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le-champ les mêmes accidents; on ne pourrait plus les considérer alors comme le résultat d'une indigestion stomacale; de plus, la quantité de cidre prise alors fut si petite, qu'on comprendrait encore moins la possibilité d'une semblable indigestion.

Reste alors la seconde hypothèse qui expliquerait ces accidents par un état nerveux ou spasmodique déterminé par la frayeur.

Voici, en effet, ce qu'on pourrait imaginer. D... boit le soir du cidre salé; il n'en est pas indisposé d'abord, mais il est frappé de sa saveur désagréable. Dans la nuit, il réfléchit à cette saveur, et l'idée lui vient pour la première fois que la liqueur pouvait contenir quelque substance nuisible... Sentiment de crainte et bientôt de frayeur facile à exciter chez un homme naturellement faible d'esprit et crédule (fait signalé par un médecin du pays); de là frissons, refroidissement; puis retour du calme, lorsque l'individu s'aperçoit qu'en définitive il ne ressent aucun malaise réel. Cette explication se fortifie quand on remarque que les mêmes accidents reparaissent aussitôt qu'une nouvelle ingestion de cidre salé a lieu. Les frissons reviennent subitement alors et par l'ingestion d'un demi-verre de liquide seulement, parce que l'idée de substance toxique se représente sur-le-champ et ramène toute la frayeur, qui, la première fois, n'avait été que le résultat de réflexions plus ou moins prolongées.

En définitive, tout semble, dans ce fait, établir que l'imagination a fait les principaux frais de la production des accidents, et que le cidre altéré n'en a été que la cause tout à fait occasionnelle, nous dirions presque la cause tout à fait détournée.

Nous tirons de ce qui précède les conclusions pratiques suivantes :

1° Un individu peut prendre une substance inoffensive et éprouver quelques accidents plus ou moins sérieux, dépen

dants soit d'un état commençant d'indigestion, soit de la crainte qu'il éprouve d'avoir ingéré un poison.

2° Les symptômes observés dans ce cas sont surtout de na

ture nerveuse.

3o Le médecin appelé auprès d'une personne qui éprouve ces symptômes, et qui les rapporte à l'ingestion d'une substance nuisible, cherchera à s'assurer d'abord s'ils ne sont pas produits par la crainte, et n'émettra l'opinion d'un empoisonnement que s'il en trouve des symptômes marqués.

Dr V. RACLE.

SUSPICION

D'EMPOISONNEMENT DE QUATRE PERSONNES PAR LE CUIVRE,

FAITS CONSTATÉS LORS DE L'ANALYSE, mise en liberté des prévenus ;

PAR A. CHEVALLIER,

On sait qu'il y a quelques années on se servait de solutions arsenicales pour l'embaumement des cadavres, et qu'il y aurait eu impossibilité de constater, dans le cas où des soupçons d'empoisonnement se seraient élevés, si l'arsenic provenait d'empoisonnement ou de l'injection opérée dans le but de conserver le cadavre. L'administration a pris de sages mesures pour qu'il ne puisse y avoir de doute par la suite, et elle a défendu de faire usage des liqueurs toxiques arsenicales lors des embaumements.

Les rapports que nous publions ici font connaître que dans des cas de suspicion d'empoisonnement par le cuivre, la justice peut se trouver très embarrassée par suite de l'usage suivi dans les campagnes de mettre dans les cercueils des pièces de monnaie, des chapelets, enfin des objets de cuivre.

M. le ministre de la justice ne devrait-il pas, dans un but

de sécurité publique, exiger qu'il soit pris des mesures relativement au cuivre, comme cela a été fait pour l'arsenic?

Nous ne demandons pas qu'on interdise aux parents la faculté de mettre dans le cercueil des médailles, des chapelets, mais ne pourrait-on pas placer ces objets dans une petite boîte de fer-blanc, de telle sorte qu'il n'y ait pas d'oxydation, ou que, s'il y avait oxydation, les objets oxydés ne pussent imprégner le linceul, le cadavre, et donner lieu à des taches cuivreuses, et dans le cas de décomposition complète des matières organiques, se mêler au terreau et aux débris résultants de la décomposition humaine.

Dans le cas qui nous a été soumis, on verra qu'il existait au milieu des détritus organiques des débris de médailles, des restes de chapelet, qui nous ont mis dans l'impossibilité de nous prononcer sur les questions qui nous étaient posées.

PREMIER RAPPORT.

Nous, Jean-Baptiste Chevallier, chimiste professeur à l'École de pharmacie, membre de l'Académie de médecine et du Conseil de salubrité; Jean-Louis Lassaigne, chimiste professeur à l'École vétérinaire impériale d'Alfort, membre correspondant de l'Académie impériale de médecine, chargés en vertu : 4° d'une commission rogatoire décernée le 16 décembre 1853 par M. M..., juge d'instruction près le tribunal de C... ; 2° d'une ordonnance rendue le 23 décembre 1853 par M. M..., juge d'instruction près le tribunal de première instance de la Seine, vu la procédure suivie contre les nommés P. B... et M. M..., sa femme, inculpés du crime d'empoisonnement, de procéder, serment prété selon la loi, à l'analyse d'une portion des matières déposées dans chacun des quatre vases joints à la commission rogatoire du 16 décembre, à l'effet de déterminer la quotité d'oxyde de cuivre ou de toute autre substance toxique trouvée dans les matières renfermées dans chaque vase.

Par suite de ces actes judiciaires, nous nous sommes présentés dans le cabinet de M. le juge d'instruction; là nous avons prêté entre ses mains le serment de remplir en honneur et conscience la mission qui nous a été confiée.

Serment prêté, il nous a été fait la remise d'une caisse fermée et scellée, et renfermant les objets à examiner.

Cette caisse a été portée dans le laboratoire de l'un de nous où

-devaient se faire les expériences nécessaires pour répondre aux questions posées dans la commission rogatoire.

Description et ouverture de la caisse.

Cette caisse est de bois blanc, elle a 38 centimètres de longueur, 27 de largeur, 32 de hauteur; une bandelette de toile l'entoure de tous les côtés et présente un nœud arrêté par un scellé de cire rouge. On lit sur ce scellé : Juge d'instruction, tribunal de première instance de... On trouve sur le couvercle de cette caisse la mention suivante : Fragile. M. le procureur impérial près le tribunal de la Seine. Paris. Grande vitesse. Varennes à Paris.

L'intégrité des scellés ayant été constatée, on a procédé à leur ouverture et on y a trouvé les objets suivants :

1° Un pot blanc de faïence connu sous le nom de pot à confiture. Ce pot est fermé par du papier écrit, qui forme couvercle; ce couvercle est fixé par une ficelle dont les deux bouts sont arrêtés par un scellé de cire verte. Une étiquette carrée de papier blanc, fixée par quatre cachets rouges, porte les mentions suivantes: No 1. Matière recueillie dans le cercueil de la petite fille naturelle nommée M... Le juge d'instruction, M...

2° Un pot de faïence blanche analogue au précédent.

Ce pot est recouvert de plusieurs feuilles de papier écrit formant couvercle; il est fermé par une ficelle dont les deux bouts sont scellés par un cachet vert. Ce pot porte, à sa partie supérieure, une étiquette fixée par quatre cachets rouges; on lit sur cette étiquette les mentions suivantes : Matières recueillies dans le cercueil d'A. B... Le juge d'instruction M...

3o Un bocal de verre blanc fermé par un bouchon de liége sur lequel est un scellé rouge. Ce bouchon est fixé par une ficelle passant par-dessus le bouchon.

Sur le nœud et par-dessus le cachet rouge se trouve un cachet vert; ce flacon est muni d'une étiquette fixée par quatre cachets de cire rouge. On lit sur cette étiquette: N°3. Matières recueillies dans le cercueil de L. M... Le juge d'instruction, M.......

4o Un pot de grès. Ce pot, qui a une anse, est couvert par plusieurs feuilles de papier écrit; ce couvercle est maintenu par une ficelle dont les deux bouts sont scellés sur le dessus par un cachet vert. Sur la partie supérieure, à l'aide de quatre cachets rouges, on a scellé une étiquette sur laquelle on lit Terre du cimetière de la C... prise au-dessous de chaque cercueil. Le juge d'instruction M...

:

Toutes ces opérations étant terminées, nous avons procédé de la manière suivante sur les diverses matières qui nous avaient été remises.

Examen des matières contenues dans le pot no 1.

fille naturelle M...

Restes de la petite

Les objets contenus dans ce pot sont : 1° des matières animales dans un état de décomposition telle, qu'il est impossible de déterminer les organes auxquels elles appartiennent; 2° une partie du linceul qui a servi à ensevelir le cadavre.

On remarque sur le linceul de larges taches ayant une couleur verdâtre.

A ce linceul sont attachés trois petits os dont les extrémités ont une couleur verte qui est due à l'absorption d'une certaine quantité d'oxyde de cuivre. Ces os sont renfermés dans le flacon qui porte la lettre A.

Le fragment du linceul est placé dans le flacon qui porte la lettre B. Dans ce flacon est un tube dans lequel on a placé séparément les parties les plus tachées du linceul.

Voulant nous convaincre que les taches vertes qui se trouvaient sur le linceul étaient dues à du cuivre, on a enlevé deux de ces taches et on les a traitées par l'acide acétique, par l'ammoniaque, puis par le ferrocyanure de potassium.

Par l'acide, on a obtenu une solution qui, par l'ammoniaque, prenait une couleur bleue intense; par le ferrocyanure de potassium, la solution prenait une couleur rouge marron.

Enfin, une portion des parties tachées du linceul ont été mises en contact avec de l'acide acétique et une lame de fer, bientôt le fer s'est couvert d'une couche marquée de cuivre métallique.

Une portion du linceul ayant été prise pour être incinérée, afin de séparer le cuivre qui tachait le tissu, on s'aperçut, lors de la calcination, que dans les cendres provenant de cette opération, il y avait : 1. une épingle de fer, 2o une pièce de cuivre percée de deux trous à son centre et oxydée à sa surface.

Cette pièce, que nous regardâmes comme étant une médaille, avait une couleur noire, et, en détachant par le choc l'enveloppe (les battitures), on reconnaît qu'elle est de cuivre. Cette pièce se trouve dans le bocal marqué de la lettre C.

Les cendres provenant de cette opération contenaient du cuivre en très grande quantité; nous n'avons pas cherché à déterminer cette quantité en raison de ce que la pièce que nous avons trouvée avait fait partie du produit exposé à l'action de la chaleur.

On a séparé, autant que faire se pouvait, les matières qui se trouvaient dans le pot avec les portions du linceul; on a pris 100 grammes de ces matières, et on les a incinérées à feu nu dans un creuset neuf de Hesse. Le produit de l'incinération (les cendres) a été placé dans une capsule, et on l'a traité par l'acide azotique concentré; l'azotate, étendu d'eau distillée, a été filtré, puis traité par l'ammoniaque.

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