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Lorsque je les supposai tous descendus, je montai à mon tour chez le général Magnan, mon ancien frère d'armes de la garde impériale et de la garde royale, et là, pendant vingt minutes nous nous entretînmes de la gravité de la situation qui ne permettait plus d'hésitatation sur un parti décisif; qu'il fallait ou que le Parlement se déclarât Convention, ou que le Président de la République fit un second dix-huit Brumaire au profit de la société menacée d'une destruction complète, si une main vigoureuse, habile n'intervenait à temps.

« Avez-vous lu et médité, mon cher général, la note qui vous a été remise, il y a quelques jours, sur la situation politique du pays?... »

- << Oui, mon cher de Mauduit, reprit le général, et ouvrant l'un des tiroirs de son bureau, il me la montra avec les quatre pages d'observations qu'il y avait ajoutées, et dans lesquelles il répondait avec une grande lucidité et une très-haute intelligence à la note en question.

- « Les événements se précipitent, mon cher général; prenez garde d'être pris en flagrant délit par des adversaires plus lestes ou plus audacieux!... La lutte est, à mon avis, imminente entre les deux pouvoirs qui se disputent la suprématie, et si le pouvoir exécutif ne se hâte pas de profiter de tous ses avantages présents, dans un mois, il sera trop tard, et vous serez tous à Vincennes, pour vos étrennes! >>

- « J'ignore quels peuvent être à ce sujet les projets du Président de la République, reprit le général, mais si

je reçois l'ordre de dissoudre le Parlement, je l'exécute à l'instant; il a déclaré les hostilités et je suis prêt à relever le gant; il nous mènerait droit à l'anarchie! ».

- « Bravo! mon cher général, repris-je, mais entrez en campagne au plus vite, il y va du salut du pays, et vous l'avez bien compris.

Je serrai la main au général en le félicitant sur la détermination que je persistais à considérer, plus que jamais, comme la seule solution possible, pour éviter à la France de plus grands malheurs que la prétendue violation d'une Constitution mort-née, et qui d'ailleurs, ne méritait certes pas plus de respect que ses grand'mères, qui toutes, sans exception, avaient été violemment déchirées et traînées dans le sang et dans la boue.

En sortant du quartier-général, je ne mis plus en doute le succès du coup d'État et sa très-prochaine exé

cution.

CHAPITRE XIII.

Les paroles énergiques qu'avait prononcées devant moi le général Magnan, rapprochées de ma dernière soirée passée chez le général Leflô, quelques jours avant, ne permettaient plus de douter de l'imminence du conflit entre les deux pouvoirs.

Je rentrai donc très-préoccupé de ces graves conjonctures dont l'issue n'était pas du reste une question pour moi la victoire serait pour le pouvoir exécutif.

Je me couchai et m'endormis avec la pensée intime qu'à l'un de mes prochains réveils j'apprendrais la solution de ce grand problème politique.

Ayant, pendant mes longues captivités, contracté l'habitude de travailler au lit; j'y tenais encore la plume, lorsque le vendredi matin, vers dix heures et demie, trois coups de canon précipités se firent entendre dans la direction même du palais Bourbon.

Quelques secondes après, trois autres détonations également précipitées frappèrent mon oreille.

<< Ah! me dis-je; c'est le général Leflô qui exécute son plan, celui d'appeler la population de Paris au secours de l'Assemblée, contre laquelle marche le prince Napoléon, à la tête des troupes, qui veulent en finir avec cette réunion de bavards et d'intrigants de toutes les couleurs!...

Je me levai brusquement et courus à ma croisée, en interpellant mon voisin, comme moi, vieux soldat de la garde impériale, et, comme moi aussi, naufragé de Waterloo.

- «En effet, me dit mon ancien frère d'armes, ce n'est pas ainsi que s'exécutent ordinairement de simples exercices à feu au Champ-de-Mars. Il y a là quelque chose d'extraordinaire ; je vais courir aux nouvelles et viendrai vous les transmettre. >>

Aux détonations de l'artillerie, succédèrent bientôt les fusillades de l'infanterie, qui de minutes en minutes étaient accompagnées par des obusiers ou des canons.

Ce feu roulant, image vraie d'un combat sérieux, dura ainsi pendant près d'une heure, et cessa tout à

coup.

- «La bataille est gagnée, me dis-je: pourvu que le général Leflô ne se trouve pas au nombre des morts, car certes il a du être le dernier à quitter son poste. » J'étais plongé dans ces tristes préoccupations, lorsque mon voisin vint m'annoncer, en toute hâte, que c'était la brigade du général Marulaz qui manœuvrait au

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Champ-de-Mars, et qu'elle avait passé sur le quai de la rive droite, à 9 heures. Cette nouvelle me rassura sur le compte de mon cousin le général Leflô, mais ne changea en rien mon opinion sur la prochaine déroute de l'Assemblée dite nationale.

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