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traité était à ce moment sur le tapis entre Victor-Amédée et la France, qui aurait cédé au duc le Milanais. Mais l'agent secret qui négociait la chose avec le maréchal de Berwick, le « sieur Laurent » réclama, comme sûreté éventuelle d'exécution pour le traité proposé. l'occupation de Briançon et de Barraux par les cantons suisses. Comme, à cette époque, remettre une place ou un territoire aux cantons équivalait à les neutraliser, c'est en réalité la neutralisation de la Savoie qu'aurait réalisée la présence de leurs troupes au fort Barraux, qui barrait la grande voie d'accès des Français dans le duché 1). La France se refusa à la combinaison cette fois encore, mais il était utile de montrer la persistance d'aspirations de la Maison de Savoie, qui explique le choix de Mellarède comme un de ses trois délégués à Utrecht.

L'habile négociateur de 1704 était sans doute qualifié par ses talents personnels, pour figurer aux assises de la diplomatie européenne, mais il est à présumer que sa parfaite connaissance des vues de son prince pour la protection du duché de Savoie contribua puissamment à le faire désigner. Il aurait peut-être réussi à réaliser le rève longtemps poursuivi (2), si les circonstances n'avaient pas bientôt imposé de réserver à des temps plus propices l'obtention d'une garantie de neutralité pour la Savoie. La France, suivant son invariable attitude en présence de cette entreprise, mit obstacle au projet. Il fallait bien reconnaître que le duché de Savoie était désormais à la merci d'un coup de main, étant donnée l'absence de toute

(1) V. Berwick. Mémoires, I. 344, cité par Lameire. De la neutralité territoriale locale, p. 63.

(2) V. Costa de Beauregard. Mémoires histor. sur la roy., Maison de Savoie, t. III, note 23, p. 404.

fortification sur la frontière, mais Victor-Amédée ne voulut pas compromettre la couronne royale, si près de sa tête, pour faire disparaître ce danger. Il se contenta de la transaction proposée par Louis XIV, qui trouva sa formule à l'article 8 du traité conclu le 11 avril 1713. « Comme par les incidents et le sort de la guerre, les États de S. A. R., y est-il dit, sont ouverts de toutes parts..., il sera libre à S. A. R. de faire telles fortifications que bon lui semblera dans tous les lieux et endroits qui lui ont été cédés de part et d'autre par lesdits traitez, nonobstant toutes conventions et promesses précédentes à ce contraire » (1).

Après les traités d'Utrecht, nantie de la couronne royale, la Maison de Savoie n'en resta pas moins fidèle à sa politique. Ses destinées étaient plus que jamais orientées vers l'Italie, mais nous trouvons la même ardeur de sa part pour couvrir la Savoie au moment du danger, par la diplomatie, unique ressource possible à cet égard, Montmélian n'ayant même pas été relevé de ses ruines, malgré le droit reconnu à la Sardaigne de le faire.

Comme toujours cependant elle accueillit, à l'occasion, l'idée d'échanger le duché contre le Milanais. Lors de la guerre de succession de Pologne, c'est la combinaison prévue au traité conclu le 26 septembre 1733, à Turin, entre Louis XV et son oncle Charles Emmanuel III. Mais la Sardaigne n'ayant reçu, au traité de Luxembourg, en 1736, que trois districts en Italie, elle garda la contrepartie promise à la France.

Lorsqu'en 1740 l'empereur Charles VI mourut, le roi de Sardaigne crut le moment opportun pour s'emparer du

(1) Dumont, t. VIII, 1re partie, p. 356.

Milanais qui lui échappait depuis si longtemps. Il pouvait invoquer les droits de son bisaïeul, dont la mère était l'infante Catherine d'Autriche, fille de Philippe II. En prévision d'une guerre à soutenir en Italie, Charles-Emmanuel fit agir à Berne le comte de Viry, pour obtenir à la Savoie une neutralité sous la garde de la Suisse (1). Pensant que son intérêt le conduirait à se déclarer contre la France, il tenait à prendre ses précautions. Ce fut sans doute ce qui provoqua en 1744 l'hostilité de Louis XV à la négociation engagée, dont l'échec s'affirma complet, par suite de cette habile intervention, qui réservait à la politique française le moyen d'atteindre la Sardaigne en Savoie.

Charles-Emmanuel, comme il le prévoyait, se rallia en effet à Marie-Thérèse, moyennant la cession de la ligne du Tessin. Aussi la Savoie fut-elle envahie en 1742 par l'Infant Don Philippe d'Espagne et ne rentra sous la domination de son prince qu'en 1748, au traité d'Aix-la-Chapelle. Aux conférences qui précédèrent ce traité, le roi de Sardaigne ne manqua pas de sonder le terrain, comme ses prédécesseurs l'avaient fait déjà deux fois en de semblables circonstances, à Ryswick et à Utrecht, pour essayer de faire aboutir cette neutralité de la Savoie, dont chaque étape de l'histoire consacrait la nécessité plus urgente aux yeux de la Cour de Turin. La diplomatie française, qui ne se lassait pas d'accomplir la seconde partie de ce travail de Pénélope, détruisit une fois de plus l'ouvre qui s'esquissait. Si bien que la Maison de Savoie finit par arriver à la veille de ces dernières années du XVIe siècle, qui devaient être pour elle une période si agitée, sans que son rève séculaire fùt parvenu à passer dans la réalité juridique.

(1) Ducis, loc. cit., p. 34.

CHAPITRE III

LES TRAITÉS DE 1815 ET LA NEUTRALITÉ. NÉGOCIATIONS DE VIENNE, PARIS ET TURIN

La Révolution.

Avec la Révolution de 1789, s'ouvrit pour la France et pour l'Europe la crise politique, dont les péripéties bouleversèrent de longues années les territoires des Etats, jusqu'à la solution finale réalisée au vaste règlement de 1815. En Savoie, l'effervescence sans cesse grandissante, qui régnait dans toute la France, devait causer plus d'émoi que les scènes pacifiques du château de Vizille avec les États de Dauphiné. Elle ne tarda pas à avoir son contrecoup. La morgue des émigrés qui avaient bientôt cherché refuge dans le duché, la dure poigne des majors de place piémontais, chargés de la police dans les villes, les difficultés que le commerce et l'industrie rencontraient du fait de règlements restrictifs, et de l'absence de voies de communication, fournirent aux agitateurs des arguments contre l'ancien régime, à défaut d'abus aussi sérieux qu'en France, à signaler. A la suite d'échauffourrées qui n'avaient pas eu de répercussion grave, la masse de la population suffisamment heureuse de son sort, restant fidèle au roi de Sardaigne, un certain nombre de ces adeptes de la Révolution durent quitter la Savoie.

Ces émigrés, victimes de leurs idées, peut-être aussi de leur ambition, formèrent à Paris le noyau d'un «< club de Patriotes étrangers » qui eut son heure de prospérité sous le nom de « club des Allobroges ». Comme dans un parlement au petit pied. on y discutait en 1792 le sort futur de la Savoie. Parmi les solutions préconisées, il en fut une qui témoignait du lent travail accompli dans les esprits, à la suite des tentatives fréquentes de neutralisation du duché sous l'égide de la Suisse, faites par la cour de Turin.

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Qn s'était si bien habitué à l'idée de voir la destinée de la Savoie unie à celle du Corps helvétique, dans une commune immunité contre les souffrances de la guerre, qu'un membre avait mis en avant la formation d'une République par cette province jointe à Genève, au canton de Vaud et au Valais. Cela eut satisfait l'aversion que les Allobroges réfugiés à Paris, nourrissaient pour la monarchie, et la solution venait en son temps, car elle répondait aux idées généreuses alors en honneur parmi les hommes politiques français, qui ne devaient pas tarder à faire leur solennelle proclamation, déclarant que la République ne voulait pas de conquêtes. Puis cela impliquait la noble tâche d'affranchir le pays de Vaud, soumis à la domination étroite de l'aristocratie Bernoise. Mais il était clair que, malgré cette émancipation, qu'il aurait probablement fallu appuyer par la force, comme les troupes françaises le firent d'ailleurs par la suite, la nouvelle République aurait partagé la condition de la Suisse, cela était pour plaire en Savoie, où tout le monde redoutait de voir le pays redevenir le champ des vieilles luttes restées entourées dans le passé d'un cortège de mauvais souvenirs. Dumouriez, ministre des Affaires étrangères à cette époque,

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