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CHAPITRE X.

Nous voici au 4 novembre, jour solennel de la rentrée des vacances. Chacun se présente à la vaste salle d'étude en carton-pierre, et ya s'y placer sous la férule du président perpétuel de la pédagogie parlementaire.

Silencieuse, triste et sombre d'abord, comme le temps au moment d'un orage, un sourd bourdonnement se fait bientôt entendre, l'agitation redouble de minute en minute, à mesure que les couloirs se dégorgent des arrivants qui s'y donnent l'accolade fraternelle. Tous portent à la main un rouleau qu'ils déposent sur la table aux mercuriales et aux pensums, ce sont des milliers de signatures illisibles, recueillies pendant la villégiature, pour ou contre la révision de la Constitution ou le rétablissement du suffrage universel, casus belli du moment.

A l'aspect de ces teints pourprés et riants, on croirait le fiel disparu et les nerfs revenus à leur état normal de calme. Mais il n'en est rien. Le Chambertin ni le clos Vougeot, le Champagne ni le Côte-rôtie, le Sauterne ni le Frontignan, le Lunel ni le Grave, n'ont pu fondre la bile emportée de Paris; le contact de son atmosphère a suffi seul pour la remettre en fermentation: encore trois jours et la discorde sera partout.

A qui sera-t-il donné de la calmer et de mettre à la raison tous ces collégiens sexagénaires et autres ?... C'est ce que je vais raconter.

Dans le courant du mois de mai, le hasard fit tomber entre mes mains un rapport d'ensemble sur les menées des sociétés secrètes et démagogiques du midi, du centre et de l'est de la France; ce rapport, parfaitement rédigé, donnait jusqu'aux noms, adresses et professions de tous les principaux conjurés de chaque localité, depuis Toulon jusqu'à Lyon, depuis Montpellier jusqu'à Bayonne et Bordeaux. Ce rapport, par toutes ses révélations, faisait dresser les cheveux, imposait d'impérieux devoirs au gouvernement; il ne s'agissait rien moins que de sauver la société tout entière du plus effroyable cataclysme. Ce rapport, je l'ai tenu dans les mains, médité profondément, et je regrette de n'en avoir pu prendre copie, il prouverait, à qui doute encore des projets sauvages de 1852, ce que des hommes qui se disent Français se proposaient de faire de la France!....

Et le Parlement, au milieu de ses intrigues, de ses divisions intestines, avait l'orgueil ou l'ingénuité

de viser à la dictature souveraine, et de se croire capable de préserver la France de la jacquerie qui la menaçait!...

Une volonté unique, un caractère que rien ne rebute, une armée dans la main, pouvaient seuls sauver la France, le Parlement lui-même.

Mais avant toutes choses, il fallait assurer à cette volonté unique, à ce caractère inébranlable, à cette main armée, les sympathies des masses honnêtes, en reconquérant la popularité du suffrage universel, si mutilé au profit de l'Orléanisme par la loi du 31 mai.

Ce fut donc la première démarche gouvernementale à tenter contre l'hostilité systématique du Parlement.

Le Président de la République la fit; le Parlement ne la repoussa qu'à la simple majorité de 3 voix.

Cet échec, quelque peu grave qu'il fût, dénotait néanmoins une opposition réelle aux vues protectrices du Prince président.

Mais une sorte de vertige ayant inspiré aux questeurs, comme au président Dupin qui, de sa main, avait corrigé leur proposition, une déclaration de guerre directe au pouvoir exécutif, le prince Napoléon dut se mettre en mesure de relever le gant et de rester maître du champ de bataille.

Le Prince se mit donc à passer successivement en revue et par brigades, la belle et solide armée de Paris, à la préparer au rôle si important, si décisif auquel il allait bientôt peut-être l'appeler, dans l'intérêt du pays

plus encore que dans celui d'une ambition dont on l'accusait dans le Parlement.

Toutes ses mesures prises, arrêtées dans leur ensemble comme dans leurs détails, le Prince attendit de pied ferme.

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