Page images
PDF
EPUB

suppléaient à l'insuffisance naturelle. Caulet portait luimême les ressources destinées à ces infortunés que la honte contraint de dévorer silencieusement leurs souffrances. Ce dévouement au malheur s'exaltait avec les besoins, et se surpassait dans les désolations de la famine, de la peste et de la guerre. L'odeur de sainteté, l'enseignement des œuvres des deux pontifes s'exhalant au loin, on venait de la France entière, surtout les ecclésiastiques, pour s'éclairer et s'édifier avec eux. Pavillon, sans doute comme le plus ancien, et par là même le plus en réputation, était principalement visité et consulté. Ainsi que les autres, beaucoup d'évêques se faisaient ses disciples, allaient le trouver ou lui écrivaient. Quelques-uns, s'ils apprenaient qu'il fût malade, ordonnaient des prières publiques. On aurait cru qu'il était le maître des prélats de son temps. Louis XIV voulait le mander à Paris, lui et son émule dans la perfection pastorale, pour rendre compte de leur opposition : « Gardez-vous-en bien, sire! lui dit Bossuet. Les peuples, qui les regardent comme deux saints persécutés, accourraient sur leur passage pour les honorer comme des martyrs, et leur demander leur bénédiction. » Celui qui les appuyait de toutes ses forces, Innocent XI, semblait les prendre pour modèle.

Leur être ne devait-il pas se soulever tout entier en songeant aux nominations de la Chaise pour remplacer les ecclésiastiques dont eux s'étaient entourés? La Chaise lui-même se disait assiégé par une foule de gens affamés de bénéfices comme des loups béants. Cependant il fallait subir ceux qu'il enverrait, ou entrer dans une lutte terrible. Caulet assemble son chapitre, il lui représente d'un côté le mal qu'il ferait à son église s'il se rendait aux ordres de la cour; de l'autre, les suites que peut avoir le refus; et il lui dit : Potestis bibere calicem, quem ego bibiturus sum? Pouvez-vous boire le calice que je boirai? Tous répondent: Possumus, Nous le pouvons. Caulet se tournant vers deux novices, Aubarade et Bartholomée, car les chanoines de Pamiers faisaient des vœux Vous, vous êtes encore libres, vous pouvez vous

relirer, afin de n'être pas exposés aux persécutions qui vont pleuvoir sur nous. Par la miséricorde divine, s'écrientils, nous n'abandonnerons point notre évêque. Pour contempler une autre scène si grande, il faudrait traverser les âges, remonter aux empereurs païens, et, la veille d'une guerre terrifiante qu'ils vont commencer contre l'Église, se transporter dans l'assemblée des fidèles présidée par les Cyprien.

L'affaire de la régale, en soi minime, devient ici la plus importante affaire pour Caulet, Pavillon, pour les jansénistes, puisqu'elle est un combat à outrance de leurs ennemis mortels; et alors on comprend Arnauld déclarant qu'elle est « une affaire capitale pour la religion, où il faut tout refuser sans distinction. » Mais on cesse de comprendre Maistre ajoutant que, « pour cette fois, le janséniste y voit trèsclair; >> car on ne peut lui supposer l'idée qu'Arnauld a en vue les jésuites. Dans un tel sujet, il aurait gravement manqué à lui-même s'il avait dérogé à son habitude de prendre le contre-pied de la vérité, et qu'entre deux partis il n'eût rejeté sur l'un ce qui partait de l'autre.

[ocr errors]

Rien, dit-il, ne peut être comparé à ce que le parlement de Toulouse se permit... Dom Cerles, chanoine régulier de la cathédrale de Pamiers, et vicaire général pendant la vacance du siége, avait formé opposition à quelques actes de ce parlement, relatifs à la régale. Destitué par son métropolitain l'archevêque de Toulouse, qui voulait faire sa cour à Louis XIV, il en appela au pape, qui le confirma dans sa place. Il paraît de plus que dom Cerles se permit d'écrire des choses assez fortes contre la régale et contre les prétentions de l'autorité temporelle. Le parlement, par ordre du roi, condamna dom Cerles à mort, le fit exécuter en effigie à Toulouse et à Pamiers, et traîner sur la claie. « Cet ecclésiastique était homme de mérite et fort savant, comme on le voit dans « ses diverses ordonnances et instructions pastorales 1. »

«

1. Volt., Siècle de Louis XIV, ch. 35. t. XIX, p. 48, Liége, 1768, notes des éditeurs

OEuvres de Bossuet, in-8°,

[ocr errors]

Que dire d'une cour suprême qui condamne à mort par ordre du roi; qui, pour des torts de circonstances, dignes, dans toutes les suppositions possibles, d'une lettre de cachet, se permet de remettre à l'exécuteur et d'envoyer sur l'échafand l'effigie d'un prêtre respectable, qui avait cependant une réputation, un honneur, une famille tout comme un autre? Nulle expression ne saurait qualifier dignement cette honteuse iniquité '. »

Nous avons tant contredit Maistre, que nous sommes heureux de l'applaudir une fois. Malheureusement pour lui, il tire sur les siens.

« Une lettre pleine de vigueur apostolique que Cerles se crut obligé d'écrire à l'archevêque de Toulouse, dit l'abbé Racine 2, porta les jésuites', conseillers de ce prélat, à l'engager de recourir au parlement de Toulouse, et de demander que l'auteur fût condamné au dernier supplice. Ce parlement refusa d'entrer dans la passion de ce prélat et des jésuites... Tous les juges prenaient des mesures pour éluder la procédure et pour éviter de tremper dans une si criante injustice. Alors l'archevêque et son conseil écrivirent en cour et mandèrent, dans les termes les plus pressants, qu'il était absolument nécessaire de faire un exemple. Il faut toujours se souvenir que l'archevêque de Paris, de Harlai, et le P. de la Chaise dirigeaient toute cette malheureuse affaire. Il vint bientôt un ordre de juger sévèrement le P. Cerles. On avait fait joindre à cet ordre de si vifs reproches contre la négligence des juges et de leur chef, que tout le monde fut épouvanté. On promit de travailler incessamment à ce procès. Le jour pris, l'archevêque entra dans la grand'chambre de bon matin, et fit un violent discours pour animer les juges. C'était toujours le nom du roi dont on se servait pour couvrir les plus énormes injustices. Les juges, effrayés, condamnèrent à mort le grand vicaire de

1. De l'Égl. gall., liv. II, ch. 2.

2. Abrégé de l'Hist. ecclés., dix-septième siècle, art. Régale.

Pamiers, ce qui se fit avec tant de précipitation, qu'un d'entre eux se levant; dit fort haut: « Il faut avouer que la peur « fait quelquefois d'étranges effets sur les esprits; voilà un homme qui vient d'ètre condamné à mort par tous ses juges, et il n'y en a pas un qui ne le croie innocent. >>

[ocr errors]

Cerles fut donc condamné, non par ordre du roi, mais au nom du roi, et par ordre des jésuites; car l'archevêque de Paris, Harlai, qui, avec les jésuites de Toulouse et la Chaise pousse à la condamnation, leur était dévoué. Quant au parlement de Toulouse, c'est la surprise et la terreur qui lui arrachent cette condamnation. S'il manque de courage, on ne saurait du moins l'accuser avec Maistre que sa conduite soit une « forme que la flatterie, après avoir épuisé toutes les autres, prend pour se rendre agréable à Louis XIV. L'extension de la régale et les violences qui l'accompagnèrent, tout vint des jésuites.

CHAPITRE XII.

Les jésuites vraisemblablement promoteurs par vengeance de la

déclaration de 1682.

Les jésuites eurent-ils l'honneur de la déclaration de 1682? Il est permis de le croire; les apparences militent pour eux. Suivant Fleury et Ledieu, qui sans doute le tenaient de Bossuet aussi bien l'un que l'autre, les archevêques de Paris et de Reims, l'évêque de Tournay, le P. de la Chaise et les ministres prétendaient que la division actuelle qui existait avec Rome fournissait la vraie occasion de renouveler la doctrine de France sur la puissance des papes; que, dans un temps de paix et de concorde, le désir de conserver la bonne intelligence, et la crainte de paraître le premier rompre l'union, empêcheraient une telle décision. L'évêque de Meaux croyait cette décision inopportune; elle augmenterait la division qu'on voulait éteindre; c'était beaucoup que son livre de l'Exposition de la doctrine catholique eût passé avec l'approbation d'Innocent XI lui-même : « Laissons mûrir, gardons notre possession, ajoutait-il. L'évêque de Tournay, le chancelier le Tellier et son fils l'archevêque de Reims se rangèrent au sentiment de Bossuet; mais la Chaise, l'archevêque de Paris et Colbert persistèrent dans le leur.

[ocr errors]

Colbert

Au rapport de Ledieu, Bossuet lui aurait dit que seul avait déterminé le roi; mais, dans le récit de Fleury, l'archevêque de Paris et la Chaise agissent, disant : « Le pape nous a poussés, il s'en repentira. » Le roi ordonne de traiter la question de l'autorité du pape. Bossuet, pour allonger la discussion et gagner du temps, propose d'examiner toute la tradition. L'archevêque de Paris dit au roi que cela durerait trop. Le roi donne ordre de conclure. Colbert

« PreviousContinue »