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Rapport sur l'établissement de la Régence, fait par M. le sénateur comte Pastoret, au nom d'une commission spéciale. Séance du 5 février 1813.

Monseigneur, sénateurs, des lois fondamentales sont la première garantie d'un empire, et l'hérédité du trône est la première de ces lois : sans elle plus de véritable monarchie. Un ordre fixe et prévu dans les successions à la couronne et dans le gouvernement de l'Etat assure seul au peuple un-pouvoir toujours présent, toujours protecteur; et parmi les moyens que la législation offre pour l'obtenir, les meilleurs sans doute sont ceux que le temps a éprouvés, et dont le souvenir inspire le désir de les voir renaître. Telle est, messieurs, le caractère du projet de senatus -consulte soumis aujourd'hui à votre délibération. Peut-être dans quelques lois précédentes n'avait-on pas toujours profité avec un soin égal des leçons du temps et de l'histoire; en consacrant de nouveau les sages principes qu'elles établissent, il était nécessaire d'en modifier quelques autres, trop éloignées des maximes immémoriales du peuple français.

Le premier article donne la Régence à l'impératrice, mère de l'empereur mineur, si feu l'empereur n'en a pas disposé, et elle la réunit de droit à la garde de son fils. Pirs de vingt reines ont été régentes parmi nous; et cet usage est aussi ancien que notre monarchie. C'est au cinquième siècle qu'elle se forma; et dès le sixième l'histoire nous offre de jeunes rois sous la tutelle de leurs mères.

» Nous en retrouvons des exemples sous la deuxième race ; ils sont plus fréquens encore sous la troisième; et ce n'est pas uniquement le soin de la personne que l'on confie à la tendresse des mères, c'est aussi le gouvernement de l'Etat : regni curam, administrationem, tutelam, regimen habeat, sont les expressions les plus ordinaires de nos anciennes lois. La reine Alix fut deux fois régente, eous Louis VII son époux, et sous Philippe Auguste son fils: la reine Blanche le fut deux fois également par les volontés successives du prince à qui elle était unie et de celui à qui elle avait donné le jour, de Louis VIII et de Louis IX.

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» Je n'entrerai point ici, messieurs, dans des détails historiques qui ont été recueillis avec soin et placés naguère sous yeux de tous les Français; je ne m'arrêterai pas même sur cette reine Blanche, au sujet de laquelle j'aimerais pourtant à rappeler un fait trop peu connu, et bien digne de l'être : c'est que la petite-fille de son illustre fils, de saint Louis, épousa le fils du premier empereur de la maison d'Autriche, et que cette

maison par là même remonte à la plus célèbre de toutes les régentes dont notre histoire ait conservé le souvenir. J'éprouve, je l'avoue, messieurs, quelque bonheur à rappeler ce fait dans une époque où les Français doivent à la petite-fille de MarieThérèse le gage de tant d'affections et le modèle de tant de vertus,

» En assurant la Régence à l'impératrice dans le cas du décès de l'empereur, le projet de senatus-consulte ne fait donc que nous ramener à la doctrine ancienne de la monarchie. Si le trône, comme le disaient nos ancêtres, ne pouvait tomber de lance en quenouille, cela n'empêchait point que le gouvernement ne fût laissé aux mères jusqu'à ce que la lance pût être mise dans les mains de celui qui était déjà roi.

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» La source d'une telle doctrine était dans la nature même. Quel garant plus sûr que l'amour maternel! Le premier bonheur des mères, leur plus doux devoir, c'est leur fils : qui veillera mieux à leur conserver un pouvoir fort et respecté ? Une autre ambition ne peut les atteindre; et, s'il était permis de joindre à des motifs tirés de la nature un motif qui appartient plus particulièrement à l'intérêt public, nous dirions que c'est précisément parce qu'elles ne peuvent arriver à la royauté, dans les pays où les lois leur en ferme l'entrée, que leur régence a tous les avantages sans offrir aucun danger; le plus tendre des sentimens de la nature tourne alors tout entier au profit de l'Etat.

» Mais cette juste confiance que la mère du prince doit inspirer à tous ses sujets subsistera-t-elle si, oubliant les devoirs que la maternité lui donne envers son fils, et que son rang lui impose envers la nation, elle passe à de secondes noces? Non, sans doute; et si une défense aussi naturelle avait besoin d'être justifiée, nous la retrouverions encore dans la plupart des actes semblables de notre histoire, et notamment dans ceux de Philippe-le-Bel en 1294, de Charles VI en 1392 et en 1403, et dans la loi d'un prince qui porte et qui mérita le nom de Sage, de Charles V (octobre 1374).

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» Les articles 19 et 20 du senatus-consulte du 18 mai 1804 voulaient que le régent fût choisi parmi les princes français et à leur défaut parmi les grands dignitaires de l'Empire. Nous trouvons une disposition semblable, mais plus développée, mieux éclaircie, dans les articles 3 et 4 du projet de senatusconsulte. La Régence appartient d'abord au premier prince du sang, aux autres après lui daas l'ordre de l'hérédité, aux princes grands dignitaires ensuite, dans un ordre prévu et déterminé. Les princes français assis sur un trône étranger ne peuvent prétendre à la Régence; ils ont ailleurs trop de soins à remplir, trop de devoirs à exercer; ils ont une autre patrie,

une autre famille politique, et le premier trône pour eux serait toujours celui qu'ils doivent posséder toute leur vie, qu'ils doivent transmettre à leurs enfans.

» L'âge pour être habile à posséder la régence, ou faire partie de son conseil, est le même que le Code Napoléon fixe pour la majorité, vingt et un ans accomplis. Tous les actes néanmoins en seront portés au nom de l'empereur : l'âge, qui fait beaucoup à la capacité de gouverner, ne fait rien à la transmission et à la certitude du droit ; un roi de cinq ans, comme le furent Louis XIV et Louis XV, n'en est pas moins roi. Nous en avons eu de plus jeunes encore, et leur enfance n'a pas empêché qu'ils ne portassent la couronne, et que leur nom ne fût placé à la tête de nos lois.

>> Le titre dont nous venons de faire connaître les principales dispositions dit quel sera l'ordre de la régence quand une volonté particulière de l'empereur ne l'aura pas déterminé; mais nos rois eurent toujours le droit d'en disposer, ou par un testament, ou par des lettres-patentes : ce droit est réservé à l'empereur par le titre suivant.

>> Le troisième traite du pouvoir de la régence et de sa durée. Son autorité commence au décès du monarque. Elle est exercée telle que l'empereur l'exerçait lui-même : l'impératrice peut nommer aux grandes dignités et aux grands offices de l'Empire qui seraient vacans; elle peut, et le prince régent aussi, nommer des sénateurs, nommer et révoquer les ministres. Ces dispositions ne sont que des conséquences nécessaires du premier article du même titre, article qui confère à la régente ou au régent la plénitude de la puissance impériale.

» Il ne suffisait pas de déterminer comment la régence serait donnée à la mort d'un prince qui laisse un fils mineur; il fallait prévoir le cas où l'on perdrait ce fils même. Meurt-il laissant un frère héritier du trône, rien n'est changé dans les dispositions qui précèdent; c'est toujours sur un fils de l'impératrice que réside la royauté; elle continuera d'être régente. Mais il n'en serait plus de même si l'hérédité appelait au trône un prince qui ne fût pas son fils; la régence serait alors confiée dans l'ordre prescrit par l'article 4, qui veut qu'à défaut de princes du sang habiles à l'exercer elle appartienne de droit au premier des grands dignitaires en fonction au moment du décès. Si le prince appelé au trône par l'ordre de l'hérédité est d'une autre branche et mineur, régent conservera l'exercice du pouvoir jusqu'à la majorité du nouvel empereur, comme l'avait déja établi le senatus-consulte du 18 mai 1804. Dans aucun cas le prince investi une fois de la régence ne peut la perdre jusqu'à cette majorité. On

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prévoit aisément tout ce qui pourrait résulter d'une lutte entre deux princes dont l'un voudrait acquérir la régence, et dont l'autre voudrait continuer à l'exercer; on sait trop bien que toutes ces luttes des ambitions individuelles sont ordinairement fécondes en malheurs pour les peuples.

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Le conseil de régence est l'objet du titre suivant. Ces conseils se trouvent encore établis par un usage immémorial dans l'histoire de notre monarchie. Charlemagne, et après lui Charles-le-Chauve, en nomment pour leurs enfans, et nous trouvons encore dans nos anciens Capitulaires les actes par lesquels ces conseils furent institués. Ils sont plus fréquens, nous les connaissons mieux du moins, sous la troisième race; et toujours on y remarque également le double principe exprimé dans le projet de senatus-consulte, que les Français voisins du trône y sont appelés par leur rang même, et que le souverain a le droit d'adjoindre, à ceux qu'appellent ainsi les droits du sang ou l'éminence de leurs fonctions, les citoyens que sa propre estime et le bien de l'Etat lui indiquent comme dignes de concourir à l'exercice d'une si grande autorité. Philippe III, Charles V, Henri II, nomment ainsi par des lettres-patentes, et Louis XII par son testament, des personnes étrangères à la famille royale, mais recommandables par leurs services, leurs lumières et leurs vertus. Du reste il ne faut pas que ces indications, faites d'avance, ou par la nature les Constitutions de l'Etat, ou par la sollicitude du prince pour l'avenir, puissent être sans effet par une volonté particulière de la régente ou du régent; aussi l'article 22 leur défend-il d'éloiguer les membres du conseil des fonctions qu'ils doivent remplir. » Des règles sont ensuite posées sur les délibérations de ce conseil. Elles ne sont pas les mêmes dans tous les cas; mais plus l'objet de la discussion est important, plus est grande l'influence de ceux qui doivent y concourir. Dans les affaires ordinaires le conseil de régence n'a que voix consultative ; il a voix délibérative, et la majorité seule décide, s'il est appelé à l'examen des plus grands intérêts de l'Etat : le mariage de l'empereur, les déclarations de guerre, les traités de paix, d'alliance ou de commerce; la disposition du domaine extraordinaire de la couronne pour former des dotations nouvelles, et la question de savoir s'il sera nommé par le régent aux grandes dignités de l'Empire vacantes durant la minorité. Le conseil de régence nomme aussi, à la majorité des voix, le grand dignitaire à qui seront confiées la surveillance de l'éducation de l'empereur mineur et la surintendance de sa maison, quand l'empereur décédé ne l'a pas déterminé lui-même, et que le jeune prince a encore eu le malheur d'être privé de sa

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mère. Elle vivant, ces soins lui sont tellement prescrits par la nature, que les législations mêmes qui ont hésité à donner la régence aux mères se sont empressées à leur reconnaître et à consacrer un droit plus ancien que toutes les lois humaines. La garde de l'empereur mineur appartient à sa mère, avait déjà dit le senatus-consulte du 18 mai 1804.

La régente et le régent doivent à l'empereur et à l'Etat un serment qui sera prêté dans les formes les plus solennelles ; ils jureront de respecter les Constitutions de l'Empire, les dispositions faites sur la régence, et de transmettre fidelement au jeune prince, à sa majorité, le pouvoir dont ils auront été les dépositaires. Le reste du serment est tiré de celui que prête l'empereur lui-même en arrivant au trône.

» Des lois sur l'institution et l'organisation de la régence, le projet de senatus-consulte passe à l'administration des doinaines pendant la minorité. La classification de ces domaines et les principes d'après lesquels ils doivent être régis ont été, au mois de janvier 1810, l'objet d'une de vos plus importantes délibérations. Le senatus-consulte rendu alors distingue et traite en autant de titres séparés ce qui concerne la dotation de la couronne, le domaine extraordinaire, le domaine privé de l'empereur. Dans l'acte qui vous est soumis aujourd'hui l'administra tion de la dotation de la couronne continue d'après les règles établies. Quant au domaine privé, le conseil de famille, dont la formation est ordonnée par le titre V du statut du 30 mars 1806, doit prendre quelques précautions, sagement indiquées, pour en assurer la disposition conformément au senatusconsulte du 30 janvier 1810. L'administration du domaine extraordinaire continue, comme celle de la dotation de la couronne, d'après les règles établies aussi. Les fonds qui se trouvent dans son trésor au moment du décès se versent dans le trésor de l'Etat, et y restent jusqu'à la majorité. La régente ou le régent ne peuvent disposer que des dotations qui n'excéderaient pas cinquante mille francs.

» Le titre VIII doit être regardé comme une sorte de complément des lois proposées sur la régence. Le nouvel empereur peut être absent au moment de la mort de son prédécesseur. Le pouvoir des ministres est alors prorogé; ils se forment en conseil de gouvernement, sous la présidence du premier des grands dignitaires de l'Empire. Tout se fait néanmoins au nom de l'empereur, quoiqu'il ne soit pas encore dans ses Etats. La même prorogation a lieu en cas d'absence du régent, et jusqu'à son arrivée sur le territoire français. Si, l'empereur ou le régent étant hors de l'Empire, et le gouvernement entre les mains du conseil des ministres, il s'offrait des questions que le présent

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