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santes; qu'on est plus plein de l'esprit du Christ; qu'on est moins entrainé par le penchant au mal; qu'on est mieux rendu à soi. Ajoutons que la liberté suprème, souveraine, éclate sous l'action suprème, souveraine de la grâce. Il n'est aucune grâce si forte que nous ne puissions lui résister, si nous le voulions; mais quand Dieu veut que nous ne résistions point, il agit en nous de telle manière que nous ne voulons point résister. Voyez les grands orateurs enthousiasmer les assemblées délibérantes pour des projets qu'elles repoussaient d'abord, et les leur faire voter par acclamation. Est-ce qu'ils attentent à la liberté naturelle de leurs membres? Mais ils ont le génie d'exciter, d'allumer dans les autres les pensées, les sentiments qui les transportent eux-mêmes, et, en les laissant parfaitement libres, de leur faire vouloir ce qu'eux-mêmes ils veulent. Cependant ils ne sont que des créatures agissant sur des créatures leurs semblables, et n'agissant qu'avec l'intermédiaire de la parole matérielle. Combien cela est-il plus facile à Dieu qui nous a créés, et qui nous enveloppe intimement de son opération conservatrice?

Mais si vous confessez la grâce chrétienne, M. l'archevêque, vous la séquestrez dans un coin, pendant que vous inondez l'univers de la grâce bonne à l'intégrité primitive, mais stérile pour la corruption présente. « Dieu, dites-vous, donne à tous les hommes les moyens nécessaires au salut. » Comme il répugnerait que tous les hommes eussent les moyens de se sauver et que si peu se sauvassent, il faut rendre le salut commun, et, au lieu de plier les hommes à la loi, plier la loi aux hommes ; c'est pourquoi vous recommandiez dernièrement aux prêtres de votre diocèse d'être faciles dans la confession, afin de ne pas écarter les gens. Ces prêtres étaient-ils des Novatiens à qui il fût permis de dire, comme Constantin à Ascène au concile de Nicée : Ascène, prenez une échelle, et montez tout seul au ciel. » Qui ne sait qu'il règne une facilité diabolique universelle? Si les médecins traitaient aussi déplorablement les maladies du corps

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que les pontifes celles de l'âme, la médecine ne serait qu'un meurtre continuel.

Après avoir proscrit le principe de la sainteté, la Bulle proscrit les saints envisagés comme les vrais membres de l'Église, proscrivant ainsi l'Église elle-même; elle proscrit la lecture de l'Écriture sainte, ou la connaissance et la méditation de la loi chrétienne, qu'alors en effet on ne saurait accomplir, et qui ne nous regarde plus; elle proscrit les délais, les épreuves dans la réconciliation, vu que les dispositions de l'intérieur ne doivent plus y entrer; enfin, sataniquement conséquente, elle proscrit la liberté dans l'Église en proie à la domination; elle proscrit la réclamation contre les abus, qui, dans ce renversement total, ne sont plus des abus, mais l'état normal des choses. Quesnel n'avait point écrit un ouvrage de controverse, mais d'édification; il édifiait puissamment tout le monde, même des jésuites; il s'exprimait avec les propres paroles de l'Écriture, des conciles, des Pères, des papes, des fidèles, dont il avait fait un choix exquis. La Bulle anathématise et la doctrine, et la voix de l'Église.

Un tel forfait appelait sur ses auteurs un châtiment exemplaire; ils le payèrent de leur ruine. Mais engendrés du moyen âge, à son dernier temps, pour en perpétuer et en féconder la corruption dans l'Église, dérivant leur nom de Jésus, comme le destructeur de Carthage prenait le surnom d'Africain, les jésuites, qui depuis leur naissance, présidaient aux maux de l'Église, devaient renaître pour y présider jusqu'à la fin, et ne périr sans retour qu'avec l'élément païen qui la dévore. Je ne parle point des personnes ni de leurs intentions: je contemple l'institution qui les remue, qui les emporte irrésistiblement.

Parmi les évêques, la bulle Unigenitus ne rencontre que quatre ou cinq opposants indomptables; mais dans le clergé du second ordre, et chez les religieux, les religieuses, les laïques, la multitude en est incalculable; ils bravent les censures, les interdits, les prisons, les exils, et la foi déploie

glorieusement ses légions de martyrs, comme aux jours antiques. La moitié des prètres, soixante miile, adherent aux réformes ecclésiastiques de l'assemblée constituante. Quoique depuis six ans la liberté des cultes permit au clergé rétrograde de tout faire pour lui disputer les fidèles, le clergé réformateur marchait, en 1801, avec sept millions cinq cent mille catholiques, et sans le concordat qui vint le supprimer, il aurait successivement attiré les autres, obligé son adversaire à se réformer, à se fondre avec lui; et le christianisme, maintenant presque éteint en France, y serait florissant.

Mais de là qu'il existait un tel clergé, prètres et évêques, et que les prètres et les évèques de l'ancien régime, contre lesquels il luttait, conservaient quelques vestiges de doctrine et de conduite bonnes, l'Église n'avait point encore roulé au dernier degré de misère. L'objet de son pervertissement, qui est de l'y jeter, n'était pas tout à fait atteint, ni par conséquent l'heure du salut arrivée. En voulant un concordat pour avoir un instrument, le premier consul ne pensait pas sans doute qu'il était instrument lui-mème d'une invincible décadence catholique, et qu'elle serait consommée par un clergé issu du concordat napoléonien. Louis XIV n'imaginait pas davantage qu'il l'était aussi lorsqu'il ne se décidait point à rétablir l'ancienne discipline pour l'institution des évèques, et qu'il se bornait à en menacer le pape. Ce rétablissement, qui, en 1789, éprouva tant d'opposition, se serait alors fait sans difficulté. Les concordats disparaissant, l'Église gallicane aurait continué de se désultramontaniser, et trompé le mouvement dégénérateur.

La réaction du dix-septième siècle contre le moyen age, réaction commencée au douzième, à la première renaissance des lumières, mais qui ne prit son grand développement qu'au dix-septième; cette réaction fut si puissante qu'elle a duré cent cinquante ans. Aujourd'hui, on considère le moyen âge comme le régime propre de l'Église, et de cette erreur radicale on fait un principe qu'on s'efforce d'ap

pliquer à tout; et on est parvenu à ce désordre suprême, qu'on ne peut plus se sauver dans l'Église que malgré les doctrines de ses ministres sur la grâce et leurs prescriptions sur l'administration des sacrements, ni rester dans son sein que malgré leurs doctrines sur son gouvernement, sur la Vierge et sur le culte.

Sous nos yeux donc s'accomplissent les deux phénomènes inséparables de la ruine du paganisme social et de l'apparente agonie du catholicisme.

CHAPITRE III.

Les hommes coupables, quoiqu'invinciblement emportés.

De ce que les institutions, les mouvements des choses humaines sont irrésistibles, n'allons pas conclure qu'on soit innocent du mal où ils conduisent. Après la chute, les hommes qui furent abandonnés à eux-mêmes, ou qui n'eurent que des secours insuffisants, devaient oublier Dieu, se perdre dans l'idolâtrie; et ils étaient coupables de ce crime, quoiqu'ils n'eussent pas la force de l'éviter. Car pourquoi ne l'avaient-ils pas, sinon parce qu'ils se trouvaient dégradés, et que leur dégradation coulait de celle du premier homme qui était tombé, ayant la force de se maintenir ? Issus de lui, héritiers de sa corruption, de sa culpabilité, leur impuissance en était une suite et un châtiment.

Incarcérés dans la lettre de la loi, qui leur parlait seulement des biens temporels, attendant un Messie pour les affranchir des Romains et leur soumettre les nations, les Juifs ne pouvaient reconnaître Jésus-Christ annonçant les biens invisibles et déclarant que son royaume n'est point de ce monde. Mais pourquoi ne s'élevaient-ils pas au sens spirituel du mosaïsme, et pourquoi le mosaïsme ne les entretenait-il directement que des biens sensibles? Parce qu'ils étaient incapables de saisir les autres ; et cette impuissance était aussi un effet et une punition de la chute primitive. Ainsi, quoique entraînés par leur institution à rejeter le vrai Messie, ils sont néanmoins coupables de l'avoir rejeté, et ils en portent la terrible peine.

Inévitablement l'Église devait s'amalgamer avec l'État païen et s'y corrompre autant que possible. Or, n'est-ce pas un reste d'Adam qui empêchait les chrétiens de comprendre

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