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Toutefois, ces hauts et puissants seigneurs du XIXe siècle ont bien encore quelques instincts, quelque velléité du dévoûment de leurs ancêtres; mais, hélas ! leurs efforts ne ressemblent que trop aux galanteries d'un page du sérail auprès d'une belle odalisque !!!

C'est ainsi, par exemple, qu'ils essaient parfois de s'armer en guerre, mais leur bras efféminé ne peut plus manier la dague du xine siècle, et leur corps encore moins supporter l'armure du chevalier !!...

C'est ainsi que parfois encore ils se croient capables de courir les hasards de la conjuration; mais dépourvus de foi religieuse, n'ayant pour ainsi dire plus de convictions politiques, il ne leur reste ni assez d'énergie, ni assez de constance pour en supporter les épreuves, pour en affronter les périls !...

Ils ne font donc que de l'intrigue, qui, ne prouvant que l'impuissance, ne mène qu'au ridicule.

Quant à s'élancer dans la lice où la couronne du vainqueur se trouve suspendue entre le martyre et l'apothéose, ces soi-disant légitimistes s'en sont reconnus indignes le jour où ils laissèrent tomber la bannière royale, relevée si noblement, si audacieusement par notre moderne Jeanne d'Albret.

Et cependant, je dois le dire, qu'au milieu de la dégénérescence générale de la société française, c'est encore dans le parti légitimiste que se trouvent le plus d'éléments chevaleresques. Il ne s'agirait que de les greffer sur l'arbre dont la sève ne vieillit jamais, et cet arbre :

C'est le Peuple!

Et le Soldat qui en est la suprême quintescence.

Et en effet, car si, par une de ces bizarreries des choses d'ici-bas, le dévoûment royaliste s'est souvent élevé et s'élèverait encore jusqu'au sublime chez le Peuple, chez le Soldat et le Hobereau, il a presque toujours été en sens inverse de l'échelle sociale, et sa progression décroissante devient surtout sensible à partir de vingt mille livres de rente.

Depuis l'artisan jusque-là, l'on trouve encore du zèle, un concours franc, sincère, loyal, énergique, empressé, efficace; en un mot, de la vie politique et de l'abnégation.

Mais lorsque apparaît l'hôtel, le suisse à perruque anglaise, l'équipage et le valet poudré, adieu le royalisme en pratique : là, il n'y a plus de place que pour l'orgueil, l'envie, l'amour du luxe, l'insolence, l'hypocrisie politique et religieuse, l'intrigue et l'ambition!

Le cœur y est atrophié et ne saurait désormais s'associer à quoi que ce soit de grand, de noble, de généreux, et tel qui, le matin, aura refusé cent francs pour la cause du Roi ou pour venir en aide à des proscrits, à des prisonniers royalistes, dépensera, le soir même, cinq, dix, peut-être quinze mille francs, pour une fête destinée à éclipser celle de son voisin !...

Tel autre qui, en proie aux misères d'une fortune de deux à trois cent mille livres de rente, aura refusé son concours à un emprunt personnel au Roi, dont cependant il se proclame l'un des plus fidèles sujets, deux

heures après prendra pour cent, deux cent, trois cent mille francs d'actions dans les chemins de fer ou dans quelque maison de banque ou d'industrie...

Et que l'on ne taxe pas d'exagération ces trop tristes. vérités, j'y appliquerais aussitôt bien des noms qui, jadis, passèrent pour des plus illustres et des plus beaux de France, et qui, aujourd'hui, ne sont que trop souvent bien mal portés!...

Avis donc au jeune et merveilleux rejeton du vieux tronc monarchique : que n'a-t-il écouté la voix d'un ami qui a tout sacrifié pour sa cause, et qui, ses écrits en font foi, ne varia jamais sur la seule manière d'en assurer le triomphe!....

Si les conseils des Nestors sont parfois bons à consulter, on ne doit jamais dédaigner les avis d'un soldat éprouvé.....

Le parti Légitimiste, grâce à ses trop nombreuses infirmités, grâce à l'abâtardissement de ses sommités, grâce à la caducité politique de ses talons rouges, ne pouvait donc se présenter, bannière déployée, sur le champ de bataille; mais telle était cependant encore son influence, que sa force d'inertie seule contribua à enrayer le char orléaniste, jusqu'au jour où il suffit d'un coup de pied du peuple pour le renverser dans la boue.

Là n'eût pas dû se borner l'action du parti Légitimiste; possesseur des deux tiers de la fortune territoriale de France, il tient en main le nerf de la guerre; et si son instruction laisse généralement à désirer, par cela même que son opulence ne lui en fait pas sentir l'importance,

encore moins la nécessité, par son éducation traditionnelle et l'assurance que donne toujours une ceinture bien garnie, le parti Légitimiste pouvait encore, avec une direction intelligente, et SURTOUT VIGOUREUSE, ACTIVE et RÉELLEMENT DÉVOUÉE, s'emparer du gouvernail au lieu de le laisser aux mains des aigrefins, transfuges émérites de tous les partis.

Mais, pour en arriver là, que de choses à imposer à ses premiers barons! que d'abnégation à obtenir de ses fermiers généraux !...

A qui sera-t-il donné, par exemple, d'inspirer abnégation et dévoûment à l'égoïsme, à l'avarice, à l'indifférence politique, ces tristes sentiments caractéristiques de la HAUTE ARISTOCRATIE Légitimiste?...

Car, hélas! si vous faites appel, à défaut d'autre concours possible, à la bourse de ces thésauriseurs à l'étranger, il vous répondent, à quelques honorables exceptions près, et d'un ton héroïque à faire pouffer de rire ou éclater de colère qui les connaît :

<< Ma bourse est vide!..... Mais mon sang tout entier <«<et jusqu'à la dernière goutte, je suis prêt à le répan<< dre pour mon Roi, à son premier signal!..... >>

Quelle ressource et quel appui qu'un sang appauvri, qui s'est pourri même dans les palais de toutes les puissances d'ici-bas!... Ces séjours empestés de la courtisanerie, de la basse adulation, de la vanité!...

- << A nous, disent-ils, les profits des restaurations; << mais aux vilains de la monarchie, A NOS MOUTONS, <«<les charges exclusives du dévoûment!...

<«< A nous les jouissances, les honneurs, les dignités, «<le faste, le sybaritisme, les petits soupers, les courti<«< sanes aux frais du Roi; mais a NOS MOUTONS, les <«<< sacrifices, les tribulations, les cachots, les galères, <«< l'échafaud, les procès, les recors, la misère!........ et << pour bouquet d'ingratitude :

« LE DÉNIGREMENT ET LA CALOMNIE!... >> Que répondre à d'aussi odieux, à d'aussi criminels calculs, sinon qu'il vaut encore mieux rester en république que d'avoir jamais à subir les insolents dédains de pareils POTENTATS, et s'en remettre à Dieu pour le châtiment qu'ils méritent!...

Voilà, en quelques traits, l'esquisse du tableau statistique des partis qui se heurtaient partout dans Paris, au moment du cataclysme du 24 février.

Que l'on s'étonne donc de l'existence de la tour de Babel après en avoir eu sous les yeux la fidèle image!...

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