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s'attaquaient directement au libre exercice de pouvoirs canoniques, et par conséquent à l'autonomie du catholicisme, apparaît donc évident. A plus forte raison, en dirons-nous autant de toutes les mesures d'oppression qui ne tardèrent pas à être prises contre les catholiques, apportées par le vent de persécution religieuse qui souffla sur Genève à cette époque. Mgr Mermillod fut saisi brutalement chez lui, avant le jour, par des policiers et jeté à la frontière sans autre formé de procès. Puis le gouvernement entreprit méthodiquement de démolir le catholicisme dans le canton, pour le remplacer par un culte officiel imposé par l'Etat, le vieux catholicisme, que l'on décora pour la circonstance du nom de catholicisme national. Ces deux mots, qui se contredisent d'ailleurs, désignaient en réalité un schisme. On voulut imposer aux prètres une constitution civile du clergé, avec serment, comme aux beaux jours de 1792, en France. Le catholicisme fut proscrit des écoles, des hôpitaux, des prisons, les cimetières catholiques furent sécularisés, tandis qu'on respectait le cimetière israélite. Les fondations religieuses devinrent impossibles, les congrégations religieuses durent passer la frontière, le culte public fut supprimé à Chène et à Carouge, puis partout. On fit mieux au mépris de la volonté solennellement exprimée des conseils municipaux, on s'empara des églises que la loi genevoise leur attribuait, en faisant des brèches aux murs pour éviter les portes trop solidement barricadées. Des démonstrations militaires vinrent appuyer le culte schismatique dans les églises spoliées, pour assurer l'exécution de quelques rares cérémonies de dissidents. Et cependant, les populations rurales qui restaient. en immense majorité, fidèles à la foi de leurs pères, sous l'égide des traités, devaient

se contenter pour les besoins de leur culte, de granges à peine fermées et payer les frais des expéditions militaires qui venaient de Genève assurer la confiscation de leurs édifices religieux.

Une pareille intolérance ne devrait plus être constatée dans notre Europe moderne, à la charge d'un gouvernement sérieux. Mais, dans un petit canton comme Genève, l'autorité d'un grand homme de clocher peut à la rigueur. expliquer cette période d'une tyrannie, d'ailleurs noblement combattue par un certain nombre de protestants genevois, restés fidèles aux idées de justice et de liberté. Ce qui est plus difficile à comprendre, c'est l'audace de violer des traités internationaux, que l'on avait dans l'espèce et surtout la sanction donnée à cette violation par la première assemblée suisse.

Les maires des communes catholiques rurales avaient formé les cadres d'une puissante association pour la défense des intérêts de leurs administrés, qui fut désignée sous le nom d'Union des campagnes. Par les soins de cette Union, une protestation avait été envoyée à l'Assemblée fédérale contre les mesures du gouvernement genevois prises en violation des traités. Mais, malgré le bon droit de leur cause, les catholiques genevois furent abandonnés aux fantaisies de l'administration cantonale. L'Assemblée fédérale se rallia en effet à l'avis du conseiller fédéral Welti, suivant lequel les actes du Congrès de Vienne étaient depuis longtemps tombés en désuétude! Cela ne devait d'ailleurs pas empêcher eu 1883, le gouvernement helvétique d'invoquer hautement ces actes en sa faveur, ainsi que nous l'avons vu à propos des fortifications du Vuache.

Pour la Suisse, les actes de Vienne qui la gènent sont

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donc inexistants, tandis qu'elle déclare intangibles ceux qui lui paraissent utiles. il n'en est pas moins certain que la France aurait pu en 1873, comme maîtresse de la Savoie demander au gouvernement helvétique de se prononcer entre deux alternatives: rendre au territoire savoyard les communes qui en avaient été détachées sous des conditions qui n'étaient plus observées, ou cesser la persécution.

On voit donc par ce qui précède que nous n'avons pas à faire montre, vis-à-vis de la Suisse, d'une déférence trop grande, dans notre crainte de toucher aux actes qui constituent la neutralité de la Savoie. Il est toutefois préférable de faire les choses régulièrement et si l'on veut modifier, dans le sens que nous avons indiqué, le régime de la neutralité, il y a un précédent entre la France et la Suisse, d'un accord dérogeant aux traités de 1815. En 1863, lorsque les deux gouvernements se furent mis d'accord sur la situation de la vallée des Dappes, par un traité du 20 février, celui-ci fut communiqué aux puissances signataires des traités de Vienne, pour qu'elles le reconnussent comme faisant partie intégrante du Droit international de l'Europe. On connaît ainsi la procédure à suivre pour un accord du même genre, et l'Europe n'aurait pas de raison sérieuse, de s'opposer à ce qui aurait été arrêté entre les deux principaux intéressés dans la question de Savoie.

CHAPITRE VIII

LES FRONTIÈRES DE LA ZONE NEUTRALISÉE ET CELLES DE LA ZONE DOUANIÈRE (1).

Quelle que soit la solution à laquelle on s'arrête pour la mise en application de cette neutralité, au cas où on se déciderait à mettre la réalité en harmonie avec la permanence de droit que nous avons reconnue à l'institution, une question préjudicielle semble s'imposer tout d'abord. Si l'on ne s'entend pas, avant tout, sur la détermination précise des frontières de la zone neutralisée, on se heurtera dans la suite à de graves difficultés, qui, se produisant à l'heure du danger, ne pourront que dégénérer en con

testations sans issue.

Or, rien n'est plus indécis, à en juger par les travaux des publicistes qui ont esquissé des tracés, que l'indication de ces limites. C'est presque une interprétation nouvelle en face de laquelle on se trouve, avec chacun des auteurs que l'on rencontre, tot capita, tot sensus.

Les cartes que nous avons pu voir, en général, quand

(1) Pour l'intelligence des explications qui suivent se reporter à la carte placée à la fin de l'ouvrage.

elles ne méconnaissent pas absolument les textes, n'ont pas assez le souci d'utiliser la topographie des régions à travers lesquelles est amenée au Rhône la ligne conventionnelle. Dans l'état présent des choses cependant, si l'on veut essayer un tracé basé sur les traités, il est bien certain qu'il faut respecter comme points de repère les lieux qu'ils indiquent et, quant au reste, pour faire œuvre rationnelle, il faut s'appliquer à suivre un itinéraire qui se prête le cas échéant à une défense.

Lors de la première neutralité, restreinte au Chablais et au Faucigny, établie au Congrès de Vienne, il ne pouvait pas y avoir de grandes difficultés au sujet de la délimitation. du territoire soumis à ce régime spécial. Les frontières en correspondaient à celles de deux provinces anciennes, à limites traditionnelles consacrées par l'histoire. Le territoire compris en surplus dans la neutralité se réduisait aux parties de la Savoie laissées à la Sardaigne au Nord d'Ugines, et, en dehors du Chablais et du Fraucigny, cela comprenait tout juste la vallée de l'Arly, nettement barrée par l'agglomération d'Ugines, et la vallée de Thônes, fermée par la frontière française, à son débouché sur Annecy.

La situation n'était plus aussi nette, au contraire, après l'extension de neutralité édictée au traité de Paris, concurremment à la remise intégrale de la Savoie au roi de Sardaigne. C'est au protocole du 3 novembre 1815 (1) qu'apparaît tout d'abord l'addition de territoire que les puissances entendaient assigner à la zone protégée. Comme c'est naturel dans une convention préliminaire, la frontière nouvelle de la neutralité est seulement esquissée à

(1) De Clercq, II, 683.

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