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Il l'avait remplie; le temps et l'airain des lois semblaient promettre à son ouvrage la durée permise aux choses humaines, lorsque enivré de la reconnaissance du peuple, qu'il ne sut point apprécier; de la flatterie de ses conseillers, qu'il respira sans assez de répugnance; égaré par les inspirations ténébreuses de la diplomatie, qui offrirent à son orgueil une dénomination plus pompeuse que les titres réels qui avaient immortalisé son nom; lorsqu'enfin le vainqueur et le pacificateur de l'Europe, le premier citoyen du grand peuple descendit de la dignité consulaire, qu'entourait le faisceau des opinions, pour s'isoler et se perdre dans ce pouvoir absolu qui laisse sans tradition les pouvoirs qui le remplacent.

Le génie de Napoléon épuisa tout ce que ce mode de gouvernement peut offrir d'avantages: il en bannit surtout l'ignorance et les petites tyrannies. Mais, quelque masse de grandeur et de gloire qu'il répandit sur la France, quelque fusion qu'il opéra des intérêts divers, il ne réussit point, comme il l'avait espéré, à confondre la chose publique et le trône dans les affections nationales : l'amour du peuple cherche aussi une unité dans ses hommages. L'armée se donna tout entière au maître. Les citoyens, fidèles à leur reconnaissance et retenus par leurs premiers sermens, restèrent quelque temps dans une sorte de neutralité : on eût dit qu'ils craignaient, en se prononçant, ou de blesser le guerrier objet de leur admiration, ou d'être parjures envers la patrie. Bientôt Napoléon n'eut plus de concitoyens; il eut malgré lui des sujets. Circonvenu, trempé par les esclaves de sa couronne, il se crut alors autorisé à refaire entierement l'éducation politique du peuple.

La contre-révolution veillait; voyant s'abaisser devant elle les remparts que lui avaient opposé pendant si longtemps les

mœurs républicaines, elle déploya ses enseignes : on les aperçut sans effroi. Si Pichegru et Villot au 18 fructidor, si Georges et Pichegru en 1804 eussent réussi dans leurs tentatives, la contrerévolution n'aurait alors obtenu qu'un triomphe éphémère; on n'eût point compris son langage réformateur. Mais Napoléon lui avait frayé la route. Quels objets d'étonnement et de crainte s'offraient à la pensée du peuple en 1814? La condamnation de ses premières conquêtes? Mais les jours de la liberté, avaient été signalés comme des jours d'égarement, et le pouvoir impérial avait même accusé les bienfaits du consulat. L'émigration? Napoléon l'avait absoute et honorée. L'ancienne noblesse? La nouvelle et l'ancienne se trouvaient déjà confondues. Les fictions sacrées du pouvoir absolu? Elles avaient été pompeusement proclamées. Le faste des cours? La cour impériale ne pouvait être surpassée sous ce rapport. Une représentation militaire, institution soupçonneuse, qui cache le monarque aux regards des citoyens, et semble le garder contre leur amour? Napoléon avait arrêté l'organisation de quatre compagnies de gardes du corps (1).

La contre-révolution n'avait ainsi à renverser que l'empereur et ses légions: elle s'associa à l'Europe, armée contre la prépondérance française. Napoléon regarda le peuple qu'il avait fait le sien, il le trouva soumis, dévoué à ses ordres; mais quelle est la mesure de cette obéissance, comparée à l'étendue du zèle foudroyant qui sauve la chose publique? Ce mouvement spontané le consul l'aurait obtenu.

La chute du trône impérial a donć pour cause première l'éducation politique du peuple. Bonaparte avait trouvé des

(1) Voyez pages 353 et 357.

moeurs républicaines Napoléon rappela celles qui peuvent être exemptes de vertu et de probité, qui permettent la ruse et l'adulation, qui se nourrissent d'illusions, de préjugés et d'honneurs. (Montesquieu.)

Que si maintenant on veut admettre que l'empereur a exercé sur la France une brillante domination, on sera conduit, par respect national, à convenir que la domination du consul, non moins éclatante, était plus honorable pour les citoyens ; et cependant, là comme ici, il y avait gouvernement monarchique.

Amis et ennemis de la révolution, vous tous, maintenant sans espoir de triomphe ou sans crainte de danger, résignés dans vos douleurs ou vengés dans vos humiliations; quand cette révolution ne laisse plus que des débris, vous, dites avec orgueil qu'elle a du moins fondé l'ère constitutionnelle; et vous, reconnaissez avec gratitude que le régime impérial a rajeuni les monarchies.

DIPLOMATIE.

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GUERRE D'AUTRICHE ET PAIX DE VIENNE.-EXPEDITION ANGLAISE DE L'ESCAUT. - RÉUNION DE ROME A L'EMPIRE FRANÇAIS.

On a vu que dans le mois d'octobre 1808 Napoléon et Alexandre, voulant sceller par de nouvelles promesses leur pacte secret de Tilsit, s'étaient réunis à Erfurth pour s'entretenir encore et décider des intérêts du continent : ils pouvaient en effet s'en proclamer les seuls arbitres par l'étendue de leurs forces et l'union de leurs volontés. Ces deux empereurs convinrent de favoriser réciproquement leur domination respective c'était en quelque sorte se partager l'Europe; et cette phrase de Napoléon à son retour d'Erfurth : l'empereur de Russie es moi nous sommes d'accord et invariablement unis pour la paix comm. pour la guerre, cette phrase annonçait assez le but de leur alliance; c'était dire que, sans s'inquiéter mutuellement, l'an porterait ses armes dans l'Espagne, l'autre dans la Suède, et qu'après la soumission de ces deux extrémités de l'Europe on verrait s'élever, brillans de toute-puissance, l'empire du nord et l'empire du midi, protecteurs suprêmes des autres nations du continent, qui désormais n'armeraient plus qu'avec leur permission. Quant à l'Angleterre, Napoléon et Alexandre avaient résolu de se présenter à elle comme les médiateurs du monde. L'entrevue d'Erfurth avait donc pour objet d'arriver à une paix générale, mais plutôt commandée que consentie. Elle aura pour résultat une cinquième coalition. L'Autriche, l'unique puissance du continent qui eût encore quelque droit à être appelée à cette espèce de congrès, n'y avait point été admise; son orgueil humilié la ramena à des sentimens de haine que la conviction de sa faiblesse tenait seulement assoupis depuis le traité de Presbourg. La Grande-Bretagne, dont le but invariable était la ruine du continent, se saisit avec art des dispositions de l'Autriche.

L'entrevue d'Erfurth a donné lieu à des correspondances et à des négociations dont plusieurs pièces doivent être conservées.

LETTRE de l'empereur d'Autriche à l'empereur des Français.

« Presbourg, le 18 septembre 1808.

» Monsieur mon frère, mon ambassadeur à Paris m'apprend que Votre Majesté impériale se rend à Erfurth, où elle se rencontrera avec l'empereur Alexandre. Je saisis avec empressement l'occasion qui la rapproche de ma frontière pour lui renouveler le témoignage de l'amitié et de la haute estime que

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je lui ai vouée, et j'envoie auprès d'elle mon lieutenant général le baron de Vincent pour vous porter, monsieur mon frère, l'assurance de ces sentimens invariables. Je me flatte que Votre Majesté n'a jamais cessé d'en être convaincue, et que, si de fausses représentations qu'on avait répandues sur des institutions intérieures organiques que j'ai établies dans ma monarchie lui ont laissé pendant un moment des doutes sur la persévérance de mes intentions, les explications que le comite de Metternich a présentées à ce sujet à son ministre les auront entièrement dissipés. Le baron de Vincent se trouve à même de confirmer à Votre Majesté ces détails, et d'y ajouter tous les éclaircissemens qu'elle pourra désirer. Je la prie de lui accorder la même bienveillance avec laquelle elle a bien voulu le recevoir à Paris et à Varsovie. Les nouvelles marques qu'elle lui en donnera me seront un gage non équivoque de l'entière réciprocité de ses sentimens, et elles mettront le sceau à cette entière confiance qui ne laissera rien à ajouter à la satisfaction mutuelle.

» Veuillez agréer l'assurance de l'inaltérable attachement et de la haute considération avec laquelle je suis, monsieur mon frère, de Votre Majesté impériale et royale, le bon frère et ami. Signé FRANÇOIS.

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REPONSE de l'empereur Napoléon à l'empereur d'Autriche.

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Erfurth, le 14 octobre 1808.

» Monsieur mon frère, je remercie Votre Majesté impériale et royale de la lettre qu'elle a bien voulu m'écrire, et que M. le baron de Vincent m'a remise. Je n'ai jamais douté des intentions droites de Votre Majesté ; mais je n'en ai pas moins craint un moment de voir les hostilités se renouveller entre nous. Il est à Vienne une faction qui affecte la peur pour précipiter votre cabinet dans des mesures violentes, qui seraient l'origine de malheurs plus grands que ceux qui ont précédé. J'ai été le maître de démembrer la monarchie de Votre Majesté, ou du moins de la laisser moins puissante je ne l'ai pas voulu. Ce qu'elle est, elle l'est de mon vœu : c'est la plus évidente preuve que nos comptes sont soldés, et que je ne veux rien d'elle. Je suis toujours prêt à garantir l'intégrité de sa monarchie; je ne ferai jamais rien contre les principaux intérêts de ses états. Mais Votre Majesté ne doit remettre en discussion ce que quinze ans de guerre ont terminé; elle doit défendre toute proclamation ou démarche provoquant la guerre. La dernière levée en masse

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