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blée nationale l'avait repoussé. « Plus le corps électoral sera nombreux, plus les élections auront un caractère politique prononcé », disait M. Batbie, rapporteur du projet. Ces prédictions ne se sont pas réalisées grâce à la neutralité observée par les préfets; mais, en attendant, les électeurs aux tribunaux de commerce n'ont profité que dans une infime proportion de leur droit électoral. Ces abstentions n'ont rien de désobligeant pour les juges consulaires, dont les capacités et la moralité sont connues favorablement sur la place, et qui, bien souvent, n'ont pas de concurrents; mais elles laissent les sièges à la merci d'une coterie éventuelle, et c'est ce qu'il faut surtout regretter. Les chambres de commerce n'ayant pas de jugements à rendre, il semble que le suffrage de tous les patentés offrirait moins d'inconvénients pour elles que pour les tribunaux. Nous croyons que c'est là une erreur. Les abstentions seraient au moins aussi nombreuses elles le sont déjà trop et les coteries ne seraient ni moins possibles ni moins déplorables. Ensuite il faut remarquer que les chambres de commerce étant chargées de donner leur avis sur les questions économiques et de gérer certains services commerciaux, la théorie qui, s'inspirant de l'idée de justice, investit tout commerçant patenté 1 du droit de participer aux élections des tribunaux de commerce, ne saurait être appliquée ici pour la même raison. On ne peut considérer la masse des commerçants comme un ensemble d'unités arithmétiques, et il ne faut pas donner un pouvoir égal à des capacités et à des intérêts inégaux. Or les patentés des classes au-dessous de la troisième du tableau A sont de beaucoup les plus nombreux; la sixième classe, qui comprend les débitants de boissons, dépasse toutes les autres classes par le nombre de ses contribuables. Il est évident qu'un grand négociant, un armateur ou un banquier, dont les opérations nécessitent une connaissance approfondie des conditions du commerce, ont un intérêt beaucoup plus direct et une compétence autrement étendue dans la discussion des questions économiques, qu'un détaillant ou un cabaretier. Ils ont un intérêt égal et la même compétence dans l'administration de la plupart des établissements utiles au commerce bourses, écoles de commerce, outillage des ports, etc. Il ne nous parait donc pas utile d'appliquer aux chambres de commerce, qui ne sont pas des corps politiques, le principe qui sert de base à nos institutions modernes.

Nous ne nous arrêtons pas sur la question de l'électorat des femmes, avec ou sans restrictions. Le problème est gros de difficultés. Ce qu'on peut dire, c'est que si la femme commerçante, ayant les

1. Depuis cinq ans (L. 8 déc. 1883). Voir aussi les cas d'incapacité.

charges du commerçant, doit en avoir les droits, elle n'aura presque jamais la même compétence. En effet, sa culture intellectuelle est moins générale. Le souci de son intérieur, de sa famille, l'empêche trop souvent de consacrer les loisirs que lui laisse son commerce, à l'étude des arides questions économiques.

Le suffrage universel écarté, il ne nous reste plus qu'à nous prononcer sur les formes du suffrage restreint qui ont été proposées. Elles se ramènent à deux avec ou sans l'électorat facultatif. Or le caractère financier de ce dernier électorat n'est guère en rapport avec nos mœurs. L'achat d'un vote pourrait être pratiqué, avec ce système, dans des circonstances opportunes qui donneraient par suite un caractère déplorable aux élections. Cette éventualité serait d'autant plus à redouter que l'indifférence profonde qui caractérise les élections consulaires aux chambres de commerce, laisse déjà une place aux coteries.

Il vaut donc mieux, suivant nous, s'en tenir au suffrage simplement restreint, à l'électorat demandé pour les trois premières classes du tableau A et les assimilées des tableaux B et C. Cette modification élargirait la législation actuelle, supprimerait l'arbitraire de la commission des listes et donnerait à ces patentés une compensation équitable à leur participation au paiement des dépenses des chambres de commerce. Enfin elle maintiendrait les élections à la hauteur de ces compagnies 1.

Retournons à la commission des listes. En raison du principe de leur permanence, elle n'a à procéder chaque année qu'à leur revision, à combler les vides produits par les décès ou les incapacités. Dans ce but il est recommandé aux directeurs des contributions directes de lui communiquer les matrices des patentes, qui peuvent être déplacées pendant un délai maximum de dix jours 2.

Les listes une fois établies, la commission les adresse au préfet qui les fait immédiatement publier et afficher. L'administration a pensé que l'affichage dans chaque commune était à recommander. Un exemplaire doit être envoyé au greffe du tribunal de commerce, où tout patenté de la circonscription peut en prendre connaissance. Le con

1. A la rigueur, on pourrait y ajouter la 4e classe, où figurent les entrepreneurs et les représentants de commerce, et ses assimilés; mais cette addition triplerait la phalange électorale. En tous cas, on ne saurait reprocher au collège électoral, composé seulement des 3 premières classes, d'ètre réservé exclusivement à la grande industrie et au grand commerce et d'assurer leur prédominance au détriment des industries moins importantes ou du commerce plus localisé. Les marchands en gros figurent à la 1re classe, ceux en demi-gros à la 2o. Ce qu'il importe, c'est d'écarter les détaillants de la 5° classe et les cabaretiers, plus nombreux encore, de la 6°.

2. Circulaire du 3 février 1872.

tentieux des listes appartient au tribunal civil, qui prononce en chambre du conseil. En appel, la cour statue dans la même forme. L'instance est toujours sans frais. Tout commerçant patenté peut demander la radiation d'un électeur qui se trouverait dans un des cas d'incapacité prévus par la loi.

Les frais d'impression et de publication des listes comme tous les frais d'élections des chambres de commerce sont supportés par le budget départemental 1.

La convocation des électeurs appartient au préfet. Elle doit avoir lieu dans la première quinzaine du mois de décembre. En fait, elle précède de cinq jours franes au moins la réunion de l'assemblée électorale, qui peut ne pas être tenue un dimanche, lois, décrets et circulaires étant muets sur ce point. Aussi n'est-il pas rare de voir fixer cette réunion à un jour ouvrier.

La plus grande publicité doit être donnée aux arrêtés de convocation, afin d'assembler le plus grand nombre d'électeurs possible. Une circulaire du 10 août 1876 a recommandé aux préfets de régler dans leur arrêté tous les détails du vote 3. La durée du scrutin est au minimum de deux heures. Il appartient au préfet de l'augmenter et d'ouvrir plusieurs sections électorales afin de diminuer le chiffre des abstentions. En réalité, il est impossible de multiplier ces sections, le nombre des inscrits étant trop restreint et, par suite de l'indifférence générale, la formation des bureaux devenant impossible. Dans la pratique, il n'y a presque toujours qu'un seul bureau. Il siège le plus souvent à la chambre de commerce. Les abstentions sont toujours très nombreuses. Rarement le nombre des votants dépasse la moitié du nombre des inscrits.

Quelles sont les conditions de l'éligibilité? Au point de vue des catégories professionnelles, nous retrouvons celles qui ont été indiquées pour l'électorat, c'est-à-dire commerçant, agent de change, directeur d'une société anonyme, capitaine au long cours ou maître au cabotage. Sont encore éligibles les anciens .commerçants ou les anciens agents de change. L'honorariat commercial peut donc, à la différence de ce qui existe pour l'électorat, être une condition suffisante d'éligibilité. C'est une disposition très heureuse, qui permet aux anciens commerçants ou agents de change de consacrer une partie de leurs loisirs aux travaux de la chambre en faisant profiter leurs collègues de leur expérience.

1. Loi du 10 août 1871, art. 60.

2. Les élctions ont lieu tous les deux ans.

3. Ampliation de l'arrêté doit être adressée au ministre.

4. C. de com., 621.

Aux catégories professionnelles s'ajoutent les conditions du temps d'exercice de la profession, d'âge et de domicile. Il faut cinq années d'exercice ou d'inscription à la patente. Cette condition a été ainsi justifiée par M. Chauffour, rapporteur au conseil d'État du projet qui est devenu la loi du 8 décembre 1883 : « C'est dans les cinq années de leur établissement que la plupart des commerçants peu habiles ou peu honnêtes consomment leur ruine ». En outre, il faut avoir, au moins, trente ans d'âge. C'est une condition relative à l'expérience des hommes et des choses. Il faut être domicilié au moment de l'élection dans la circonscription de la chambre 3, ce qui assure dans une certaine mesure la présence aux délibérations et la connaissance des besoins de la région.

Le code ajoute une dernière condition. Il faut être porté sur la liste des électeurs ou se trouver dans les conditions voulues pour y être inscrit. Par conséquent, pour les uns et les autres, les conditions. de l'électorat s'ajoutent aux conditions de l'éligibilité. Or si l'on rapproche l'article 620 des articles précédents, voici les résultats auxquels on arrive. Pour toutes les catégories professionnelles, les incapacités électorales (condamnations, destitution, faillite, cas généraux de perte du droit de vote aux élections législatives) entraînent l'inéligibilité. De plus les commerçants doivent être recommandables par leur probité, leur esprit d'ordre et d'économie, condition laissée entièrement à l'appréciation des électeurs. Enfin, pour les officiers de la marine marchande, la loi renouvelle l'obligation d'avoir commandé pendant. cinq ans et exige deux ans de domicile dans le ressort du tribunal. Cette dernière condition (art. 618) annule-t-elle celle imposée par l'article 620: « être domicilié au moment de l'élection dans le ressort du tribunal »? Sans doute; mais une rédaction plus soignée aurait évité cette confusion d'idées 5.

D'autre part la loi n'impose aux anciens commerçants ou agents de change, pour être éligibles, que la condition d'avoir exercé leur profession pendant cinq ans (consécutifs d'après la jurisprudence), mais les conditions d'âge et de domicile leur sont applicables ainsi que les

1. La patente doit être au nom personnel du commerçant.

2. Duvergier.

3. Le code parle du ressort du tribunal. Il s'agit évidemment de la circonscription de la chambre comme pour l'électorat.

4. Ils ne doivent pas avoir été mis en liquidation judiciaire.

5. La rédaction, plus mauvaise encore, de l'article 620 modifié par la loi du 21 décembre 1871, avait trahi l'intention du législateur. D'après le texte, les officiers de la marine marchande, pour être éligibles, devaient avoir été inscrits pendant cinq ans à la patente. Or ils ne sont pas assujettis à cet impôt. La jurisprudence avait refusé néanmoins de les reconnaitre comme éligibles. Une loi du 5 décembre 1876 fit la modification nécessaire.

cas d'incapacité électorale. Ceci résulte du caractère de l'honorariat, lequel comporte l'accomplissement des obligations imposées au commerçant en activité.

Plusieurs associés en nom collectif ne peuvent être membres d'une chambre de commerce. Le plus grand nombre de voix obtenues, ou, en cas d'égalité, le bénéfice de l'âge, s'il s'agit d'une élection simultanée, détermine quel sera le candidat définitivement nommé.

Un étranger ne peut être élu membre d'une chambre de commerce, car les incapacités en matière d'élections politiques s'appliquent, et pour l'électorat, et pour l'éligibilité, aux élections de ces compagnies. Mais ces dispositions ne sauraient concerner les commerçants français, agents consulaires d'une puissance étrangère.

Enfin ce que nous avons dit pour le droit électoral donné aux courtiers s'applique à leur éligibilité.

Les projets de réforme ont en général demandé les mêmes conditions pour l'éligibilité que pour l'électorat. Toutefois l'éligibilité pour les femmes n'a pas été proposée. Mais le projet Faure et Siegfried, plus libéral que les autres, n'exigeait, pour être éligible, que la qualité de Français. Dans la législature suivante, M. Félix Faure maintint seul cette disposition, M. Siegfried limita l'éligibilité à l'électorat. Nous croyons, avec M. Félix Faure, que plus le suffrage est restreint, plus les conditions d'éligibilité doivent être larges. Les chambres de commerce, en effet, ne doivent pas être seulement des assemblées de commerçants. Elles doivent rassembler toutes les sommités du monde économique. Aussi est-ce à regret que nous constatons l'exclusion de tout élément non professionnel.

Chaque bureau électoral procède, à la clôture du vote, au recensement particulier à la section. Un procès-verbal en est dressé et le président fait connaître le résultat des élections au président de la section centrale. Le recensement général des votes a lieu dans la ville du siège de la chambre. Le président de l'assemblée proclame les noms des membres élus. Au premier tour il faut, suivant les règles ordinaire, la moitié plus un des suffrages exprimés et le quart des inscrits. Au second tour, huit jours après, la majorité relative suffit. En raison des abstentions, toujours nombreuses, on a proposé de fixer la condition pour être élu au premier tour, à la majorité absolue des votants saus tenir compte du nombre des inscrits.

Les procès-verbaux de chaque section sont dressés en triple original et doivent indiquer toutes les conditions et, s'il y a lieu, tous les incidents du scrutin '. Ils sont adressés par le président de l'assemblée au

1. Circul., 10 août 1876.

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