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feodo et vadio, etc., nous montrent que déjà à cette épo que elle était fort employée. Le grand Coutumier en traite aussi dans son chapitre 92, De querelle fieffale. La recognitio se faisait de la manière suivante; on choisissait des personnes dignes de foi, qui étaient voisines des parties, ou des lieux litigieux. On les prenait en général au nombre de douze. Ces personnes n'avaient pas une connaissance directe de l'affaire, mais eu égard à leur voisinage des personnes ou des lieux, elles devaient être à même de décider qui avait raison. Ce n'étaient pas les parties qui les désignaient, c'étaient les juges. Une fois réunies, ces personnes prètaient serment à l'audience; puis on leur exposait l'affaire, et elles se retiraient pour délibérer en commun. Quand leur décision était formée, l'une d'elles exposait qu'elle était cette décision (Glasson, op. cit. II' partie, chap. 6, parag. 78).

La conquête de la Normandie par Philippe-Auguste en 1205, ne changea d'abord rien au droit de cette province. Mais, peu à peu, les fonctionnaires français pénètrèrent en Normandie, des commissaires du roi présidèrent le tribunal de l'Echiquier qui cessa d'être souverain. Toutes ces modifications altérèrent le droit Normand, le rapprochèrent du droit français. La recognitio tendit à se confondre avec la preuve par témoins ordinaire. Il subsista cependant deux sortes de témoins, les témoins de visu ou témoins de science, et les témoins de auditu ou témoins de credence, reste de la recognitio. Mais on préférait beaucoup les témoins de science aux témoins de crédence. Celui

qui devait faire la preuve avait le choix, mais s'il préférait les témoins de science, son adversaire ne pouvait réclamer l'emploi des témoins de credence. Les juges d'ailleurs préféraient les premiers sur lesquels ils avaient plus d'action (Glasson, op. cit. Il partie, chap, VI, parag. 78).

ENQUÊTES PAR TURBES

Les coutumes n'étaient pas toujours claires. Aussi, dans un procès, il arrivait souvent que les deux adversaires invoquaient le même passage de la coutume chacun en sa faveur. Dans de pareils cas, pour découvrir quel était le véritable sens de la Coutume, on faisait comparaître les personnes notables du pays, Juges, Avocats, Praticiens, par troupes de dix personnes au moins, et elles exposaient dans quel sens la Coutume devait être entendue, suivant ce qu'elles en avaient vu juger et consulter. Chaque troupe comptait pour un témoin.

C'était ce qu'on appelait les Enquêtes par Turbes. On en fit usage jusqu'à l'ordonnance de 1667.

CHAPITRE IV

DE L'ORDONNANCE DE MOULINS A LA RÉVOLUTION.

Pendant la période que nous venons d'étudier, la preuve testimoniale avait été la preuve de droit commun, la preuve par excellence préférée à toutes les autres, même à la preuve par écrit. Mais, peu à peu, on s'aperçut que cette preuve avait des inconvénients, qu'elle présentait des dangers: Les témoins ne se faisaient pas toujours une idée exacte des devoirs que leur imposait le serment qu'ils prêtaient, et ils consentaient trop souvent à trahir la vérité au profit de celui qui les payait ou qui les désaltérait. Les dépositions intéressées des témoins se multiplièrent tellement que cela fit scandale, et que Loysel put écrire sans crainte d'être démenti :

Fol est celui qui se met en enqueste

Car qui mieux abreuve,

Mieux preuve.

Le besoin d'une réforme se faisait donc vivement sentir. Il fallait restreindre le champ d'application de la preuve testimoniale, diminuer le nombre toujours croissant des enquêtes. Cela d'ailleurs était d'autant plus

facile que la preuve testimoniale n'était plus la seule à la portée de tous : L'instruction s'était répandue, l'usage de l'écriture s'était généralisé. De plus, il y avait dans chaque bourgade des Notaires à la disposition de ceux qui ne savaient pas écrire. On pouvait donc, sans crainte d'entraver la liberté des conventions, exiger, au moins pour celles d'une certaine importance, la rédaction d'un

écrit.

C'est à Charles IX que revint l'honneur d'accomplir cette réforme si utile: Au mois de février de l'année 1566, parut la célèbre ordonnance de Moulins qui restreignit dans des limites étroites le champ d'application de la preuve testimoniale. L'article 54 de cette ordonnance s'exprime ainsi : « Pour obvier à multiplication de faits que l'on a vu ci-devant être mis en avant en jugement, sujets à preuve de témoins, et reproche d'iceux, dont adviennent plusieurs inconvénients et involutions de procès : avons ordonné et ordonnons que dorénavant de toutes choses excédant la somme ou valeur de cent livres pour une fois payer, seront passés CONTRATS par devant notaires et témoins par lesquels contrats seulement sera faite et reçue toute preuve es-dictes matières, sans recevoir aucune preuve par témoins outre le contenu au contrat, ne sur ce qui serait allégué avoir été dit ou convenu avant icelui, lors, et depuis. En quoi n'en tendons exclure les preuves de conventions particulières et autres qui seraient faites par les parties sous leurs sceaux, seings et écritures privées. »

De cet article 54, il résulte que toutes conventions au

sujet de choses d'une valeur excédant cent livres ou de sommes supérieures à ce chiffre ne pouvaient être désormais prouvées que par écrit: La preuve testimoniale en était interdite.

Il en résulte encore que, quand un écrit avait été dressé pour constater une convention, on ne pouvait par témoins prouver contre et outre le contenu de cet écrit.

On admettait cependant que l'ordonnance n'avait pas d'application en matière de commodat: ce contrat pouvait être prouvé par témoins. (Note au-dessous de cet article 54, Recueil des ordonnances de Néron et Girard).

On pouvait aussi prouver par témoins que le contrat était simulé, ou bien que l'acte avait été perdu. (Eod. loc.)

la

L'ordonnance de Moulins a une importance capitale dans l'histoire des Enquêtes. Elle marque le moment où preuve testimoniale a pris, tant au point de vue de son importance qu'au point de vue de sa procédure, les caractères et les formes qu'elle a conservés jusqu'à nos jours. En effet, à l'époque où cette ordonnance parut, l'administration de la preuve testimoniale se faisait déjà comme elle se fait aujourd'hui. Les formalités ridicules imposées auparavant avaient disparu. L'enquête se faisait non plus à l'audience mais en secret devant un juge enquêteur. On rédigeait des procès-verbaux d'enquête. Un édifice à peu près semblable à celui de la procédure actuelle était construit : Charles IX vint encore augmenter la ressemblance en renfermant la preuve par en

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