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de se tenir prête à partir. Effectivement, l'empereur a quitté Moskou le 19. Le quartier général était le même jour à Desna.

» D'un autre côté on a armé le Kremlin, et on l'a fortifié; dans le même temps on l'a miné pour le faire sauter.

» Les uns croient que l'empereur veut marcher sur Toula et Kalouga pour passer l'hiver dans ces provinces, en occupant Moskou par une garnison dans le Kremlin.

» Les autres croient que l'empereur fera sauter le Kremlin, et brûler les établissemens publics qui restent, et qu'il se rapprochera de cent lieues de la Pologne pour établir ses quartiers d'hiver dans un pays ami, et être à portée de recevoir tout ce qui existe dans les magasins de Dantzick, de Kowno, de Wilna et de Minsk, pour se rétablir des fatigues de la guerre. Ceux-ci font l'observation que Moskou est éloignée de Pétersbourg de cent quatre-vingts lieues de mauvaise route, tandis qu'il n'y a de Witepsk à Pétersbourg que cent trente lieues; qu'il y a de Moskou à Kiow deux cent dix-huit lieues, tandis qu'il n'y a de Smolensk à Kiow que cent douze lieues; d'où l'on conclut que Moskou n'est pas une position militaire. Or Moskou n'a plus d'importance politique, puisque cette ville est brûlée, et ruinée pour cent ans.

» L'ennemi montre beaucoup de cosaques qui inquiètent la cavalerie. L'avant-garde de la cavalerie, placée en avant de Vinkovo, a été surprise par une horde de ces cosaques ; ils étaient dans le camp avant qu'on pût être à cheval : ils ont pris un parc du général Sébastiani, de cent voitures de bagages, et fait une centaine de prisonniers. Le roi de Naples est monté à cheval avec les cuirassiers et les carabiniers; et, apercevant une colonne d'infanterie légère de quatre bataillons que l'ennemi envoyait pour appuyer les cosaques, il l'a chargée, rompue et taillée en pièces. Le général Dezi, aide de camp du roi, officier brave, a été tué dans cette charge, qui honore les carabiniers.

>> Le vice-roi est arrivé à Fominskoë. Toute l'armée est en marche. » Le maréchal duc de Trévise est resté à Moskou avec une garnison. » Le temps est très beau, comme en France en octobre; peut-être un peu plus chaud. Mais dans les premiers jours de novembre on aura des froids. Tout indique qu'il faut songer aux quartiers d'hiver ; notre cavalerie surtout en a besoin. L'infanterię s'est remise à Moskou, et elle est très bien portante. »

Du 23 octobre. « Depuis que Moskou cessait d'exister, l'empereur avait projeté ou d'abandonner cet amas de décombres, ou d'occuper seulement le Kremlin avec trois mille hommes; mais le Kremlin, après quinze jours de travaux, ne fut pas jugé assez fort pour être abandonné pendant vingt ou trente jours à ses propres forces: il aurait affaibliet

gêné l'armée dans ses mouvemens sans donner un grand avantage. Si l'on cút voulu garder Moskou contre les mendians et les pillards, il fallait vingt mille hommes. Moskou est aujourd'hui un vrai cloaque malsain et impur: une population de deux cent mille âmes, crrant dans les bois voisins, mourant de faim, vient sur ces décombres chercher quelques débris et quelques légumés des jardins pour vivre. I parut inutile de compromettre quoi que ce soit pour un objet qui n'était d'aucune importance militaire, et qui est aujourd'hui devenu sans importance politique.

Tous les magasins qui étaient dans la ville ayant éte découverts avec soin, les autres évacués, l'empereur fit miner le Kremlin. Le duc de Trévise le fit sauter le 23, à deux heures du matin. L'arsenal, les casernes, les magasins, tout a été détruit. Cette ancienne citadelle, qui date de la fondation de la monarchie, ce premier palais des czars, ont été anéantis.

» Le duc de Trévise s'est mis en marche pour Véréia.

Le quartier général fut porté le 19 au château de Troitskoë; il y séjourna le 20. Le 21 il était à Ignatiew; le 22, à Pominskoi, toute l'armée ayant fait deux marches de flanc, et le 21 à Borowsk.

» L'empereur compte se mettre en marche le 24 pour gagner la Dwina, et prendre une position' qui le rapproche de quatre-vingts lieues de Pétersbourg et de Wilna, double avantage, c'est à dire plus près de vingt marches des moyens et du but.

De quatre mille maisons de pierre qui existaient à Moskou, il n'en restait plus que deux cents. On a dit qu'il en restait le quart parce qu'on y a compris huit cents églises; encore une partie en est endommagée. De huit mille maisons en bois, il en restait à peu près cinq cents. On proposa à l'empereur de faire brûler le reste de la ville, pour servir les Russes comme ils le veulent, et d'étendre cette mesure autour de Moskou: il y a deux mille villages et autant de maisons de campagne ou de châteaux. On proposa de former quatre colonnes de deux mille hommes chacune, et de les charger d'incendier tout à vingt licues à la ronde. Cela apprendra aux Russes, disait-on, à faire la guerre en règle, et non en Tartares. S'ils brûlent un village, une maison, il faut leur répondre en en brûlant cent.— » L'empereur s'est refusé à ces mesures, qui auraient tant aggravé les malheurs de cette population. Sur neuf mille propriétaires dont on aurait brulé les châteaux, cent peut-être sont des sectateurs du Marat de la Russie; mais huit mille neuf cents sont de braves gens, déjà trop victimes de l'intrigue de quelques misérables. Pour punir cent coupables, on aurait ruiné huit mille neuf cents innocens, Il faut ajouter que l'on aurait mis absolument sans ressources deux mille pauvres serfs innocens de tout cela. L'empereur s'est done contenté d'ordonner la destruction des citadelles et établissemens

militaires, selon les usages de la guerre, sans rien faire perdre aux particuliers, déjà trop malheureux par les suites de cette guerre.

» Les habitans de la Russie ne reviennent pas du temps qu'il fait depuis vingt jours : c'est le soleil et les belles journées du voyage de Fontainebleau. L'armée est dans un pays extrêmement riche, et qui peut se comparer aux meilleurs de la France et de l'Allemagne. »

A

Du 27. « Le 22 le prince Poniatowski se porta sur Véréia. Le 23 l'armée allait suivre ce mouvement, lorsque dans l'après-midi on apprit que l'ennemi avait quitté son camp retranché, et se portait sur la petite ville de Maloiaroslavetz. On jugea nécessaire de marcher à lui pour l'en chasser.

» Le 24, à la pointe du jour, le combat s'engageå. Pendant ce temps l'armée ennemie parut tout entière, et vint prendre position derrière la ville. Les divisions Delzons, Broussier ct Pino, et la garde italienne, furent, successivement engagées. Ce combat fait le plus grand honneur au vice-roi et au quatrième corps d'armée. L'ennemi engagea les deux tiers de son armée pour soutenir la position; ce fut en vain; la ville fut enlevée, ainsi que les hauteurs. La retraite de l'ennemi fut si précipitée, qu'il fut obligé de jeter vingt pièces de canon dans la rivière.

L'empereur porta son quartier général le 24 au village de Ghorodnia. A sept heures du matin six mille cosques, qui s'étaient glissés dans les bois, firent un houra général sur les derrières de la position, et enlevèrent six pièces de canon qui étaient parquées. Le duc d'Istrie ss porta au galop avec toute la garde à cheval: cette horde fut sabrée, ramenée, et jetée dans la rivière; on lui reprit l'artillerie qu'elle avait prise, et plusieurs voitures qui lui appartenaient; six cents de ces cosaques ont été tués, blessés ou pris. Trente hommes de la garde ont été blessés, et trois tués. Le général de division comte Rapp a cu un cheval tué sous lui: l'intrépidité dont ce général a donné tant de preuves se montre dans toutes les occasions. Au commencement de la charge les officiers de cosaques appelaient la garde, qu'ils reconnaissaient, muscadins de Paris. Le major des dragons Lefort s'est fait remarquer. A huit heures l'ordre était rétabli.

L'empereur se porta à Maloiaroslavetz, reconnut la position de l'ennemi, et ordonna l'attaque pour le lendemain ; mais dans la nuit l'ennemi a battu en retraite. Le prince d'Ekmülh l'a poursuivi pendant six lieues; l'empereur alors l'a laissé aller, et a ordonné le mouvement sur Véréia.

» Le temps est superbe ; les chemins sont beaux : c'est le reste de l'automne; ce temps durera encore huit jours; et à cette époque nous scrons rendus dans nos nouvelles positions. >>

Du 11 novembre. Le quartier général impérial était le 1o novem

bre à Viasma, et le 9 à Smolensk. Le temps a été très beau jusqu'au 6; mais le 7 l'hiver a commencé ; la terre s'est couverte de neige. Les chemins sont devenus très glissans et très difficiles pour les chevaux de trait : nous en avons beaucoup perdu par le froid et les fatigues; les bivouacs de la nuit leur nuisent beaucoup.

» Depuis le combat de Maloiaroslavetz l'avant-garde n'avait pas yų l'ennemi, si ce n'est les cosaques, qui, comme les Arabes, ródent sur les flancs et voltigent pour inquiéter.

» Le 2, à deux heures après midi, douze mille hommes d'infanterie russe, couverts par une nuée de cosaques, coupèrent la route à une lieue de Viasma, entre le prince d'Ekmülh et le vice-roi. Le prince d'Ekmülh et le vice-roi firent marcher sur cette colonne, la chassèrent du chemin, la culbutèrent dans les bois, lui prirent un général major avec bon nombre de prisonniers, et lui enlevèrent six pièces de canon. Depuis on n'a plus vu l'infanterie russe mais seulement des cosaques.

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» Le général Wittgenstein, ayant été renforcé par les divisions russes de Finlande et par un grand nombre de troupes de milice, a attaqué, le 18 octobre, le maréchal Gouvion Saint-Cyr; il a été repoussé par ce maréchal et par le général de Wrede, qui lui ont fait trois mille prisonniers, et ont couvert le champ de bataille de

ses morts.

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Depuis le mauvais temps du 6 nous avons perdu plus de trois mille chevaux de trait, et près de cent de nos caissons ont été détruits. >>

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(Extraits des bulletins, du dix-neuvième au vingt-huitième compris.)

RETRAITE DE LA BÉRÉSINA. Vingt-neuvième bulletin.

« Molodetschno, le 3 décembre 1812.

Jusqu'au 6 novembre le temps a été parfait, et le mouvenent de l'armée s'est exécuté avec le plus grand succès. Le froid a cominencé le 7. Dès ce moment chaque nuit nous avons perdu plusieurs centaines de chevaux, qui mouraient au bivouac. Arrivés à Smolensk, nous avions déjà perdu bien des chevaux de cavalerie et d'artillerie.

» L'armée russe de Volhinie était opposée à notre droite. Notre droite quitta la ligne d'opération de Minsk, et prit pour pivot de ses opérations la ligne de Varsovie. L'empereur apprit à Smolensk, le 9, ce changement de ligne d'opération, et présuma ce que ferait l'ennemi. Quelque dur qu'il lui parût de se mettre en mouvement dans une si cruelle saison, le nouvel état des choses le nécessitait : il espérait arriver à Minsk, ou du moins sur la Bérésin avant l'ennemi. Il partit le 13 de

le

Smolensk; le 16 il coucha à Krasuoi. Le froid, qui avait commencé le 7, s'accrut subitement, et, du 14 au 15 et au 16, thermomètre marqua seize et dix-huit degrés au-dessous de glace; les chemins furent couverts de verglas. Les chevaux de cavalerie, d'artillerie, de train, périssaient toutes les nuits, non par centaines, mais par milliers, surtout les chevaux de France et d'Allemagne ; plus de trente mille chevaux périrent en peu de jours. Notre cavalerie se trouva toute à pied; notre artillerie et nos transports se trouvaient sans attelage. Il fallut abandonner et détruire une bonne partie de nos pièces et de nos munitions de guerre et de bouche.

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Cette armée, si belle le 6, était bien différente dès le 14; presque sans cavalerie, sans artillerie, sans transports. Saus cavalerie, nous ne pouvions pas nous éclairer à un quart de lieue; sans artillerie, nous ne pouvions pas risquer une bataille et attendre de pied ferme. Cependant il fallait marcher pour ne pas être contraints à une bataille, que le défaut de munitions nous empêchait de désirer; il fallait occuper un certain espace pour ne pas être tournés, et cela sans cavalerie qui éclairât et liât les colonnes. Cette difficulté, jointe à un froid excessif subitement venu, rendit notre situation fâcheuse. Les hommes que la nature n'a pas trempés assez fortement pour être au-dessus de toutes les chances du sort et de la fortune parurent ébranlés, perdirent leur gaieté, leur bonne humeur, et ne rêvèrent que malheurs et catastrophes; ceux qu'elle a créés supérieurs à tout conserverent leur gaieté et leurs manicres ordinaires, et virent une nouvelle gloire dans les difficultés différentes à surmonter.

» L'ennemi, qui voyait sur les chemins les traces de cette affreuse calamité qui frappait l'armée française, chercha à en profiter. Il enveloppait toutes les colonnes par ses cosaques, qui enlevait, comme les Arabes dans les déserts, les trains et les voitures qui s'écartaient : cette méprisable cavalerie, qui ne fait que du bruit et n'est pas capable d'enfoncer une compagnie de voltigeurs, se rendit redoutable à la faveur des circonstances. Cependant l'ennemi eut à se repentir de toutes les tentatives sérieuses qu'il voulut entreprendre; il fut culbute par le viceroi, au-devant duquel il s'était placé, et il y perdit beaucoup de monde.

» Le duc d'E'chingen, qui, avec trois mille hommes, faisait l'arrière-garde, avait fait sauter les remparts de Smolensk. Il fut cerué, et se trouva dans une position critique; il s'en tira avec celle intrépidité qui le distingue. Après avoir tenu l'ennemi éloigné de lui pendant toute la journée du 18, et l'avoir constamment repoussé, à la nuit il fit un mouvement par le flanc droit, passa le Borysthène, et déjoua tous les calculs de

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