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» Comme par enchantement, les dispositions prescrites par Votre Majesté ont fait paraître au même instant sur les rives de l'Escaut, et aux centres de réserve de Lille et de Maestricht, quatre armées différentes, sous le commandement du maréchal prince de Ponte-Corvo, des maréchaux duc de Valmy, duc de Conegliano et duc d'Istrie.

Ce déploiement subit de tant de forces, et l'élan national qui les multipliait, a frappé les ennemis de stupeur. Leur entreprise, calculée sur de fausses données, a complètement échoué.

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L'Europe a vu se réaliser ce que la pénétration de Votre Majesté avait aperçu à l'avance lorsqu'elle prononçait que l'ignorance et l'impéritie avaient dirigé cette expédition, et lorsqu'avare du sang français, et ordonnant qu'on se tînt sur une simple défensive, elle m'écrivait : Nous sommes heureux de voir les Anglais s'entasser dans les marais de la Zélande; qu'on les tienne seulement en échec, et bientôt le mauvais air, les fièvres particulières à cette contrée, auront détruit leur armée.

» Pendant que nos troupes étaient réparties dans de bons cantonnemens autour d'Anvers, ou établies dans cette place, l'armée anglaise, campée dans des marais et privée d'eau potable, a perdu plus d'un tiers de ses soldats. Mais la facilité qu'ont les Anglais de se porter par mer d'un côté à l'autre peut faire calculer que tout ce qui aura échappé au désastre de cette expédition ira renforcer leur armée en Portugal.

Sire, les divers champs de bataille où s'illustrent vos armes se trouvent trop éloignés entre eux pour que l'on puisse, sans exposer le soldat, faire marcher une de vos armées de l'un de ces champs de bataille à l'autre, et Votre Majesté, si satisfaite du dévouement des troupes qu'elle commande au-delà du Danube, veut leur éviter les fatigues de la guerre d'Espagne. Les armées françaises au-delà des Pyrénées sont fortes d'ailleurs de trois cents bataillons et de cent cinquante escadrons. Il suffit donc, sans y envoyer de nouveaux corps, de maintenir au complet ceux qui s'y trouvent. Trente mille hommes rassemblés à Baïonne offriront les moyens de remplir cet objet, et de repousser les forces que les Anglais pourraient faire

avancer.

» Dans cet état de choses il m'a semblé qu'il entrait dans les vues de Votre Majesté de limiter le recrutement nécessaire en ce moment au contingent indispensable pour remplacer dans les cadres de l'intérieur ce que le mouvement journalier en fait sortir. Les états qui seront mis sous les yeux de Votre Majesté lui feront connaître que sur la conscription des

années 1806, 1807, 1808, 1809 et 1810, il reste encore plus de huit cent mille hommes qui, ayant concouru au tirage, n'ont point été appelés aux armées. Cet immense recrutement eût pu marcher contre vos ennemis si un danger imminent pour l'État en eût imposé la loi : je propose à Votre Majesté de n'en appeler que trente-six mille hommes, et de déclarer ces classes entièrement libérées.

» Par ce moyen vos armées, Sire, seront maintenues dans l'état respectable où elles se trouvent; un nombre considérable de vos sujets sera définitivement affranchi du devoir de la conscription. Votre Majesté aura de plus à sa disposition les deux cent cinquante mille hommes qu'offre la classe de 1811, sur laquelle je ne proposerai à Votre Majesté de faire un appel que dans le cas où les événemens tromperaient ses espérances et ses intentions pacifiques.

» Les armées de Votre Majesté sont aussi redoutables par leur nombre qu'elles le sont par leur courage; mais qui pourrait conseiller à la France de ne pas proportionner ses efforts à ceux de ses ennemis? En donnant ce conseil, dicté par la plus imprudente sécurité, il faudrait oublier que l'Autriche avait naguère sur pied sept cent mille hommes, et que pour faire cet effort gigantesque cette puissance n'avait pas craint d'exposer sa population à un anéantissement presque total, et d'attaquer les bases de sa prospérité. Il faudrait oublier également que l'Angleterre a pris part à la guerre continentale en se présentant au même instant avec trois armées différentes sur les côtes de Naples, sur celles de la Hollande et en Portugal.

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L'agitation des hommes jaloux de la France a redoublé, parce qu'ils sentent que ce moment a fixé sa grandeur : leurs efforts seront impuissans, puisque la France a pu arriver au comble des succès et de la gloire sans faire aucun de ces ruineux sacrifices qui ruinent ses ennemis. En effet, malgré les appels successifs faits jusqu'à ce jour aux diverses classes de conscrits, à peine un quart des hommes qui en faisaient partie a-t-il

marché.

» En considérant la situation des armées de Votre Majesté et les résultats des expéditions anglaises, peut-on voir sans une sorte de satisfaction l'Angleterre faire, à l'exemple de l'Autriche, des efforts hors de proportion avec ses moyens et avec les besoins de sa marine? Que peut-elle attendre de cette lutte sur terre et corps à corps avec la France qui ne tourne à son propre désavantage et à sa honte ?

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Sire, le peuple français devra à Votre Majesté le bien inexprimable et la gloire de la paix conquise, sans expédition maritime, sur un ennemi qui, par sa situation, se croyait hors

de touteatteinte. Chaque tentative sérieuse de la part des Anglais sur le continent est un acheminement vers la paix générale.

» Les ministres anglais qui ont précédé les membres du gouvernement actuel, plus habiles que ceux-ci, étaient bien convaincus de cette vérité; ils s'étaient bien gardés de s'engager dans une lutte inégale; ils ne perdirent pas de vue que pour faire une longue guerre il fallait qu'elle pesât peu sur le peuple qui devait la soutenir.

» Depuis un an la guerre a coûté à l'Angleterre plus de sang qu'elle ne lui en avait coûté depuis qu'elle a rompu la paix d'Amiens. Engagée dans les combats de l'Espagne et du Portugal, où son devoir et son intérêt lui défendent de reculer, elle verra ces contrées devenir le tombeau de ses plus braves guerriers. La douleur de leur perte fera naître enfin dans l'esprit du peuple anglais une juste horreur pour les hommes cruels dont l'ambition et la haine délirante ont osé prononcer le mot de guerre éternelle; elle amènera chez ce peuple le désir de la paix générale, que tout homme de bon sens peut prédire comme prochaine si les Anglais s'obstinent à s'engager dans une lutte sur le continent.

» Je suis avec respect, Sire, etc., le ministre de la guerre. Signé comte D'HUNEBOURG (Clarcke).

MOTIFS du projet de senatus- consulte portant que trente-six mille conscrits seront levés sur les classes des années 1806, 1807, 1808, 1809 et 1810; exposés par M. le conseiller d'état comte de Cessac (Lacuée).

Monseigneur, sénateurs, je vais avoir l'honneur de vous donner communication du projet de senatus-consulte dont S. A. S. le prince archichancelier et S. Ex. le ministre de la guerre vous ont fait connaître les principales dispositions.

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Si S. A. S. le prince archichancelier et S. Ex.. le ministre de la guerre n'avaient pas développé devant vous avec la dignité de l'éloquence et la force de la raison les motifs qui ont décidé S. M. l'empereur et roi à faire un appel de trente-six mille conscrits, je devrais, sénateurs, vous montrer qu'une prévoyance fille du génie et d'une haute sagesse, qu'un amour ardent, mais raisonné de la paix, ont seuls dicté les résolutions de S. M. impériale et royale. En effet, tout autre prince que Napoléon-le-Grand qui aurait laissé dans les Espagnes des forces aussi capables que les siennes de combattre et de vaincre les Anglais ; qui se fût trouvé à la tête d'une armée la plus belle que le Danube ait vue sur ses bords; qui eût été maître de la capitale de l'ennemi, et de plus de moitié de ses plus belles provinces ; qui aurait remporté une foule de vic

toires éclatantes, même quand cette armée était à peine réunie dans ses premiers élémens; qui aurait vu ses peuples se lever presque en masse, mais avec ordre, mais avec calme pour repousser pendant son absence un ennemi qui avait ose menacer le territoire de son Empire; tout autre prince, dis-je, ne vous eût pas demandé de mettre de nouvelles forces à sa disposition; et le premier capitaine du monde, le plus grand hommes de son siècle, vous le demande! Mais comme vous connaissez ainsi que lui la haine invétérée et implacable de l'un de nos ennemis, comme vous n'ignorez pas que l'autre a souvent consulté plutôt ses passions que ses véritables intérêts, comme vous savez que le caractère de notre empereur est la prévoyance; comme vous l'avez yu faire fortifier les bords du Rhin lorsqu'il se trouvait sur ceux de Niémen, Vous penserez avec lui qu'il importe de faire une nouvelle levée, et vous vous empresserez de mettre à sa disposition les conscrits qu'il réclame.

» S'il pouvait être parmi vous, sénateurs, quelqu'un qui eût besoin de motifs étrangers à ceux qui vous ont déjà été exposés, je lui montrerais que cette levée n'imposera aux classes de 1806, 1807, 1808, 1809 et 1810, qu'un fardeau qu'elles peuvent porter avec facilité, et qu'elles porteront avec empressement.

» Les ennemis de la France, voyant que nous avons levé les classes de 1809 et 1810 avant l'époque où elles devaient être appelées, ont imaginé sans doute que nous recourions à ce moyen parce qu'il ne nous restait plus de ressources sur les années antérieures. Quelle était leur erreur ! Si le gouvernement français a pris ce parti, c'est qu'il ne pouvait ni ne devait entrer dans l'ordre des pensées ni dans le cœur de S. M. que le gouvernement anglais eût l'intention de faire une guerre perpétuelle à la France; c'est qu'il ne devait entrer ni dans l'ordre des pensées ni dans le cœur de S. M. que le gouvernement autrichien, à qui la paix était si importante, si nécessaire; que ce gouvernement, à qui il avait accordé une paix si libérale, si inespérée, voudrait se mesurer de nouveau avec les armées françaises dirigées par Napoléon-le-Grand, électrisées par sa présence.

>> Notre empereur, calculant donc sur une paix prochaine et longue, avait voulu diviser le poids de la guerre sur plusieurs classes, afin qu'il fût moins sensible pour chacune d'elles. Il avait voulu aussi que les Français qui composent ces deux classes, et qui, d'après ses calculs, auraient pu être privés de leur portion de gloire militaire, trouvassent l'occasion d'en acquérir.

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Trompé dans sa juste attente, l'empereur a dû recourir à ce trésor d'hommes qu'il avait par prudence laissé en réserve.

Deux fois il lui a demandé des secours, et deux fois les contingens qu'il avait jugés nécessaires ont été fournis avec rapidité. » Notre modération avait dissimulé nos forces; notre modération veut aujourd'hui que nous les fassions connaître. Dissipons une erreur fatale à nos ennemis, et qui pourrait leur devenir plus funeste encore! Quand ils connaîtront bien nos ressources, sans douté ils seront convaincus qu'une paix franche et solide est le seul port le seul poste où ils puissent trouver leur salut.

» C'est aux gouvernemens faibles, aux gouvernemens timides à chercher leur sûreté dans la dissimulation de leur faiblesse, ou dans l'exagération de leurs forces. La France doit et peut faire connaître à ses amis et à ses ennemis sa véritable situation : cette situation est bien faite pour donner aux prémiers plus d'énergie, et pour apprendre aux autres qu'en recourant aux armes ils courent à une perte certaine.

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» Voici, sénateurs, l'état au vrai de la force conscription

nelle de la France; j'ose vous en garantir l'exactitude:

>> La classe de 1806 a fait entrer dans les cadres de la cons

cription quatre cent vingt-trois mille hommes.

Cette classe se composait de quinze mois, ci.

Celle de 1807 a fourni.

Celle de 1808.

Celle de 1809.

Celle de 1810.

Total.

423,000

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Sur ces classes on a levé jusqu'à ce jour cinq cent vingt

mille hommes, savoir :

Sur 1806

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» Il reste dans leurs foyers, sur ces cinq classes, un million trois cent quarante-cinq mille hommes.

» S. M. demande aujourd'hui que ces mêmes classes fournissent un contingent de trente-six mille hommes; ainsi, après cette levée qui doit être et sera la dernière, il restera encore ces cinq classes un million trois cent mille hommes environ. Sur ce nombre, je dois le dire, il en est à qui la nature a refusé

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