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ont battu les troupes du gouvernement; Maceo, à la tête d'une bande de flibustiers, a quitté Costa-Rica, et Maximo Gomez a quitté la Jamaïque pour se rendre à Cuba. Aussi M. Canovas n'hésite pas il confie le gouvernement général de l'île au maréchal Martinez Campos et met dix millions à sa disposition. L'expédition cubaine entre dans sa seconde phase le maréchal part avec un plan d'attaque très vigoureux et de nouvelles troupes. On espère qu'il écrasera rapidement la révolte et le gouvernement active l'armement et la concentration des renforts; l'armée sera portée au chiffre de 45,000 hommes. Bien que Maceo et vingt-deux chefs aient réussi à débarquer dans la Perle des Antilles et que la presse, les particuliers, les réunions continuent à encourager les insurgés, les débuts du maréchal sont heureux après avoir organisé ses forces, il adresse une proclamation aux Cubains, il bat les bandes de Maceo. Les dépêches qui parviennent à Madrid annoncent que l'insurrection est sur le point d'être éteinte, que le découragement des bandes est visible et que de nombreux chefs se soumettent, et le 6 mai, le maréchal télégraphie qu'il est désormais maître de la situation.

Mais ces nouvelles étaient d'un optimisme exagéré et l'on comptait sans le secours et les excitations des émigrés cubains aux États-Unis. Le général Calleja, dernier gouverneur de l'île, avait donné à la reine les indications les plus rassurantes; cependant l'expédition allait entrer dans sa troisième phase. On signale le débarquement d'un nouveau chef insurgé avec armes et munitions: Maceo tient la campagne, coupe les ponts, fait dérailler les trains, et les combats. se succèdent dès lors sans interruption entre les troupes régulières et les insurgés. Des renforts partent d'Espagne : 1,500 soldats s'embarquent le 31 mai sous les ordres du général Mella. Les embarras financiers commencent à se faire sentir. Le maréchal déclare, le 6 juin, que l'agitation, localisée dans la province de Puerto-Principe, gagne les autres provinces et que l'insurrection, qui avait avorté en février parce que la récolte des sucres n'était pas achevée, menace, et il réclame encore des renforts, dix bataillons au moins sur le pied de guerre. Le gouvernement songe déjà à organiser le second corps d'armée destiné à Cuba et, dès le 10 juin, on mesure à Madrid avec plus d'exactitude la gravité de l'insurrection et les efforts qui seront nécessaires pour la réprimer.

Le maréchal peut tout au plus maintenir l'ordre dans les districts que n'atteint pas la révolte et la contenir dans les autres pendant la saison des pluies et il demande encore et toujours des renforts : cette fois, il lui faudra 30,000 hommes pour le retour de la saison favorable. Le gouvernement ne se dissimule pas les obstacles qu'il lui

faudra vaincre pour faire face à ces demandes. Le ministre de la guerre croit pouvoir mettre sous les armes, en octobre, les 30,000 hommes demandés, mais les ressources financières incombent au ministre des colonies le gouvernement est obligé de solliciter l'autorisation de faire usage, pour les dépenses de la guerre, des bons cubains de 1890, qui ne devaient servir qu'à la conversion de ceux de 1886. L'expédition a déjà coûté 17 millions, votés en février et avancés par la Banque d'Espagne, sur garantie de ces bons cubains de 1890, et 26 millions avancés également par cette Banque en avril et mai, sur garantie des bons cubains de 1886. Les cortès votèrent, dans un esprit de patriotisme qui ne saurait étonner personne, un crédit illimité pour les dépenses de la guerre. C'est la Banque d'Espagne qui continue à faire les avances mais cet expédient trouvera bien une fin et l'on se demande comment l'Espagne pourra se tirer de ce mauvais pas. Pendant que les opérations de la guerre suivent leur cours sans qu'il y ait de succès à signaler d'un côté comme de l'autre, à cause de la saison des pluies qui entrave la marche des opérations, on se hate de préparer le second corps d'armée de Cuba, celui qui doit entrer en ligne à la fin du mois de septembre pour permettre au maréchal Martinez Campos de frapper les coups décisifs qui doivent avoir raison de l'insurrection.

Cependant les nouvelles les plus graves viennent de la grande ile : grâce aux pluies qui paralysent les opérations et aux dissensions. intestines des partis espagnols à la Havane, l'insurrection se développe peu à peu, mais sûrement les difficultés s'amoncellent devant le maréchal; la fièvre jaune sévit dans l'armée. Les chefs insurgés adoptent un plan politique. A l'heure actuelle, les deux adversaires. se recueillent dans une inaction forcée, en se tenant soigneusement sur la défensive : il y a là comme une suspension d'armes, que chacun met à profit pour se préparer à la reprise de la lutte, après la période des pluies.

Le gouvernement espagnol se trouve en présence de deux obstacles redoutables lever assez d'hommes pour écraser l'insurrection, sans jeter la désorganisation dans l'armée de la métropole, faire face aux exigences financières d'une expédition coûteuse, sans faire tomber le crédit public et vider les caisses du Trésor. Il a envisagé la situation avec franchise et courage: il s'agit désormais d'une lutte à mort entre la métropole et la grande île : il est décidé à demander à l'Espagne un formidable effort. L'Espagne voudra-t-elle le faire? C'est ce que l'avenir nous apprendra.

MAXIME VERAN.

ANALYSES ET COMPTES RENDUS.

E. d'Eichthal.

1 vol. in-12, 1895.

Souveraineté du peuple et gouvernement. Paris, Alcan. M. d'Eichthal a condensé dans un petit ouvrage sur la Souveraineté du peuple deux études qui se prêtent un mutuel appui et ne peuvent se concevoir l'une sans l'autre, quoique chacune d'elles exige des qualités d'esprit et une méthode de travail sensiblement différentes: une étude historique qui plonge très loin son regard dans le passé, interroge quantité de témoins, et des plus divers, consulte de multiples documents; c'est le travail, patient, consciencieux, mesuré, l'observation objective du chartiste qui ne livre rien au hasard, ne demande rien à l'imagination. Une seconde étude lui fait suite, celle-ci réfléchie, philosophique, subjective, qui scrute les institutions présentes telles que le passé nous les jette, cherche la destinée que l'avenir leur réserve, indique la voie dans laquelle il faut les diriger. Ici le labeur attentif ne suffit plus, les notes accumulées deviennent un fardeau aussi inutile que gênant; le penseur politique tire du fond de lui-même la lumière dont un pareil sujet veut être éclairé.

Qu'est-ce que la souveraineté du peuple? Où est-elle née? Comment s'estelle développée? L'auteur remonte aux sources, fait parler devant nous Aristote et Platon, nous montre l'idée cheminant lentement à travers le moyen âge pour s'épanouir dans les temps modernes; elle pousse sur un sol singulier, un humus fait des débris de la vieille scolastique et d'axiomes a priori, champignons malsains nés à l'ombre des écoles; le soc rigide rectiligne de la raison pure laboure mécaniquement ce froid terreau. Soumise à cette culture bizarre, la plante est montée toute droite, lançant à intervalles égaux des rameaux géométriques poussés d'un seul jet, puis devenus stériles; plantée sous tous les climats, elle y veut garder ces mêmes apparences, et trop souvent s'étiole et meurt, ou végète, pour n'avoir pas voulu plier sa nature aux temps et aux lieux.

L'auteur s'attaque vivement aux dogmes absolus nés à l'ombre de cet arbrisseau apocalyptique; il nous fait toucher du doigt l'erreur des singuliers jardiniers qui consacrèrent leurs peines à faire naître un pareil monstre; sous sa forme empruntée, la vraie nature de l'arbuste nous fait goûter les fruits qu'il pourrait produire, admirer l'ombre large et vivifiante qu'il saurait donner. L'idée maîtresse de l'ouvrage est fort juste: c'est une condamnation sans appel des principes absolus qui écrasent de leur lourde

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masse le fronton de nos constitutions, une bonne plaidoirie en faveur de la théorie des milieux et de la doctrine de l'opportunisme en matière d'institutions constitutionnelles. Cet appel au bon sens contre la logique rectiligne à perte de vue dénote une pensée nouvelle, déjà éveillée dans quelques esprits d'élite, qui s'affirme et gagne de proche en proche l'esprit se replie sur lui-même. Il renonce à fixer les horizons lointains, pour étudier les faits prochains, abandonne les généralisations vagues qu'embrume toujours un nuage d'hypothèses et de conventions pour la considération du présent, cantonné dans un petit coin bien délimité de la planète, et, dans ce travail de concentration, gagne en profondeur ce qu'il perd en étendue.

M. C.

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P. Bidoin et A. Simonin. Les budgets français. Budget de 1895, projet de budget. Paris, Giard et Brière, 1895. MM. Bidoin et Simonin se sont proposé de présenter dans un ouvrage accessible à tous, les lignes principales de nos budgets, et plus particulièrement de montrer quelles modifications ils apportent chaque année dans la législation fiscale.

Ce travail aura deux parties : dans l'une seront exposés le projet primitif du budget et les discussions au sein de la commission; la seconde comprendra la discussion publique et l'analyse du budget tel qu'il aura été voté par le parlement. La première partie, pour le buget de 1895, est due à M. Bidoin. L'auteur suit les divisions du projet de loi il expose successivement les diverses natures de dépenses et de recettes. Pour chaque crédit il explique les causes d'augmentation ou de diminution par rapport à l'exercice précédent. Le chapitre de la dette contient un historique de la conversion de 1894 et en montre les conséquences budgétaires. L'analyse des crédits du ministère des travaux publics nous vaut un exposé très complet des charges supportées par l'Etat par suite du régime des chemins de fer. Vient ensuite l'explication du projet de conventions avec l'Orléans et le Midi, projet rapporté le jour où s'est posée la question de la durée de la garantie due à ces compagnies.

Pour les recettes, le projet initial contenait une grande réforme des contributions directes par la suppression de la contribution personnelle-mobilière et son remplacement par une taxe d'habitation et sur les domestiques. Cette réforme est abandonnée par M. Poincaré, d'accord avec la commission du budget. Après avoir admis le principe d'un impôt sur les revenus, la chambre ajourne toute réforme des contributions directes. M. Bidoin analyse le rapport de M. Cochery et compare le système d'impôt sur les revenus préconisé aux systèmes anglais et italien. Il termine par l'exposé des projets de réforme des droits de succession et sur les boissons présenté par le ministre des finances.

Peut-être pourrait-on regretter que l'auteur n'ait pas donné quelques explications plus détaillées sur les points de la législation actuelle qu'il s'agit de modifier, afin de mieux faire comprendre la portée des réformes pro

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posées. Toutefois, on peut voir par cette courte analyse combien de ques tions intéressantes sont traitées dans l'ouvrage de MM. Simonin et Bidoin; tous le liront avec fruit. Ceux même qui étudient plus particulièrement les questions financières seront heureux de trouver résumées, dans cet exposé précis, des discussions qu'ils suivraient difficilement au jour le jour.

HUMBLET.

Dans une

J. Dévot. Acta et Verba. Paris, Pichon, 1893, 1 vol. in-12. série d'études qui dénotent chez leur auteur un heureux talent d'observation et un esprit critique finement aiguisé, M. Dévot nous fait connaître son pays, Haïti, que nous ignorons malheureusement trop. Ce besoin de parler au monde, de se faire apprécier, de prendre rang parmi les nations que leur ardente vitalité pousse à l'avant-garde de la civilisation est un excellent symptôme; il indique clairement qu'un sourd travail d'organisation s'opère là-bas, que les esprits se ressaisissent, que le temps des réflexions profondes est venu; la jeune république entre dans l'âge mûr, le sang coule moins impétueux dans son jeune organisme trop vite grandi au soleil des tropiques; elle se recueille maintenant et songe à l'avenir. Nous n'assistons pas seulement à des tentatives individuelles trop souvent infructueuses malgré le généreux élan qui les anime; les bonnes volontés se recherchent et s'unissent dans un effort commun vers le bien et l'utile. La Revue de législation de Port-au-Prince est un exemple frappant de ce développement spontané de l'esprit d'association : l'accord de quelques belles valeurs intellectuelles étroitement unies dans la recherche du progrès ne peut manquer de porter bientôt ses fruits.

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