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légèrement et de bien prendre garde dans le choix fait des médecins qui doivent éclairer la justice.

que l'on

vital,' et comme preuve on ajoutait que, dans une érosion, les bords de la partie érodée présentaient ordinairement une rougeur plus ou moins vive, causée par l'inflammation, l'irritation du tissu malade. Il va sans dire que cette réponse fut interprétée par le président dans le sens de l'accusation, puis répétée et commentée toujours dans le même sens aux jurés, qui, sans doute, n'eurent à faire aucune objection.

On voit de suite à quelle malheureuse confusion de langage a donné lieu le terme impropre d'érosion dont on s'est servi dans le procès-verbal. Ce mot d'érosion ne pouvait qu'induire en erreur, et donner une fausse idée sur la nature de la lésion observée, lésion que le médecin a eu le premier tort de ne pas décrire minutieusement, puis de qualifier d'érosion, expression, je le répète, impropre et erronée, qui a amené le résultat fatal que l'on connaît.

Par érosion (erodere, ronger), on doit entendre une lésion avec perte de substance, et due à l'action rongeante d'un corps ou d'une substance corrosive, ou d'une affection morbide spéciale. Or, c'est en effet dans ce dernier sens, et dans ce sens strictement interprété, que le docteur appelé pendant les débats a compris la question qui lui était faite et y a répondu. On comprend, du reste, que rien de semblable ne saurait jamais être produit par une pression exercée sur le nez, soit que cette pression ait été opérée par le premier médecin pour extraire la mousse écumeuse qui en sortait, soit, si l'on veut, et dans le sens de l'accusation, qu'elle ait été faite par l'un des accusés pour étouffer le jeune homme. Dans l'un ou dans l'autre cas, il est évident que la lésion qui a dû résulter d'une semblable manœuvre ne pouvait être qu'une éraillure ou une excoriation, accompagnée de signes de contusion plus ou moins prononcés. L'auteur du procès-verbal n'eût pas dû non plus se dispenser de faire la description exacte des parties lésées; ceci est de principe, surtout lorsqu'une lésion doit jouer un si grand rôle dans une affaire de ce genre. S'il eût appelé par leur nom véritable les lésions du nez, le président n'eût pas posé une question relative à l'érosion, et le médecin mandé pendant les débats pour se prononcer sur cette question, eût répondu tout autrement qu'il ne l'a fait en prenant ce mot érosion dans le sens technique et étymologique. Il en est résulté, je le répète, un quiproquo, une confusion de langage déplorables; il en est résulté que ce médecin a répondu à ce que l'on n'eût pas dû lui demander, et qu'il a fait, à une demande complétement en dehors du véritable objet en question, une réponse également étrangère à cet objet, puisque la lésion du nez n'était pas et ne pouvait être une érosion.

Voici le texte de cette lettre, dans laquelle l'ordre des deux affaires a été interverti: le lecteur verra que l'on répond d'abord à la question de l'asphyxie par submersion; puis, ensuite, que l'on parle de l'affaire du prétendu étranglement dont j'ai parlé en premier lieu :

Paris, 2 juillet 1847.

« Monsieur et honoré confrère,

>> J'ai envoyé aujourd'hui à la diligence les deux Mémoires à consulter que vous m'avez confiés; vous les recevrez demain. Je vous dirai que les observations que vous avez présentées contre le rapport de M. *** me paraissent fondées ; il est évident pour moi que ce médecin n'a pas suffisamment tenu compte des altérations cadavériques, et qu'il a attribué à une cause violente ce qui pouvait bien n'être qu'un effet de la mort. J'ai lieu de m'étonner aussi que l'on ait fait jouer un rôle quelconque aux érosions du nez. En somme, je suis de votre avis; j'aurais seulement désiré un peu moins de rudesse dans la forme et dans les termes de vos réflexions.

» Quant à l'affaire B..., je pense aussi qu'elle a été traitée avec légèreté par le docteur ***, et si je n'approuve pas complétement toutes vos objections, du moins est-il qu'au fond je partage votre avis.

» Agréez, etc.

Signé ORFILA. >>

Je viens de citer deux notables exemples d'erreurs médicales dont les suites ont été funestes. Qu'il me soit permis, sans sortir de mon sujet, en quelques mots seulement de vous donner connaissance de divers autres cas, heureusement moins graves, et qui, pour n'avoir pas donné lieu à des poursuites judiciaires, n'en montrent pas moins combien il est facile de se tromper lorsque l'on n'apporte pas, dans les examens qui nous sont soumis, l'attention minutieuse, le soin, la patience et le désir sincère de s'acquitter consciencieusement

2 SÉRIE, 1854. - TOME I

1 PARTIE.

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de fonctions qui intéressent à un si haut degré la liberté, l'honneur et la vie des citoyens. Ainsi que ceux dont j'ai parlé plus haut, les médecins qui avaient été appelés, et qui avaient fait des rapports pour les cas que je vais citer, ne pèchent certainement pas par le défaut d'instruction ou de science, et cependant ils se sont trompés. C'est que, ainsi que je l'ai déjà dit, les opérations pour lesquelles le médecin est appelé pour éclairer la justice sont ordinairement peu attrayantes, et qu'ils ont reculé devant les recherches sérieuses qu'ils avaient à faire.

1o En 1847, une vieille femme fut trouvée morte dans sa chambre, rue des Avirons, à Rouen. Un médecin visita cette femme; il déclara qu'elle était morte d'apoplexie, et fit un rapport dans ce sens. Appelé quelques heures plus tard, je trouvai, autour du cou, les cordons de son tablier, dont elle s'était servie pour se pendre, et qui s'étaient cassés sous le poids du corps, soit lorsqu'elle fut morte, soit lorsqu'ayant complétement perdu connaissance et s'abandonnant à ellemême, le poids du corps se trouva ainsi augmenté. La suspension avait eu lieu à l'aide d'un clou enfoncé dans la muraille, entre les deux fenêtres, à 1,40 du sol. Cette femme avait été trouvée accroupie ou affaissée sur elle-même. Le premier médecin l'avait visitée sans la changer de place et sans la déshabiller.

2o En 1852, un homme d'environ trente ans, fort et bien constitué, fut trouvé mort sur la route du Boisguillaume (Seine-Inférieure). Un médecin qui le visita, ayant aperçu du sang qui s'échappait par la bouche, fit un rapport dans lequel il affirma que le sujet était mort d'un coup de sang, d'une hémorrhagie. Or, cet homme était atteint d'une fracture de la cuisse, ainsi que de fractures multipliées du sternum et des côtes. Le cœur était littéralement broyé : une lourde voiture lui était passée sur le corps. Ce sujet avait, comme le précédent, été visité sans être déshabillé.

3 Poussée par quelques voisines, irritées contre un homme vivant séparé de sa femme, une jeune fille de sept ou huit ans se déclare violée par son père; elle répond à toutes les questions qui lui sont faites sur ce sujet, de manière à faire croire que l'attentat est consommé. Un honorable médecin, sans doute prévenu par tous ces commérages, visite la jeune fille, et déclare qu'elle est déflorée. Le commissaire de police, désirant avoir l'avis d'un second médecin, m'amène l'enfant, chez lequel on remarquait non seulement un hymen intact, mais un hymen circulaire fermant presque complétement l'orifice vaginal, et laissant seulement, dans son centre, une ouverture du diamètre d'une plume de corbeau. Cet homme est heureux que l'idée d'une seconde visite soit venue au commissaire de police; sans cela, il serait aujourd'hui aux travaux forcés.

Je pourrais augmenter cette liste d'un certain nombre d'erreurs commises à propos de visites d'aliénés ou de prétendus aliénés. C'est surtout ici qu'il est besoin d'une prudence exquise et d'une étude spéciale de cette branche importante de l'art de guérir. C'est surtout dans ces occasions qu'il faut se tenir en garde contre les suggestions de tiers plus ou moins intéressés à éloigner ou à se défaire d'un parent ou d'un voisin; contre la simulation du sujet lui même, que la misère de ses parents ou quelque autre motif porte à désirer son admission dans un hospice d'aliénés, etc. Mais je suis obligé de m'arrêter et de terminer ici cet article, peut-être un peu long. Ce qui précède suffit pour démontrer combien il serait important d'appeler deux médecins pour les opérations médico-légales, et de rendre, ainsi que je l'ai dit plus haut, par une loi, cette formalité obligatoire.

PRÉSENTATION A L'AUDIENCE DE TACHES D'ANTIMOINE,

PAR A. CHEVALLIER,

Une affaire d'une extrême gravité a été portée devant les assises de la Côte-d'Or le 16 février 1854. Elle mérite d'être publiée par suite de ce qui s'est présenté lors des débats. Voici les faits établis dans l'acte d'accusation :

<< Dans les premiers jours du mois d'avril 1853, Claudine B..., femme D..., tomba malade; d'une constitution débile, cette femme n'avait jamais joui d'une bonne santé. Bientôt son état devint assez grave pour que l'on fût obligé d'appeler un médecin. La maladie présentait les symptômes d'une gastro-entérite, qui ne paraissait pas devoir être mortelle. Du 6 jusqu'au 12, elle suivit son cours sans danger d'une manière sensible; mais ce jour même, D... vint trouver le médecin, et lui déclara que sa femme était dans un état désespéré et qu'il était inutile qu'il continuât ses visites, parce qu'elle allait mourir.

» Sans tenir compte de cet étrange avertissement, M. M... retourna voir la malade. Malgré les sinistres prévisions du mari, dans la journée du 13 il ne s'était manifesté aucun symptôme alarmant ; mais pendant la nuit du 13 au 14, survinrent des accidents tellement graves et tellement inattendus, qu'en même temps qu'ils éveillaient les soupçons du médecin, ils lui firent prévoir une catastrophe inévitable et prochaine.

» La malade, qui, la veille, était encore assez bien, se trouvait, le 14, dans un état désespéré. Pendant la nuit, elle avait été prise de vomissements violents, et avait rejeté des matières de couleur suspecte. Ces vomissements avaient semblé la soulager un peu, Elle accusait de vives douleurs, comme des brûlements à l'estomac; elle avait la figure crispée, le ventre tendu, ballonné, et enfin le bras droit et les cuisses entièrement pa

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