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ce point décisif s'est manifestée avec une spontanéité effrayante à la Chambre des pairs, le 14 janvier 1845, lorsque M. le comte de Montalembert, dans un admirable discours sur la Liberté de l'Eglise, établit, dans les termes les plus modérés, la distinction qui nous occupe. « Ce sont, disait-il, deux puissances collatérales, << souveraines, indépendantes chacune dans « son domaine. >>

Certes, les Gallicans d'autrefois auraient admis avec empressement cette définition, dans laquelle se trouve implicitement exprimé et formellement consacré, sans doute contre le gré de l'orateur, le premier des quatre fameux articles de la Déclaration de 1682.

Cependant, comment ces paroles si modérées ont-elles été accueillies, nous ne disons pas par les mécréants déclarés, qui les ont qualifiées d'extravagance, nous ne disons pas par les hommes du pouvoir, qui les ont regardées comme une insulte faite à leurs droits; mais comment ont-elles été accueillies par des hommes graves, désintéressés et même religieux ? N'est

il

pas vrai, qu'à l'exception d'une imperceptible minorité, la Chambre des pairs a désavoué, réprouvé, condamné l'idée d'une puissance collatérale à celle de l'Etat? Et d'un bout de la France à l'autre, l'improbation de la noble

Chambre n'a-t-elle pas eu de nombreux échos? Cependant, qu'est-ce donc que ce refus d'admettre une puissance collatérale à celle de l'Etat, sinon la négation de l'Eglise catholique en France, c'est-à-dire au moins implicitement une déclaration de schisme! Or, encore une fois, est-il présumable que l'existence d'une puissance spirituelle, divinement établie, eût pu être oubliée à ce point chez un peuple presque tout catholique, si ce peuple n'eût pas cessé d'entendre la voix et de voir l'action de cette puissance?

Supposons qu'au lieu de faire tout décider par l'assemblée laïque appelée conseil d'Etat, les Evêques eussent, conformément aux prescriptions expresses du droit canon, réglé par eux-mêmes, dans des synodes diocésains et des conciles provinciaux, tous les points qui sont évidemment du ressort ecclésiastique', et supposons que ces actes du gouvernement de la société chrétienne se fussent faits avec la solennité, l'ensemble et l'efficacité qu'ils ont eus

1 Par surabondance d'attention et pour prévenir toute interprétation malveillante, nous répétons ici que nous n'examinons aucunement jusqu'à quel point l'omission de ces actes canoniques a été involontaire et contrainte; il nous suffit de faire voir combien elle a été malheureuse et funeste dans ses résultats. Dieu veuille la faire cesser bientôt.

par exemple, à Baltimore, où les décisions des synodes et conciles tenus depuis la fin du dernier siècle jusqu'à nos jours1, ont été proclamées, publiées et mises a exécution sans aucun secours du bras séculier; supposons que les choses se fussent ainsi passées en France depuis cinquante ans: dans ce cas, eût-il été possible que les peuples oubliassent et méconnussent l'existence de l'Eglise comme société visible, réglée par ses propres lois, et comme puissance distincte et indépendante de l'Etat?

Non, cela n'eût pas été possible en France, comme cela ne serait pas possible dans les Etats-Unis d'Amérique, où l'autorité vraiment indépendante de l'Eglise existe en paix à côté de l'autorité souveraine de l'Etat, et s'harmonise parfaitement avec une vraie liberté sociale. Donc il nous est permis de conclure que c'est au moins en partie de l'absence totale de ces actes publics de l'Episcopat, qu'est résulté l'oubli presque général du principe essentiel, fondamental, indispensable, de la distinction des deux puissances.

Il y a plus, nous croyons que, grâce aux manifestations épiscopales qui ont eu lieu depuis deux ans, cette distinction est déjà moins généra

1 Le dernier a été tenu en 1843.

lement méconnue aujourd'hui. Les dernières négociations du Gouvernement avec Rome, affligeantes peut-être dans leur résultat immédiat et matériel, ont cela de consolant, qu'elles ont été acceptées par tous les partis, non pas, il est vrai, comme un moyen loyal, mais comme une démarche habile et comme une déférence naturelle. Cependant, qu'ont été ces négociations, sinon des rapports de puissance à puissance? Qu'y a-t-on demandé au Saint-Siége, sinon son action immédiate et directe sur une affaire sociale et majeure du Gouvernement intérieur de la France? Rien de si explicite n'avait eu lieu dans ce sens depuis le Concordat de 1801.

Donc, aux pertes évidemment causées par le silence, nous pouvons opposer déjà un commencement de succès obtenu par la publicité. Nous reviendrons sur cette considération, qui se rattache immédiatement à notre situation présente, et qui, de la sorte, appartient, non plus seulement aux préjugés légitimes, mais aux raisons déterminantes.

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