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« Comme vétéran de la grande armée, vous avez «< bien voulu, capitaine, vous souvenir du neveu de << l'Empereur, exilé; croyez que je suis bien sensible à << cette marque d'intérêt et que tout ce qui me rappelle << la gloire française a droit à mon affection.

<< Recevez, capitaine, l'assurance de mes sentiments, << Signé : Napoléon-Louis BONAPARTE. »

Sept mois après la réception de cette lettre, ayant profité des vacances de mon fils, pour visiter la Suisse, en famille, le hasard nous fit descendre à l'hôtel de Bellevue, à Thoun, qu'habitait le prince Louis-Napoléon, pendant le temps que duraient les exercices de cette école d'artillerie de la Suisse, et ce jour, 21 septembre 1836, j'eus avec lui une conversation du plus haut intérêt historique et politique, et cela pendant plusieurs heures.

il y

Cet entretien je l'ai écrit peu de jours après, a bientôt seize années, et lu depuis lors dans plusieurs salons de Paris, où chaque fois l'on insista pour que je le publiasse; je le fais aujourd'hui pour la première fois, même en extraits comme ceux-ci.

Dans cet entretien qui eut lieu cinq semaines seulement avant sa tentative de Strasbourg, le prince ne me dissimula pas ses projets, par la confiance que j'avais su lui inspirer tout en lui refusant franchement mon

concours.

Je vais donc extraire de mon manuscrit, encore inédit, je le répète, les passages que je crois le plus en harmonie avec les événements qui se déroulent, en ce moment, sous nos yeux; et je ne crois manquer ni aux convenances, ni à l'affection toute personnelle que j'ai vouée depuis 1835, au prince Louis, en les burinant ici.

Mon premier entretien avec le Prince Louis-Napoléon.

« L'hôtel de Bellevue, à Thoun, élevé au milieu d'un délicieux jardin anglais, comme un belvédère dans une maison de plaisance, domine ce lac, et de ses terrasses ainsi que de ses appartements, chacun peut promener ses regards sur les montagnes de l'Oberland.

<< Mon premier mouvement, en entrant dans la coquette salle à manger de l'hôtel, fut de m'informer si le prince était chez lui, et sur la réponse affirmative de l'un des garçons, j'écrivis ces quelques lignes que je lui fis transmettre :

<< Le capitaine Hippolyte de Mauduit, fondateur et << rédacteur en chef de la Sentinelle de l'armée fran

«çaise, descendu à l'hôtel de Bellevue, mais pour deux << heures seulement, apprenant que S. A. le prince << Louis s'y trouve, ne peut résister au désir de presser << la main d'un neveu de l'Empereur, dont il a été l'un « des soldats les plus dévoués.

« Le capitaine Hippolyte de Mauduit serait recon<< naissant à Son Altesse, si elle voulait bien lui faire <<<< l'honneur de le recevoir. >>

<< Deux minutes après, un valet de chambre du prince vint me prier de me rendre auprès de lui.

« J'avais à peine entr'ouvert la porte de son cabinet, que le prince me prit affectueusement la main, et m'embrassa comme un ami que l'on n'a pas revu depuis longtemps.

« Des larmes d'émotion roulèrent dans ses yeux; j'en ressentis le magnétique contre-coup.

<< Le prince, me tenant toujours la main, me dirigea vers une petite causeuse, et m'y fit asseoir à ses côtés. Nous y restâmes ainsi pendant plus de deux heures.

« Là, en tête-à-tête, se passa un entretien que je ne me rappelle jamais sans charmes, et que je crois assez digne d'intérêt pour en retracer ici les traits les plus saillants l'histoire pourrait bien un jour y glaner quelque chose.

<<< Ah! combien je suis sensible, monsieur de Mau<< duit, me dit le jeune prince-il avait alors 29 ans << à votre bonne visite; il est toujours si doux pour un << proscrit de retrouver un compatriote, et surtout un << compatriote dont le cœur est resté pur au milieu de

<< tant d'événements politiques qui ont flétri tant d'il<«<lustrations et fait tant d'ingrats!... >>

- << Il n'est que trop vrai, prince, que la catastrophe de 1830, aussi bien que celle de Fontainebleau, n'ont que trop prouvé l'inconstance des hommes, et le peu de confiance et d'estime qu'ils doivent inspirer.

<< Le soldat, seul, ainsi que le véritable peuple, celui que n'a point encore corrompu l'atmosphère empestée des grandes villes, sont restés honnêtes et vraiment patriotes au milieu de ces bouleversements successifs, fruits de l'intrigue, de la cupidité, de l'orgueil et de l'ambition, bien plus encore que le résultat d'une pensée sérieuse de retour à la légitimité ou à la liberté, qui, tour à tour, servirent de masque aux héros de 1814 et de 1830. >>

— « Je suis bien heureux aussi, reprit le prince, de << vous exprimer de vive voix mes remerciments à l'oc<«<<casion du bienveillant compte-rendu que vous avez << fait de mon histoire de l'artillerie, dans votre Senti« nelle que je reçois et je suis toujours avec un vif in<< térêt, car tout ce qui a rapport à l'armée française est << pour moi l'objet d'une sollicitude et d'une étude par

<< ticulières.

« Aussi, ai-je lu avec une sérieuse attention votre « Ami du soldat, dont vous m'avez si galamment fait << hommage.

« On aime à voir un officier consacrer ses loisirs à « doter l'armée du fruit de son expérience et de son <<<< instruction. »

<«< C'est mon unique passe-temps aujourd'hui, prince, et depuis que j'ai brisé mon épée pour ne pas l'employer au service d'une révolution que j'avais combattue, et surtout d'un homme que je ne puis que mépriser, moi, ancien officier de la garde royale, si souvent témoin des bassesses courtisanesques d'une famille qui, depuis si longtemps, n'a été que le mauvais génie de la France, souvent sa honte, et toujours la cause de ses révolutions!... >>

A ces mots, énergiquement prononcés, le prince me serra fortement et sympathiquement la main, et me pressa de questions auxquelles je répondis avec une grande franchise et le plus complet abandon : que l'on en juge. »

- << Il paraît, reprit le prince, que Louis-Philippe a « déjà perdu de son premier prestige sur les masses, et << que celles-ci ne seraient même pas éloignées de cher<< cher ailleurs un objet d'affection?... »

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<<< Ce prestige, prince, n'a duré que le court espace d'une lune de miel dans un ménage mal assorti. <<< Pour mériter l'estime, la confiance, et surtout l'affection du peuple, il faut avoir un cœur noble, droit, généreux, des sentiments honnêtes, loyaux, patriotiques; or, Louis-Philippe est l'antipode de ces vertus civiques. Ambitieux et cupide, l'or et le trône sont tout pour lui.

<< Il rêvait, depuis longues années, à opérer, au profit de sa famille, une parodie de la révolution de 1688, qui renversa l'antique famille des Stuarts, et se donna

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