvent se présenter sur ces matières ne doivent plus se résoudre que par les dispositions du Code, ou par les conséquences qui en dérivent. Il a établi sur la matière des dots, constituées par les père et mère, des règles fixes dont on ne doit plus s'écarter. Il a consacré la jurisprudence du Parlement de Paris, dans l'art. 1545, qui porte expressément : « Si le « survivant des père ou mère constitue une dot, << pour les biens paternels et maternels, sans spécifier <«<les portions, la dot se prendra d'abord sur les << droits du futur époux, dans les biens du conjoint prédécédé, et le surplus sur les biens du

<<< constituant. »

Cette décision est on ne peut plus raisonnable, et analogue aux dispositions du Code, qui n'accorde plus d'action à l'enfant contre ses père et mère, pour un établissement par mariage ou autrement; en sorte qu'on ne peut plus considérer la dot, constituée à l'enfant par les père ou mère, que comme une pure libéralité. On applique donc ici la présomption que le père, en constituant une dot sur les biens paternels et maternels de ses en

TOME XIV.

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fans, a voulu d'abord se libérer de ce qu'il devait rigoureusement, avant de se montrer libéral et généreux, suivant le brocard de droit, nemo liberalis nisi liberatus.

76. Mais si en constituant une dot, par exemple de 10,000 fr., à sa fille, le père n'avait point ajouté qu'elle était sur ses droits paternels et maternels, ou de son chef seul, et n'avait fait connaître d'ailleurs par aucune expression qu'il était débiteur de sa fille, à raison de ses biens maternels ou autrement; en un mot, si rien n'annonçait qu'il avait l'intention de s'acquitter d'une dette, faut-il néanmoins, malgré son silence, présumer que sous le voile d'une libéralité, il n'a voulu que payer une dette, et compenser en conséquence la dot de 10,000 fr., jusqu'à concurrence de ce qu'il doit?

C'est une question que le Code n'a point résolue, et qu'il a abandonnée à l'interprétation des jurisconsultes et à la prudence des magistrats. Les auteurs de la nouvelle collection de jurisprudence, connue sous le nom de Nouveau Denisart (1), décident que le père est censé avoir voulu gratifier sa fille, sans diminuer la créance qu'elle avait contre lui. Mais, au moment où ils écrivaient, le père était encore obligé de doter sa fille, qui avait une action pour l'y contraindre, dans les pays de droit écrit. C'est de cette obligation que les auteurs cités concluaient qu'il était naturel de croire que

(1) Tom. VII, v° Dor, §7, n° 4.

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