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de vous. Vous avez voulu me couvrir de boue; mais je suis de ces hommes qu'on tue, et qu'on ne déshonore pas.

» Etait-ce avec de pareils reproches que vous prétendiez relever l'éclat du trône? Qu'est-ce que le trône au reste? quatre morceaux de bois dorés, revêtus d'un morceau de velours? Le trône est dans la nation, et l'on ne peut me separer d'elle sans lui nuire, car la nation a plus besoin de moi que je n'ai besoin d'elle. Que ferait-elle sans guide et sans chef?

»Je vous le répète, votre rapport était fait dans des intentions perfides. Je le garde pour le faire imprimer un jour, et apprendre à la postérité ce que vous avez fait. S'il circule dans les départemens, à votre honte, je le ferai imprimer dans le Moniteur avec des notes, et je ferai voir dans quelles vues il était rédigé.

» Lorsqu'il s'agit de repousser l'ennemi, vous demandez des institutions! Comme si nous n'avions pas d'institutions! N'êtes-vous pas contens de la Constitution, il y a quatre ans qu'il fallait en démander une autre, ou attendre deux ans après la paix pour faire cette demande. Était-ce dans ce moment qu'il fallait la présenter cette demande ? Vous voulez donc imiter l'Assemblée constituante, et commencer une révolution? Mais je ne ressemblerais pas au roi qui existait alors; j'abandonnerais le trône, et j'aimerais mieux faire partie du peuple souverain que d'être roi esclave.

» Vous avez été entraînés par l'esprit de faction, quoique les onze douzièmes de votre corps soient de bons citoyens, et retournent dans leurs départemens avec toute ma confiance.

>> Je sais comment se conduisent les grandes assemblées: un individu se met à droite, un second à gauche, un troisième au milieu, et les factieux s'agitent, et entraînent la majorité. C'est ainsi que vous avez été conduits.

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Vous avez nommé cinq membres de votre commission à la commission des finances, comme s'il n'y avait que ces cinq hommes-là au Corps législatif. Vous avez repoussé ceux qui tenaient à la cour, au gouvernement; et pourquoi? Vous n'avez pas voulu de celui-ci parce qu'il était procureur généval, de celui-là parce qu'il était de la cour des Comptes: c'étaient pourtant de bons Français, et vous leur avez préféré des factieux. On est venu vous dire qu'avant de combattre il fallait savoir si l'on avait une patrie : on ne trouvait donc de patrie que là où régnait l'anarchie?

» Moi aussi je suis sorti du milieu du peuple, et je sais les obligations que j'ai contractées.

»Vous pouviez faire beaucoup de bien, et vous avez fait beaucoup de mal; et vous en auriez fait plus si j'avais laissé

imprimer votre rapport. Vous parlez d'abus, de vexations. Je sais comme vous qu'il y en a eu ; cela dépend des circonstances et du malheur des temps. Mais fallait-il mettre toute l'Europe dans le secret de nos affaires ? C'est du linge sale qu'il fallait blanchir en famille, et non sous les yeux du public.

» Dans tout ce que vous dites il y a la moitié de faux ; l'autre moitié est vraie. Que fallait-il faire? Me communiquer confidemment tout ce qui était à votre connaissance, département par département, individų par individu : je vous aurais mis en rapport avec mes ministres mes conseillers d'état; nous aurions tout examiné en famille ; j'aurais été reconnaissant des renseignemens que vous m'auriez donnés, et j'aurais fait punir les dilapidateurs; je ne les aime pas plus que vous.

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» Mais dans vos plaintes il y a de l'exagération. M. Raynouard a dit, par exemple, que le maréchal Masséna avait pillé la maison de campagne d'un citoyen de Marseille. M. Raynouard en a menti. Ce citoyen est venu se plaindre au ministre de l'intérieur de ce que sa maison, où logeait le maréchal Masséna, était occupée par le quartier général pendant un temps plus long que ne le permettaient les lois. Il ne s'est pas plaint d'autre chose, et comme le quartier général ne pouvait pas être établi ailleurs, je lui ai fait donner une indemnité. Je vous le dis, il y a de l'exagération dans vos plaintes.

» Les onze douzièmes de votre corps retourneront dans leurs départemens avec ma confiance tout entière. Qu'ils disent que je veux sincèrement la paix, que je la désire autant que vous, que je ferai tous les sacrifices pour la donner à la France, qui en a besoin.

>> Dans trois mois nous aurons la paix ; les ennemis seront chassés de notre territoire, ou je serai mort.

» Nous avons plus de ressources que vous ne pensez. Les eunemis ne nous ont jamais vaincus; ils ne nous vaincront point, et ils seront chassés plus promptement qu'ils ne sont

venus.

>> Les babitans de l'Alsace et de la Franche-Comté ont un

meilleur esprit que vous. Ils demandent des armes ; je leur en fais donner: je leur envoie des aides-de-camp pour les conduire en partisans.

» Retournez dans vos départemens; je ferai assembler les colléges électoraux, et compléter le Corps législatif, »

XX.

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XIII.

COALITION GÉNÉRALE CONTRE NAPOLEON. ENVAHISSEMENT DE LA FRANCE. RETOUR DES BOURBONS.

SITUATION GÉNÉRALE.

Napoléon était rentré à Paris le 9 novembre 1813, laissant les débris de son armée se réunir dans les places de Mayence, Cologne, Strasbourg, etc. Ainsi la retraite de Leipsick, encore plus désastreuse, s'il est possible, que celle de la Bérésina, avait, après vingt années de triomphes chez l'étranger, rejeté le théâtre de la guerre sur les frontières de l'ancienne France. De nouveaux moyens, de nouvelles forces, encore plus étendues que jamais, et surtout plas promptement organisées, lui étaient indispensables pour continuer une lutte que les alliés ne voulaient plus suspendre. L'envahissement de l'Empire, l'occupation de sa capitale, enfin la chute de Napoléon, voilà désormais, quelles que soient les négociations, les promesses, les actes de leur diplomatie, voilà leur but invariable: vaincus par lui tour à tour, et souvent tous ensemble, s'ils ont connu sa rigueur ils ont aussi trompé sa clémence; heureux une fois par des chances inespérées, ils veulent se garantir d'un retour de la fortune du héros.

Mais ces nouveaux moyens, ces forces plus étendues, et qu'il faut indomptables, si la France les possède encore, Napoléon ne peut plus les obtenir. Sa situation était telle qu'un soulèvement spontané de la nation pouvait seul le maintenir sur le trône, et sauver la France de l'envahissement; et ce mouvement était impossible, autant par l'éducation politique qu'il avait donnée au peuple que par la renaissance des aristocraties. Le peuple, aussi soumis que l'armée, privé comme elle de toutes relations entre citoyens, et d'ailleurs réfroidi sur ses intérêts sociaux par une confiance sans bornes dans le gouvernement; le peuple semblait ignorer qu'il eût des forces autres que celles réclamées par la volonté du maître; et Napoléon, jaloux à l'excès de son autorité suprême, n'aurait osé s'exposer à rappeler au peuple le secret de sa toute puissance.

Son trône n'était guère entouré que d'hommes vains, cupides et pusillanimes, toujours prêts à la supplique ou à la louange, incapables de jamais faire entendre l'accent de la vérité. Doués de talens dociles, ils avaient été de bons instrumens pendant la prospérité : quand Napoléon sentit le besoin d'être secondé, il s'aperçut qu'il était seul au milieu de ses conseillers et de ses amis; heureux du moins s'il n'y eût point trouvé des traîtres!

Déjà plusieurs d'entre eux, effrayés de son agonie politique, calculaient les chances favorables que pouvait leur offrir sa chute; ils

convenaient qu'il avait fait des fautes, et, prêts à l'abandonner, à peine lui accordaient-ils de ces froids regrets qu'emporte un bienfaiteur dont la perte, dès longtemps prévue, devient une consolation de l'état de crise qui l'a précédée.

D'autres conspiraient directement en faveur de l'ancienne dynastie, dont les agens, sortis enfin d'une longue apathie, se remontraient plus actifs, plus nombreux qu'à aucune époque de la révolution : ils s'étaient répandus dans les villes, glissés dans les admi · nistrations; déjà ils essayaient la corruption sur des chefs de troupes, en même temps qu'ils assiégeaient les cabinets diplomatiques, suivaient les bataillons de l'étranger, implorant à la fois leur secours et armant leur fureur.

Napoléon, par son indulgence pour certains hommes, par sa faiblesse pour les vanités nobiliaires, avait familiarisé les esprits avec les idées de contre-révolution. Dans les salons de Paris comme à l'époque du 18 fructidor, les anciens titres étaient placés au-dessus des services nouveaux, et de prétendues illustrations historiques recevaient les hommages de cette foule d'individus, lâches et vains, qui semblent n'avoir de pensée que pour blâmer ce qui est, de joie que pour les malheurs publics. Ces hommes avaient eu le cruel`couragé d'exercer leur esprit sur la retraite de la Bérésina; ils retrouvèrent encore leur gaieté à la nouvelle du désastre de Leipsick. La conduite au moins intempestive du Corps législatif leur parut justifier la leur, et tandis que toutes les calamités se précipitaient sur les frontières de l'Empire, dans l'intérieur ils se faisaient gloire d'être de l'opposition; ils demandaient à grands cris la paix, lorsqu'un raisonnement le plus vulgaire indiquait que pour obtenir cette paix si désirée il fallait auparavant se préparer à la guerre (1).

Les républicains aussi n'étaient pas sans mériter quelque reproche. Ils avaient conservé de justes ressentimens ; mais était-ce le moment de les faire éclater? Si Napoléon malheureux ne pouvait désarmer les accusateurs de Napoléon despote, le spectacle de la patrie déchirée devait éloigner pour un temps toute idée de vengeance contre un homme. Cependant les républicains recevaient un grand exemple du plus illustre d'entre eux Carnot, depuis longtemps rentré dans la vie de simple citoyen, mais confondant alors la chose publique avec l'empereur, vint offrir son dévouement et son génie; il se chargea du gouvernement et de la défense de la ville et du port d'Anvers; et cette importante cité, par un monument de sa reconnaissance, a

(1) Un membre du Corps législatif, l'un des chefs les plus influens de cette opposition factieuse, avait composé une chanson dont l'éternel refrain était la paix, la paix, la paix, et il aurait voulu que les citayens, en se promenant dans le jardin des Tuileries, le répétassent incessamment sous les fenêtres de l'empereur.

consacré le souvenir de l'administration savante et paternelle de Carnot.

Ainsi Napoléon, au milieu d'un peuple isolé en soi par la perte de ses droits politiques; entravé dans la marche de son gouvernement par les efforts d'une faction; à la tête d'une armée toujours dévouée, mais qui, étant plutôt la sienne que celle de la nation, ne mettait de gloire à vaincre que pour son chef et avec lui; menacé de la tiédeur et même de l'abandon de ses premiers lieutenans, chez qui les richesses autant que les fatigues avaient amolli le courage, ébranlé la fidélité; Napoléon, après avoir imposé une domination tutélaire, brillante, mais absolue, n'allait recueillir que le fruit du despotisme. Quand sa position réclamait tous les dévouemens, il ne pouvait compter que sur l'obéissance du peuple, et devait eraindre la défection de ses esclaves titrés. Tel est l'écueil des gouvernemens qui se séparent de la masse des citoyens pour s'appuyer sur des aristocraties.

Au dehors tout combattait également contre lui; la jalousie, la haine et les ressentimens des rois, l'ingratitude et l'aveuglement des peuples. Les défections successives de la Prusse, de l'Autriche, de la Bavière et des troupes saxonnes avaient décidé celles des princes de la Confédération. La Suède et la Russie entraînent le Danemarck, dernier allié de la France dans le nord. La Hollande proclame son indépendance sous la protection prussienne, et rappelle la maison d'Orange. La neutralité de la république Helvétique est vendue aux Autrichiens par l'aristocratie suisse. L'Italie, que Napoléon a régénérée, est en insurrection contre son bienfaiteur. Mais une défection la plus coupable de toutes, c'est celle qui annonce à Napoléon un ennemi de plus dans un prince français son parent, et l'un de ses premiers lieutenans, dans la personne du roi de Naples, Murat: soldat intrépide, mais chef incapable et mauvais citoyen, il s'est donné à la coalition autant pour satisfaire à des ressentimens personnels que par des vues ambitieuses: plusieurs fois il avait mérité que Napoléon lui adressât de vifs reproches; son orgueil offensé en fit l'ennemi de son pays. L'Angleterre, qui par les efforts de sa haine est parvenue à cimenter cette monstrueuse coalition, l'appuie encore par des efforts nouveaux pour elle : elle ne se borne plus à payer ses alliés, à diriger, à corrompre leurs cabinets; elle lève des armées, et se montre aussi puissance militaire. Ses troupes, réunies aux insurgens espagnols et portugais, grossies par des transfuges de tous les pays, parviennent à se rendre maitres de la péninsule, que les généraux français, privés d'hommes et de toute espèce de secours, ont été obligés d'abandonner après cinq années d'une guerre la plus désastreuse; injuste peut-être de la part de la France, signalée du côté de l'ennemi par des actes inouis de vengeance et de cruauté. Enfin l'Europe entière, enveloppée d'une atmosphère d'intrigues et de trahisons, marchait armée contre la France.

mais

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