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je vous remercie, en son nom, de votre empressement à me l'accorder.

- « J'ai conçu de l'affection pour le jeune prince, répondis-je à M. de ***, depuis qu'un heureux hasard me le fit rencontrer à Thoun en 1836; je me rends donc avec plaisir à votre invitation, et je serais heureux d'être agréable au prince, si toutefois la chose est en mon pouvoir.

-<«< Rien ne vous est plus facile, reprit M. de ***, cela ne dépend que de vous. »

M. de ***, me rappelant alors mes entretiens avec le prince Louis, à Thoun, et l'estime qu'il en avait conservée pour mon caractère, entra immédiatement dans le sujet de la mission toute spéciale dont il se dit chargé près de moi.

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<«< Le prince Louis, me dit en débutant son ambassadeur, connaît votre action sur les masses de l'armée, par ce dévoûment inébranlable que vous déployez pour leurs intérêts et leurs droits.

<< Il sait également toutes vos antipathies personnelles pour Louis-Philippe et son gouvernement, ainsi que vos efforts pour arriver à les culbuter.

« Le prince, vous le savez, est aussi son ennemi naturel, puisque, par sa naissance, il se croit des droits au trône, et qu'il persiste à les revendiquer malgré son premier échec de Strasbourg; il m'a donc confié la mission toute spéciale de vous voir et de réclamer votre concours à sa prochaine tentative.

-« Je suis touché, monsieur, de ce nouveau té

moignage de la haute confiance du prince Louis, et répondrai en franc et loyal soldat à ses confidences, alors même que je ne croirais pas plus devoir m'associer à ses projets futurs que je ne crus pouvoir participer à ceux de Strasbourg, auxquels il me convia. << Les circonstances ne sont plus les mêmes, reprit M. de ***; les chances d'aujourd'hui sont plus favorables que les premières; encore furent-elles au moment d'obtenir un succès complet.

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-« Je le sais, monsieur, et il n'est pas douteux qu'avec un peu plus de résolution et d'intelligence que n'en montrèrent les conjurés du prince, le mouvement de Strasbourg eût pu réussir et renouveler le 20 mars, parce que, sur ce point, se trouvaient une population sympathique, une armée nombreuse et favorablement disposée; mais telles ne sont pas les conditions d'une tentative sur les côtes de la Manche.

- « C'est vrai, monsieur de Mauduit; mais aussi le prince a-t-il complété, par d'autres éléments, ce qui lui manquait à Strasbourg; je vais vous en donner la preuve. »

- «Le prince ne se fait-il pas encore des illusions, monsieur, sur ses chances; car, aux yeux de bien des gens, un premier échec doit inspirer de la défiance, ou tout au moins une réserve fâcheuse en pareilles conjonctures, où il faut tant de zèle, tant de foi et tant d'audace? >>

- « Le gouvernement de Louis-Philippe, reprit M. de ***, a commis bien des fautes depuis 1836, semé

plus d'un germe de mécontentement et de désaffection dans le public comme dans l'armée; et pour ce qui concerne celle-ci, vous en développez chaque jour, avec une grande habileté, toutes les conséquences; c'est cette tactique, qui n'a point échappé à l'attention du prince, votre fidèle abonné, qui m'a fait détacher auprès de

vous. >>

- «Le prince connaît en effet, monsieur, mon but aussi bien que mes sentiments politiques. Je préférerais, sans nul doute, voir aux Tuileries un neveu de l'Empereur qu'un fourbe comme Louis-Philippe; mais ayant engagé ma foi au principe de l'hérédité monarchique, je ne puis consciencieusement et tant que je ne me croirai pas dégagé de mon serment, agir dans l'intérêt d'un prétendant autre que Henri V, quels que puissent être d'ailleurs mes souvenirs et mes affections antérieurs. >>

-« Je sais, monsieur de Mauduit, que tous vos efforts comme tous vos sacrifices tendent au rétablissement de la monarchie légitime; moi aussi je fus pendant longtemps l'un des plus fervents apôtres de ce principe, mais je le crois bien loin des sympathies des masses, qui ne verraient, dans sa résurrection, que le retour à la dîme. aux droits féodaux, au despotisme du clergé et de la noblesse de cour. »

<< Ah! monsieur de ***, vous avez trop d'élévation dans les sentiments et trop d'intelligence pour croire sérieusement à de pareilles billevesées politiques!... >>

<< Certainement je suis bien loin de croire à de telles aberrations; mais comment les déraciner de l'esprit de ces mêmes masses après cinquante années de prédications incessantes et sous toutes les formes?... Là seront pour longtemps encore, sinon pour jamais, les principales barrières opposées à Henri V, et je doute que le dévoûment de ses amis, quelque méritoire et zélé qu'il soit, puisse les surmonter. Or, dans de semblables impossibilités ne serait-il pas préférable de reporter ce même dévoûment sur un autre principe politique qui a conservé une popularité dont les gouvernements ne peuvent plus se passer à l'époque où nous vivons?

« Le représentant de ce principe magnétique qui s'allie à la gloire comme aux tendances démocratiques du XIXe siècle est aujourd'hui le prince Louis, et vous qui avez été à même de le voir et de l'entendre, vous le connaissez assez pour savoir qu'il est homme à le défendre comme à le revendiquer. »

***

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- « J'en conviens avec vous, monsieur de mais si je crois à la possibilité de la réalisation de ses espérances, je doute fort qu'il lui soit jamais possible d'implanter une dynastie napoléonienne sur l'antique terre de France, à moins de la greffer sur la şouche même de sa vieille monarchie.

« Je persiste donc, monsieur, dans l'opinion que j'ai émise devant le prince, à Thoun : « Qu'une épée de « connétable était préférable à une couronne usurpée,

« l'usurpation fút-elle sanctionnée par de nouvelles «assemblées primaires. »

« Je sais parfaitement toutes les objections que l'on fait ou peut faire sur la morgue de l'aristocratie de cour, sur son incapacité même. Je le déplore certes plus que personne, car ce sont là, à mon avis, les griefs les plus sérieux, les plus fondés peut-être, contre le retour de Henri V.

<< Mais pourquoi n'espérerait-on pas enfin éclairer le Joas de la monarchie française sur ses véritables intérêts, comme sur les antipathies qui s'opposent au triomphe du principe qu'il représente ?... »

- << Cela me paraît impossible, répondit M. de ***; c'est un joug de plomb qui pèse et pèsera sur la tête de votre jeune prince, comme il pesa sur ses prédécesseurs et sans qu'il puisse le secouer. >>

-« Détrompez-vous, monsieur de ***, car la noblesse de province ne veut pas plus aujourd'hui subir ce joug, que la bourgeoisie, que le clergé, que le peuple. Il faudra donc bien que Henri V rompe en visière tôt ou tard avec tous ces ridicules rejetons des talons rouges du XVIIIe siècle ou qu'il renonce à jamais remonter sur le trône de ses ancêtres.

<< Son intérêt seul lui fera donc comprendre que si un pays ne peut se laisser gouverner par sa populace, il ne peut non plus être dirigé que par les hommes d'intelligence et de haute capacité, à quelque classe qu'ils appartiennent, et qu'il ne suffit plus, de nos jours, d'être né duc, marquis, comte ou baron, pour avoir également

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