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ne seraient pas aussi malheureusement enfoncés dans cette voie d'égarement, si, depuis bien des années déjà, le clergé, en France, eût publiquement combattu pour les droits de l'Eglise, comme il commence seulement à le faire. Non, nous ne verrions pas tant d'hommes estimables et même éclairés d'ailleurs, applaudir aux vexations exercées au nom de l'Etat sur nos consciences, soit qu'on nous demande la révélation de nos plus secrets engagements, soit qu'on nous impose les plus dangereuses doctrines; nous ne les verrions pas frémir d'indignation contre le prêtre catholique, quand il ne fait que défendre la pureté de ses dogmes et la liberté de son ministère, si les souvenirs de leur éducation et le spectacle continuel de la soumission silencieuse de l'Eglise aux empiétements déplorables du pouvoir temporel, n'eussent comme naturalisé en eux la conviction insensée que nous combattons. Mais, d'une part, ils ont vu l'Etat tout organiser dans l'Eglise; d'autre part, ils n'ont pas vu l'Eglise opposer ses règles canoniques aux envahissements de l'administration de l'Etat, et alors ils ont cru et ils croient, et naturellement ils sont fondés à croire que l'Eglise est un pouvoir de l'Etat comme la magistrature, une force de l'Etat comme l'armée, un moyen de gouvernement pour l'Etat comme l'enseigne

ment, et que de la sorte elle doit être en toutes choses soumise à ses volontés suprêmes, comme le sont tous les corps de l'Etat.

Or, nous avons dit, et nous répétons jusqu'à l'importunité, qu'un peuple en qui de pareilles erreurs sont passées à l'état de doctrines, marche de lui-même à la servitude. En vain le mot de liberté est dans toutes les bouches, en vain l'amour de la liberté paraît enflammer tous les cœurs, nous affirmons que le goût de la servitude est dans toutes les âmes, et qu'il perce dans presque tous les discours. Et qu'est-ce donc que le monopole, sinon la servitude des intelligences; et qu'est-ce qu'une religion soumise à l'Etat, sinon la servitude des consciences? Comment osent-ils parler de liberté, ceux qui consentent à ces deux servitudes, qui les désirent, qui les demandent, qui s'irritent contre ceux qui les repoussent? Ils sont assez libres, disent-ils, quand ils peuvent d'ailleurs satisfaire à leur gré leurs penchants matériels. Eh bien! qu'ils nous permettent de le leur dire, c'est là comprendre la liberté comme la brute, mais ce n'est pas même avoir la première idée de la liberté ni de la dignité de l'homme.

CONCLUSION.

TENDANCES ULTÉRIEURES.

Il est donc bien démontré, 1° que l'Eglise, en demandant pour tous la liberté de conscience, veut seulement pour elle-même pouvoir travailler au salut des âmes; 2° que l'Etat, au contraire, en asservissant les intelligences, travaille à la destruction de l'Eglise, et par suite à l'oppression des peuples. C'est la double démonstration que nous avions promise, c'est même quelque chose de plus. Maintenant, que résulte-t-il, et que résultera-t-il de ces deux tendances opposées? L'avenir est le secret de Dieu, mais l'avenir se trouve presque toujours en germe dans le présent. Or, voici ce que le présent nous révèle.

1° Quatorze cents ans d'une alliance glorieuse et féconde de l'Eglise avec la France ont tellement habitué les peuples et même les prêtres à compter sur l'Etat pour les choses de la religion, qu'ils sont toujours prêts à lui demander, comme autrefois, d'intervenir comme protec

teur et comme allié dans la direction de leur culte. C'est là, on ne saurait trop le redire, l'erreur de beaucoup d'âmes encore chrétiennes, mais irréfléchies et timides, c'est la plus dangereuse illusion des temps modernes. Tout ce que nous venons d'exposer, et tout ce qui se passe aujourd'hui même dans le monde, prouve jusqu'à l'évidence que, de ses anciennes relations avec l'Eglise, l'Etat, dans ses transformations successives, n'a conservé pour son ancienne alliée que des rancunes parlementaires et des chaînes administratives.

2° Quels qu'aient été autrefois, en France, les rapports de l'État avec l'Église, il est sûr qu'aujourd'hui l'Église ne peut plus en aucune manière, ni dans aucun sens, s'appuyer sur l'État: non pas que les dispositions personnelles des gouvernants ne l'y invitent, mais parce que le système du gouvernement ne peut plus le lui permettre. Le fondement de notre Église, c'est la foi, qui la fait vivre en Dieu. Au contraire, la condition essentielle de notre gouvernement, c'est la privation absolue de tout principe de foi, privation qui le force à vivre légalement hors de Dieu. Tout le bon vouloir des hommes n'est-il pas impuissant à vaincre de telles incompatibilités? La seule protection que le gouvernement puisse utilement accorder à l'Église, c'est donc la

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protection de sa liberté, et c'est aussi la seule que l'Église lui demande.

3° Cette impossibilité d'appuyer l'Eglise sur l'Etat est chaque jour comprise davantage. Les tentatives du gouvernement, en opposition à cette vérité, se trouvent déconsidérées par leur ridicule, avant même d'avoir été flétries pour leur injustice. Les questions qui se rattachent à cet ordre d'idées sont, pour la première fois depuis cinquante ans, étudiées par les plus hautes intelligences, même dans le monde laïque : les gloires de l'Empire, les sommités de l'antique aristocratie s'unissent aux esprits les plus rigoureusement constitutionnels pour parler en faveur de l'indépendance de l'Eglise la tribune politique se fait l'auxiliaire de la chaire chrétienne pour repousser l'intervention de l'Etat dans les affaires de l'ordre surnaturel, et le clergé, bercé longtemps dans sa religieuse bonne foi par la vague persuasion que le présent ressemble au passé, s'aperçoit enfin qu'il est deux fois dupe, et de sa propre erreur, et des assurances dont on l'abuse.

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4° A mesure que l'Eglise découvre ce qu'il y aurait aujourd'hui pour elle de déceptions et de périls à confier ses intérêts aux soins de l'État, elle s'isole de plus en plus de ce dangereux contact. Elle se souvient d'ailleurs qu'elle peut

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