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maison de Gonzague dans le Montferrat, il vit la France se déclarer contre lui à cette occasion. La malheureuse Savoie devint une fois de plus la facile proie du roi de France en 1630 et le Piémont lui-même ne fut pas épargné alors. Mais après la paix de Cherasco, signée en 1631 par Victor-Amédée Ier, il y eut une longue période d bons rapports entre la Maison de Savoie et la Fr.ce; par suite, le duché de Savoie n'étant plus menacé, la question de neutralité ne reparaît que plus tard, dans un moment critique. Lors des premières guerres de Louis XIV, le duc Charles Emmanuel II, et son successeur VictorAmédée II, s'étaient prudemment tenus à l'écart. Mais au moment où commencèrent à se constituer contre le RoiSoleil les grandes coalitions, la Maison de Savoie comprit trop bien que, dans les bouleversements en préparation, il y aurait quelque profit à tirer, pour ne pas essayer de se l'assurer. Le duc, au début de la guerre de la ligue d'Augsbourg, offrit à la France 3.000 hommes en échange d'un morceau du Milanais. Louvois, craignant sans doute une surenchère des puissances, exigeait pour entrer dans la combinaison, la remise de Vérone et de Turin comme gages de la fidélité de la Savoie. Du coup non seulement. on eut été assuré de la constance de Victor-Amédée par cette marque de bonne volonté, mais il eut été complètement à la merci de la France. Victor-Amédée, devant cette tentative d'obtenir son désarmement, se sentait poussé vers l'alliance autrichienne, et la perspective d'avoir bientôt à redouter les coups de la France, l'engagea à chercher un moyen de se couvrir. C'est en Suisse que la combinaison fut tentée. Depuis 1686 le comte de Goyon représentait à Lucerne la Savoie, auprès des cantons suisses. A l'apparition des signes avant coureurs

de la guerre en 1690, comme cette exaltation de Turin, où les Français faillirent être massacrés quand les habitants apprirent les exigences de Louis XIV, le comte, qui avait su acquérir de l'influence en Suisse, reçut l'ordre d'ouvrir une négociation. Le duc de Savoie, comme nous l'avons vu, était depuis le commencement du siècle complètement tourné vers l'Italie. Il entendait désormais s'y ménager toutes les acquisitions possibles sans se soucier autrement des auxiliaires qui les lui vaudraient, pourvu qu'ils fussent les plus généreux. Or, en l'occurrence, c'étaient les alliés d'Augsbourg qui devaient lui valoir l'aubaine. Pour cela il lui fallait avoir les mains libres en Italie, car il savait d'expérience que les conquêtes les plus sûres sont celles que l'on a commencé par occuper soimême. Mais le duché de Savoie, séparé de son armée par l'énorme rempart des Alpes, allait inévitablement subir le sort que lui réservaient tous les conflits de son souverain avec la France, la conquête complète en était fatale. Voilà ce que Victor-Amédée crut pouvoir éviter par la diplomatie, puisque les armes étaient impuissantes, et son ministre à Lucerne manoeuvra en conséquence. Il exposa aux cantons quel péril l'invasion française en Savoie faisait toujours courir au Corps helvétique. Il rappela sans doute la protestation que les « louables cantons >> avaient élevée en 1518 contre les entreprises de François Ier sur la Savoie et leur montra que leurs intérêts étaient aussi gravement en jeu actuellement en face des ambitions de Louis XIV. Les cantons catholiques et le Valais, réunis en Diète en avril, répondirent à ces instances qu'ils concourraient suivant leur force, aux desseins de Victor-Amédée, mais aucun ne prit d'engagement ferme. A la Diète générale de Bâle, le 29 mai, le ministre de

Savoie revient à la charge, et propose avec instance que le duché de Savoie soit déclaré neutre et cette neutralité confiée à la protection de la Suisse.

Louis XIV fit jouer une contre-mine en présence de ce projet, dont l'exécution mettait obstacle à ses desseins sur la Savoie. Il persuada aux cantons catholiques, de se montrer partisans de la neutralité, mais de demander à ce qu'elle s'étendit à tous les États du duc, ce qui paralysait. Victor-Amédée en Italie où il pouvait quelque chose, comme en Savoie, où il ne pouvait rien, et ce qui ne rentrait pas du tout dans ses vues. Il ne fallait pas espérer arriver à un accord sur de semblables bases. Cependant les Bernois avaient embrassé avec une telle ardeur l'idée que l'occupation française était redoutable à la Suisse, et la gènerait beaucoup, que l'envoyé de Savoie put espérer qu'on aboutirait à couvrir une partie du duché. La Diète inquiète à l'exemple de Berne, proposa un moyen de conciliation consistant à attribuer la neutralité aux provinces de Savoie propres, de Genevois et de Chablais. L'adoption de cette idée eut constitué au nord et à l'ouest une sorte de vaste bouclier avec les provinces en bordure de la France et du Léman, dont le rôle aurait évidemment été d'éloigner les troupes françaises de la confédération, tout en leur laissant un accès par le Galibier dans la vallée de l'Arc et vers les cols conduisant en Piémont. Le duc de Savoie, faute de mieux, se serait contenté d'une garantie pour trois provinces de son duché menacé, mais la France ne voulut pas y consentir sans réciprocité. Elle demanda qu'en retour la neutralité fùt également étendue au bénéfice du Dauphiné ou au moins de la Bresse et du Bugey. Comme ni le duc, ui l'empereur, ni les puissances sans doute ne trouvaient avantageux de fournir à Louis XIV l'occasion

d'avoir au besoin une réserve de Suisses sous la main, dans ceux qui auraient occupé des territoires neutralisés, les négociations durent tomber sur ce chapitre (1).

Le 4 juin 1690 Victor-Amédée avait fait alliance avec l'Empereur et la guerre ne tarda pas à éclater. En juillet et août la France occupa sans coup férir la Savoie tout entière et mit le siège devant Montmélian. Chose curieuse, ce fut alors Louis XIV qui sollicita le Corps helvétique de garantir à la France la possession de la Savoie, offrant en compensation de démolir les fortifications de Montmélian, citadelle non prise encore d'ailleurs. Mais les Suisses qui n'avaient pu faire, comme ils l'auraient voulu, le jeu de Victor-Amédée contre la France, se gardèrent bien de concourir à l'établissement d'un voisinage redouté de tout temps par la confédération.

Le fort de Montmélian succomba en 1691 après une défense héroïque. La Savoie resta sous le joug très dur de l'autorité militaire française, qui l'écrasa d'impôts et de vexations, jusqu'au traité de Turin, qui mit fin, en 1696, à la guerre entre Louis XIV et Victor-Amédée, rendant à ce prince le duché dont il portait le nom. On y convenait la neutralité des Etats de Savoie jusqu'à la paix générale. Une disposition spéciale devait assurer le respect du nouvel état de droit en Savoie et à Nice : le duc s'engageait à ne pas y entretenir plus de 1.500 hommes. Victor Amédée était le premier des coalisés qui avait traité avec la France, mais cela ne valut pas à la proposition de maintenir à l'avenir la neutralité de la Savoie, qu'il présenta à

(1) V. Carutti. Mémoires de l'Académie de Turin, t. XX, 2e série. Della neutralità della Savoia nel 1703, III, p. 192 et suiv.

Ryswick en 1697, un meilleur succès que précédemment (1). Les malheurs du duché pendant l'occupation française, la facilité une fois de plus démontrée de cette occupation, malgré la présence du fort de Montmélian, tout concourait à pousser Victor- Amédée à chercher pour la Savoie une neutralisation définitive, qui la mit sur le même pied que la Suisse. Mais trop d'importantes questions à régler permettaient à la France d'écarter à Ryswick cette proposition dirigée contre elle. Devant l'opposition qu'il rencontra de sa part, le duc renonça à son dessein: il tenait avant tout à faire incorporer à l'acte de Ryswick son traité de Turin conclu l'année précédente.

En mariant, conformément à ce traité, son petit-fils à une princesse de Savoie, Louis XIV espérait attirer désor mais Victor-Amédée dans son orbite pour les luttes futures. Quand Charles II, ce malade dont l'agonie avait si longtemps duré, mourut en 1702, et que Louis XIV eut accepté pour le duc d'Anjou la couronne d'Espagne que le défunt roi lui laissait, le duc de Savoie fut contraint de se liguer avec la France contre la Maison d'Autriche. C'était assez à contre-cœur que Victor-Amédée le faisait, car non seulement cette alliance lui ôtait l'espoir de s'agrandir, mais elle le laissait enserré entre les Bourbons de France et ceux d'Espagne, qui possédaient le Milanais et le Royaume des Deux-Siciles, et le mettait à leur merci. Aussi, bien que le duc d'Anjou fùt son gendre, VictorAmédée ne tarda pas à discerner que ses propres intérêts seraient mieux servis dans le camp adverse. Tout en étant généralissime des armées françaises en Italie, le duc de

(1) Ducis. Occupations, neutralité militaire et annexion de la Savoie, p. 26.

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