Page images
PDF
EPUB

jugés dignes par saint Paul de l'indulgence de l'Église. Ce sont ceux qu'on voit tellement pressés des douleurs de la pénitence, qu'il est à craindre qu'ils n'y succombent; et c'est pourquoi saint Paul n'use plus envers le pécheur d'aucun reproche; il n'a plus que des paroles de consolation, de charité, de douceur. »

:

<< Durant les persécutions, les martyrs intercédaient pour les pénitents, et on regardait leur intercession comme une espèce de sentence prononcée en leur faveur, pour leur faire rendre la paix et la communion c'est ce qui paraît dans une lettre de saint Denis d'Alexandrie'. » Ceux qu'on soumettait à la pénitence étaient privés de l'eucharistie et séparés des assemblées des fidèles. On leur rendait la paix, la communion, en les rétablissant dans ces assemblées et leur donnant le pain eucharistique, auquel tous les fidèles participaient chaque fois qu'ils assistaient au sacrifice.

« On voit, dans quelques lettres des martyrs, continue Bossuet, les larmes qu'ils versaient dans leurs prisons pour ceux qui étaient tombés durant la persécution: plus affligés de la chute de leurs frères que de leurs propres souffrances, à la veille d'expirer par la faim, ils ne s'occupaient que du soin de la conversion de ces malheureux...; et, comme si la souffrance de ces victimes de Jésus-Christ n'eût pas été assez violente, ils y ajoutaient, avec de continuels gémissements, l'humilité de la cendre et l'austérité du cilice. C'est ce qui paraît dans les lettres de Célerin et de Lucien, parmi celles de saint Cyprien.

[ocr errors]

L'Église avait égard aux intercessions des martyrs, à l'exemple du Sauveur, qui accorda au paralytique la rémission de ses péchés, en vue non-seulement de sa foi, mais encore de la foi de ceux qui le portaient à ses pieds: Et Jésus, voyant leur foi, dit au paralytique: Mon fils, prenez confiance, vos péchés vous sont remis 2. Et telle était l'indulgence qu'on accordait si souvent au nom des martyrs.

1. Euseb., Hist. eccl., 1. VI, c. 44.

2. Matth. IX, 2.

« On résistait néanmoins à ceux qui entreprenaient de communier sans s'être auparavant soumis aux lois de la pénitence; les lettres mêmes des martyrs le portaient ainsi, et ils ne promettaient la paix et l'indulgence qu'à ceux dont la cause serait connue par l'évêque, c'est-à-dire après qu'il aurait examiné comment ils s'étaient conduits depuis leur chute. Si on trouvait que leur zèle se fût ranimé, qu'ils eussent abandonné leur maison et leurs biens qu'ils avaient voulu conserver au préjudice de leur foi, et enfin qu'ils se fussent soumis à l'Église, on leur pardonnait volontiers à la considération des martyrs.

[ocr errors]
[ocr errors]

« C'est dans cette vue qu'Origène n'a pas craint d'écrire que les martyrs administrent la rémission des péchés; que « leur martyre, à l'exemple de celui de Jésus-Christ, est un baptême où les péchés de plusieurs sont expiés, et que << nous pouvons en quelque sorte être rachetés par le sang précieux des martyrs comme par le sang précieux de JésusChrist. » En quoi il ne fait qu'expliquer les endroits de l'Écriture qui associent les saints à l'empire de JésusChrist, et le passage où saint Paul dit 3 qu'il accomplit ce qui manque à la passion de Jésus-Christ pour l'Église qui

2

est son corps.

[ocr errors]

3

Ce qui est écrit des martyrs se doit entendre de tous les saints, qui tous sont martyrs de la mortification et de la pénitence, et tous aussi sont disposés à donner leur vie pour Jésus-Christ et pour leurs frères, afin d'exercer l'amour dont le même Jésus a dit qu'il n'y en avait point de plus grand ". Ainsi ils sont tous associés aux martyrs, et devenus avec eux des intercesseurs efficaces pour les pénitents, ils augmentent le trésor des indulgences de l'Église. »

Destinée à rétablir la sainteté sur la terre, la passion de Jésus-Christ ne le fait que si les hommes se l'appliquent et

1. Exhort. au martyre.

2. Apoc. II, 26, 27, 28, 29.

5. Coloss. I, 24.

4. Joan. XV, 45.

la reproduisent dans leur vie. En ce sens, saint Paul et tous les saints avec lui peuvent dire qu'ils la complètent; ils sont comme de seconds Christs coopérateurs du premier, dont ils empruntent leur force. Ils l'aident à racheter le monde, d'abord en se rachetant eux-mêmes, puis en contribuant au rachat des autres par leurs leçons, leurs exemples et leurs prières. Les plus influents, les mieux exaucés doivent être ceux qui, sommés d'abandonner l'œuvre sous peine de mort, ont préféré, comme Jésus-Christ, livrer à une destruction violente la partie destructible de leur être. Il semble qu'il appelle particulièrement les martyrs à diriger l'Église avec lui. Mais, martyrs sanglants ou simplement pénitents, ils forment avec leur chef une passion immense qui s'étend depuis l'origine du monde jusqu'à la fin.

On voit que le pouvoir précatoire a l'action principale dans les indulgences. Aux sollicitations des saints, Dieu excite le repentir, et les indulgences en sont le fruit et la récompense.

CHAPITRE V.

Chimère et abus du trésor indulgentiaire.

La scolastique les a comprises différemment. Elle enseigne qu'on les accorde par imputation ou transport des mérites des saints aux personnes qui ont des pénitences à subir. Par exemple, quelqu'un doit-il éprouver vingt ans de peine expiatoire, on prend à Jésus-Christ et aux saints une satisfaction de vingt ans ayant la même intensité, et on la lui applique. Le sacerdoce opère seul, et le pouvoir précatoire disparaît. La scolastique, toujours extravagante, a imaginé un trésor formé des mérites de Jésus-Christ et de la surabondance de ceux qu'elle suppose aux saints, c'est-à-dire une souscription de leur superflu. Sur ce fonds inépuisable, le pape, qui s'en prétend le dispensateur suprême, tire à pleines mains des bons pour aller au ciel sans passer par le purgatoire, ou pour sortir du purgatoire les âmes qui s'y trouvent retenues. De là résultent plusieurs conséquences singulières.

Ces bons étant de purs dons, pour qu'ils soient délivrés, il ne faut d'autre disposition intérieure que le désir de les recevoir; aucun repentir, aucune amélioration n'est, à la rigueur, nécessaire. Cependant, comme ils sont spirituels et qu'on n'en sent point la présence, ils doivent se lier à quelque signe extérieur, à une pratique quelconque.

D'un autre côté, ces dons ou mérites, étant une chose sainte, exigent que ceux qui les reçoivent soient exempts de péché mortel.

Mais pourquoi l'application de ces mérites, où dominent ceux de Jésus-Christ, n'atteindrait-elle pas elle-même les fautes mortelles, ne remettrait-elle pas la coulpe ou malice du péché, tout comme la peine?

Vous voyez que le trésor indulgentiaire se prête à tout ce qu'on veut. Pour le distribuer, on peut, à volonté, ou ne requérir aucune disposition, ou requérir l'état de grâce, ou mettre dans cet état, c'est-à-dire créer un sacrement.

Ajoutons que l'avantage incomparable de ce trésor, c'est d'abolir la pénitence. Comme il suffit amplement à toutes les satisfactions imaginables, la pénitence est inutile, et même serait injurieuse à Jésus-Christ, dont les mérites doivent servir à remettre toute la peine, par l'indulgence, comme ils servent à remettre toute la coulpe, par l'absolution sacramentelle.

Si la pénitence n'existe point, les indulgences ne sauraient en être l'adoucissement. Que sont-elles donc? La remise directe des peines du purgatoire.

L'ancienne pénitence, pratiquée avec zèle, ne laissait vraisemblablement rien à expier après la mort, ni par conséquent l'indulgence non plus, si elle était bien administrée. Elle remettait la peine du purgatoire, suivant la proportion qu'elle remettait la peine pénitentiaire. On ignore le rapport de celle-ci à l'autre. Par exemple, on ne sait point si dix ans, quinze ans de pénitence représentaient dix ans, quinze ans de purgatoire. Les pénitences, étant subies dans cette vie, ne pouvaient être plus longues qu'elle, et les indulgences, qui suppléaient une partie des pénitences, devaient l'être moins. Mais quand, avec l'apparition du trésor, les indulgences se mesurèrent, non sur la pénitence que le trésor anéantissait, mais sur le purgatoire, elles prirent quelque chose de l'immensité de la vie future, et procédèrent par centaines, milliers, millions d'années, prodiguant le mépris de la piété et du bon sens. Prenons quelques exemples dans les écrivains qui ont travaillé à les recueillir.

«Le chevalier Edwin Sandis, dit Lebrun (Traité des superstitions), rapporte, dans le cinquième chapitre de sa Relation de l'état de la religion, qu'aux Augustins de Padoue il y a une indulgence plénière dès le baptême jusqu'à la dernière confession, avec vingt-huit mille ans de plus pour l'avenir,

« PreviousContinue »