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et l'indulgence d'Alexandre VI, de trente mille ans, pour ceux qui diront un Ave Maria devant l'autel de Notre-Dame ; qu'à Venise, au sépulcre de Notre-Seigneur, il y a une indulgence de quatre-vingt mille ans donnée par Boniface VIII, et confirmée par Benoît XI, pour ceux qui disent une oraison de saint Augustin, qui y est attachée; qu'aux Carmes de Padoue, il y a une indulgence plénière pour ceux qui disent sept Ave Maria et sept Pater noster, devant les autels de l'église, le mercredi de la semaine de Pâques, et pour ceux qui baisent la terre devant l'autel du Saint-Sacrement, et qui prient pour l'exaltation de la sainte Église, pour l'extirpation des hérésies, et pour l'union des princes chrétiens, et outre cela la délivrance d'une âme du purgatoire, telle qu'il leur plaît... Rodriguès, dans son Abrégé des priviléges des mendiants, imprimé à Valladolid en 1525, dit, entre autres choses, qu'il y a tant d'indulgences à Rome dans l'église de Saint-Jean de Latran, qu'il n'y a que Dieu seul, au rapport du pape Boniface, qui les a confirmées, qui les puisse compter; qu'il y en a mille ans le jour de l'Annonciation de la sainte Vierge, dans l'église de Saint-Pierre; dans celle de saint Paul, mille ans et autant de quarantaines, avec la rémission de la troisième partie de tous les péchés ', le jour de la Dédicace; et dans celle de Sainte-Marie Major, deux mille ans toutes les fêtes de la sainte Vierge, et douze cents ans depuis la fête de son Assomption jusqu'à celle de sa Nativité; que les papes Sylvestre, Grégoire, Honoré, Pélage, Nicolas et Jean en ont donné chacun mille ans à ceux qui visitent l'église de Saint-Sébastien, en quelque temps de l'année que ce soit.

« Qu'il y en a mille ans le jour de l'Épiphanie dans l'église de Saint-Sébastien, et de plénières avec la rémission de tous les péchés, et outre cela, cinquante-huit mille neuf cent soixante-huit ans deux cent soixante-cinq jours, le jour de Saint-Fabien et de Saint-Sébastien; à Saint-l'ierre, le jour

1. Sans doute de la peine et de la coulpe tout ensemble.

qu'on expose la Véronique, sept mille ans pour les Romains et quatorze mille pour les ultramontains; à Sainte-Marie del Popolo, de plénières, et cent cinquante-cinq mille deux cent quatre-vingt-treize ans et deux cent quatre-vingt-cinq jours, le jour de la Purification; à Saint-Pierre, de plénières, et cent cinquante-huit mille neuf cent soixante-neuf ans et cent quatre-vingt-cinq jours, le jour de la Chaire Saint-Pierre; et à Sainte-Marie Major, de plénières, et cent cinquante-neuf mille deux cent quatre-vingt-dix ans et vingt-huit jours, le jour de Saint-Matthieu.

Après cela, il en marque une si prodigieuse quantité pour les mois de mars, d'avril, de mai, de juin, de juillet, d'août, de septembre, d'octobre, de novembre et de janvier, et pour l'Avent, le Carême et le temps pascal, que les plus habiles arithméticiens auraient peine à en arrêter le nombre juste. Lebrun observe qu'étant si énormes, « elles doivent passer pour fausses et supposées. » Quand elles le seraient, qu'importe si on les annonce et qu'on fasse courir après ?

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Les indulgences dont on vient de marquer quelques exemples regardent généralement les vivants; en voici pour les morts « Il y en a beaucoup dans les églises et dans les confréries des réguliers qui ont communication des priviléges et qui participent aux indulgences des stations de Rome, comme il est certain par les livres et les calendriers des confréries du Cordon de Saint-François, de la Ceinture de SaintAugustin et de Sainte-Monique, du Scapulaire et du Rosaire. L'application de ces indulgences aux àmes du purgatoire se fait, ou en disant certain nombre de Pater et d'Ave, ou en récitant certaines autres prières, ou en visitant certaines églises, certaines chapelles et certains autels, ou en y disant, en y entendant ou y faisant dire la messe, ou en assistant à certains offices et à certaines processions, ou en se confessant et communiant, ou en faisant certaines aumônes, ou en portant des habits, des croix, des chapelets, des couronnes, des grains bénits, des images, des médailles, etc., d'une certaine façon, ou en baisant ou en saluant ces habits, ces

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croix, ces chapelets, ces couronnes, ces grains bénits, ces images, ces médailles, etc. Ce qui a donné lieu, à l'Italien qui a fait des additions à la Relation du chevalier Edwin Sandis, de dire « qu'il a vu une médaille bénite du pape avec le registre de ses vertus imprimé, entre lesquelles il en observe deux la première, qui dira sept Ave Maria et sept Paler noster pour la conversion des îles Philippines délivrera une âme du purgatoire; la seconde, qui dira cinq Pater noster et cinq Ave Maria pour l'exaltation de l'Église et la conservation du pape, tirera une âme du purgatoire. >>

Suivant Lebrun, Grégoire XIII, élu en 1572 et mort en 1585, est le premier pape qui ait accordé des autels privilė– giés; l'invention en paraît revenir aux moines mendiants. « De leurs églises ils ont passé dans celles des autres réguliers; de là dans quelques-unes des moines rentés, dans les paroisses, dans les collégiales et dans quelques cathédrales même. On s'est aperçu qu'ils attiraient des messes aux mendiants, et que les rétributions de ces messes étaient d'un grand secours pour faire subsister les communautés. Les autres réguliers ont jugé que ce moyen n'était pas à négliger; ils ont exposé des écriteaux d'autels privilégiés, à l'imitation des mendiants; quelques-uns ont enchéri sur ces écriteaux, et y ont ajouté: Ici se délivre une âme du purgatoire à chaque messe; et d'autres, tandis qu'on disait des messes à leurs autels privilégiés, principalement depuis la consécration jusqu'à la fin de la communion, faisaient jouer derrière de petits feux d'artifice, pour marquer que dans ce moment une âme sortait du purgatoire pour s'envoler droit au ciel. C'est ce que j'ai vu pratiquer dans une célèbre église, et tout P. l'a pu voir comme moi. » Par l'initiale P. l'auteur veut sans doute désigner Paris.

Est il besoin de dire qu'aujourd'hui même, où tout se renouvelle, de semblables monstruosités remplissent l'Église? Qui ne le sait? Mais qui ne sait aussi que ses ministres reculent à mesure que la civilisation avance, qu'ils restaurent les abus frappés par le savant clergé du dix-septième siècle,

s'efforcent d'en créer de nouveaux, et partout renversent les principes du christianisme? N'a-t-on pas entendu naguère l'archevêque de Bordeaux, M. Donnet, présidant un comice agricole, se pamer d'admiration de ce qu'une mère avait surpris ses filles qui attachaient des médailles de la Vierge aux pieds de vigne, pour les préserver de la maladie? Il a ajouté qu'il ne garantissait point cependant l'efficacité du remède. Ainsi, un pontife, chargé spécialement par le Saint-Esprit de garder la foi dans sa pureté, prêche la superstition, et, ce qui est encore plus grave, l'hypocrisie de la superstition. En 1702, Gaston-Louis de Noailles, évêque de Châlons et frère du cardinal, fit enlever et jeter une fausse relique; toute la ville, présidents, conseillers, gens du roi, trésoriers de France, marchands, notables, chanoines, curés, protestèrent vainement par un acte juridique; l'objet de leur vénération demeura proscrit '. Ces deux traits suffiraient pour caractériser les deux épiscopats. Quelle effroyable décadence de l'un à l'autre ! « La superstition, remarque fort bien Lebrun, anéantit la vertu de la croix, foule aux pieds le mystère adorable de notre salut, viole la promesse solennelle du baptême, profane les choses les plus sacrées, empoisonne les sources les plus pures de la religion, altère la véritable piété, abandonne Dieu pour avoir recours au démon, érige un trône à cet esprit de ténèbres sur les ruines de celui de Jésus-Christ, et est pire que le manichéisme, qui reconnaissait deux dieux, l'un auteur du bien, l'autre auteur du mal, parce qu'elle s'adresse au démon comme à l'auteur du bien et du mal tout ensemble.

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Revenons à la scolastique. Avec sa prodigieuse facilité à remettre la peine, elle abolit le purgatoire, et en remettant le péché et même l'innocentant par les subtilités du casuisme, elle abolit l'enfer.

Elle croit trouver une preuve de son trésor indulgentiaire dans les paroles suivantes, qu'on dit être de Sixte III : « Dieu

1. Voltaire, Siècle de Louis XIV

a permis que les saints souffrissent pour nous, afin que nous puissions offrir à Dieu leurs souffrances 1. » Il est vrai, les saints ont souffert pour nous, puisque par leurs souffrances ils ont fondé et défendu l'Église, voie pour nous du salut; ils ont souffert pour nous, puisque leurs souffrances leur ont acquis auprès de Dieu le crédit qu'ils déploient en notre faveur. Il est vrai, l'Église offre leurs souffrances à Dieu, qui les a rendus capables de les affronter; mais les saints qui sont morts ayant été et ceux qui vivent étant encore l'Église militante même dans sa partie bonne, en offrant à Dieu leurs souffrances, n'est-ce pas les siennes qu'elle offre? n'est-ce pas elle-même qui s'offre? Si elle n'avait pas de souffrances à offrir, elle n'aurait point pratiqué la passion de Jésus-Christ, et par conséquent elle n'existerait point. D'ailleurs, offrir les souffrances des saints, c'est se réjouir de ce qu'ils les ont éprouvées, souhaiter les imiter, nous assimiler en quelque sorte ces souffrances, et, en nous les rendant comme propres, nous les rendre méritoires.

Voilà peut-être ce que Sixte III a entendu. S'il avait pensé que les souffrances des saints formaient un dépôt où nous irions emprunter pour payer ce que nous devons à la justice divine, pourquoi ne l'aurait-il pas clairement exprimé? Son successeur immédiat, saint Léon, n'a point laissé dans le vague la doctrine contraire. « Quoique la mort des martyrs soit, dit-il, précieuse devant Dieu, elle n'a point racheté le monde. Les justes ont reçu et n'ont point donné de couronnes, leur courage a produit aux fidèles des exemples de patience et point de dons de justice : chacun` est mort pour soi, et en mourant, aucun n'a soldé la dette d'autrui. Entre les enfants des hommes, Jésus-Christ est le seul en qui tous sont crucifiés, tous sont morts, tous sont ensevelis et tous sont ressuscités 2. » Ici saint Léon n'est

1. Deus, qui sanctos pro nobis pati posse concessiti, ut suas passiones ab Ecclesia offerri patiantur.

2. Quamvis multorum sanctorum in conspectu Domini pretiosa mors fuerit, nullius tamen insontis occisio, propitiatio fuit mundi. Acceperunt

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