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vers comme par les rats sont regardés comme résultant du vice propre.

En France, la Cour de Bordeaux (1) a admis la solution contraire et a reconnu dans la piqûre des vers la fortune de mer. La décision de la Cour française est à notre avis indiscutable. En effet, le navire ne contient pas en lui-même, dans l'espèce, le principe de sa détérioration c'est un agent extérieur qui s'introduit dans ses membranes et qui travaille silencieusement à sa perte; du reste cet événement est loin d'être inévitable: il est aléatoire et réunit par conséquent toutes les conditions essentielles de la fortune de mer (2).

Les assureurs eux-mêmes ont reconnu l'exactitude de cette décision, car dans la Police française d'assurance sur corps, ils ont stipulé (a. 3) qu'ils étaient exempts: «< 3° de la piqûre des vers sur les parties du <<< navire non protégées par le doublage métallique.

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Ils ont ainsi restreint, tout en l'admettant, la théorie de la Cour de Bordeaux.

Toutefois, il doit être observé que si les feuilles de doublage étaient arrachées par un échouement ou par une tempête, les dommages causés par le ravage des vers seraient à la charge des assureurs (3).

Vétusté. Il est incontestable que l'assureur ne répond pas de l'usure naturelle du navire, ni des détériorations auxquelles l'exposent les manœuvres ordinaires : mais supposons qu'un vieux navire, connu comme tel, soit détruit par une tempête contre la violence de la

(1) Bordeaux, 11 avril 1856 (J. M., 34. 2. 71, et 19 août 1862 (J. M., 40. 2. 97; S., 62. 2. 352.)

(2) E. Cauvet, I, no 434.

(3) V. de Courcy, Comment., p. 45; M. de Valroger, IV, no 1614.

quelle un navire neuf aurait pu résister; dans ce cas, devra-t-on considérer la vétusté comme un vice propre?

Écartons de suite l'hypothèse où l'armateur aurait dissimulé l'âge de son navire dans ce cas, comme il y aura eu réticence (art. 348), l'assurance devra être annulée. Mais supposons que l'assureur connaisse parfaitement l'âge du navire et de sa carène, pourra-t-il invoquer le vice propre? Non, car en assurant ce vieux navire, il savait parfaitement que le navire résisterait moins facilement qu'un autre à la violence des vagues, et que si des avaries se produisent, les dépenses seront plus considérables; s'il a accepté ces risques, c'est qu'il est à présumer qu'il aura exigé une prime en conséquence; dans ces conditions on ne comprendrait pas pourquoi il se déroberait au paiement de l'indemnité (1). Du reste, la jurisprudence est constante sur ce point (2).

Comme on a pu le constater, les difficultés d'appréciation sont grandes en cette matière pourtant, dans la pratique, les questions ne se posent pas toujours aussi nettement. Le plus souvent, on se trouve en même temps en face d'avaries provenant de fortunes de mer et d'avaries dont l'origine est dans le vice propre; en effet, il peut arriver que l'avarie oc

(1) V. de Courcy, Commentaire, p. 37; E. Cauvet, I, no 446; Lyon-Caen et Renault (II, no 2142).

(2) Bordeaux, 1er mars 1818 (S., 28. 2. 155); Mars., 20 juin 1834 et Aix, 17 décembre 1834 (J. M., 14. 1. 336); Aix, 21 janvier 1857 (S., 57. 2. 683); Aix, 2 mars 1865 (J. M., 43. 1. 67); Aix, 28 mars 1865 (J. M., 43. 1. 60); Nantes, 23 août 1865 (J. M., 44. 2. 27); Mars., 11 février 1866 (J. M., 44. 1. 63); Paris, 25 janvier 1867 (J. M., 47. 2. 137); Cass., 15 mars 1869 (D., 70. 1. 122; S., 69. 1. 268); Cass., 29 janvier 1875 (S., 75. 1. 160).

casionnée par le vice propre a été aggravée par un cas fortuit. Dans ce cas, il faudra déterminer le plus exactement possible les parts de responsabilité, afin de laisser à l'assuré la charge des dommages provenant du vice propre (1).

Ainsi, toutes les questions que nous avons examinées sont abandonnées à la souveraine et arbitraire appréciation des Tribunaux. « Mais par malheur, dit M. «< de Courcy (2), et c'est par cette citation que nous ter<«< minerons sur ce point, la décision dépendra souvent « des mots employés dans les rapports, plutôt que de « la vérité des choses. Il y a des experts précis et cor. «<rects qui décrivent nettement ce qu'ils ont vu, les << membres pourris, les coutures larges et sans étoupes «<et qui appellent les choses par leur nom. Il y en a << d'autres, prudents ou complaisants, qui ont soin de se «< tenir dans les généralités. La carène a éprouvé de grandes fatigues..., les avaries sont dues aux fatigues « de la navigation..... Cette banale expression de fati« que est très commode. Elle a l'avantage de ne pouvoir « être contestée : car, certainement un navire n'aura << pas longtemps navigué, non plus qu'un homme << n'aura longtemps vécu, et travaillé sans fatigue........ <«< On le voit, rien de plus difficile que de trouver des règles pour résoudre de telles questions où l'équité

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<< serait l'ordinaire dans une transaction. »>

que

Il n'a jamais été contesté en France l'assureur ne dégagera sa responsabilité que si le vice propre a été la véritable cause de la perte du navire, mais à qui incombe l'obligation de faire la preuve ? Tel est le pro

(1) Bordeaux, 26 juin 1860 (J. M., 38. 2. 105).

(2) De Courcy, Commentaire, p. 41.

blème qu'il nous faut maintenant résoudre. En France tout ce qui régit notre question est fondé sur des principes spéciaux basés sur un droit absolument arbitraire.

Valin (1), interprétant l'Ordonnance de 1681, admettait que l'assuré devait prouver, non-seulement l'innavigabilité, mais encore la fortune de mer.

Émérigon (2) était plutôt d'avis que la perte était présumée fatale et que l'assureur devait prouver le vice propre.

Cette discussion portait notamment sur un point spécial, l'innavigabilité qui avait été laissée dans l'ombre par l'Ordonnance de 1681. Aussi, pour faire disparaître cette controverse, publia-t-on le 19 août 1779 une Déclaration qui décida (dans ses trois premiers articles)

que les navires marchands seraient, avant de quitter le port d'armement, visités par gens experts à l'effet de vérifier s'ils sont en bon état de navigation; alors l'assureur qui voulait délaisser pour innavigabilité n'avait qu'à produire un certificat de visite et à prouver la fortune de mer.

Pendant la période intermédiaire, en 1791, parut une loi qui, étendant les principes posés pour l'innavigabilité à tous les sinistres, régla les formalités des certificats de visite en ce qui concerne les navires au long cours.

Enfin, en 1807, parut l'article 825 du Code de commerce, ainsi conçu : « Le capitaine est tenu, avant de prendre charge, de faire visiter son navire, aux termes « et dans les formes prescrites par les règlements. »> Depuis la promulgation du Code de commerce, on

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(1) Valin, sur les articles 29 et 36.
(2) Émérigon, chap. 12, sect. 38, § 3.

discuta la question de savoir si la déclaration de 1779 était abrogée.

La question a offert de l'intérêt tant qu'on a admis la théorie d'Émérigon, qui prétendait que le défaut de certificat de visite mettait à la charge de l'assuré la perte sur une présomption juris et de jure. Mais cette opinion ayant été reconnue erronée, peu importe que la Déclaration soit abrogée comme l'a d'abord reconnu la jurisprudence (1) ou qu'elle ne l'ait pas été; il n'en reste pas moins certain aujourd'hui (c'est l'avis d'une jurisprudence constante, confirmée par l'unanimité des auteurs), que le certificat de visite, suivant qu'il existe ou non, crée la présomption pour ou contre l'assuré (2), sauf la preuve contraire réservée à celui qui veut faire tomber la présomption.

Ainsi, deux principes indiscutables régissent la théorie de la preuve du vice propre.

1° L'événement est présumé fatal si l'assuré produit un certificat de visite.

2° L'assureur est recevable à prouver contre la présomption, mais il faut que la preuve contraire repose

sur des faits réels (3).

=

Il nous reste deux observations à faire: Nous devons d'abord noter que le vice propre du navire doit être considéré au point de vue de la navigation, et que tel navire qui est en état de naviguer pour un voyage déterminé ne l'est pas pour un autre (4).

(1) Mars., 9 sept. 1825 (J. M., 7. 1. 304); Mars., 23 mai 1828 J. M., 9. 1. 100; Bordeaux, 27 fév. 1826 (S., 26. 2. 261; D., 2. 26. 233). (2) V. E. Cauvet, I, no 544, et tous les arrêts qu'il cite.

(3) Aix, 19 déc. 1853 (J. M., 31. 2. 163).

(4) Mars., 30 avril 1840 (J. M., 19. 1. 312); Bordeaux, 24 nov. 1840 (S., 41. 2. 251).

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