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nier dauphin, cède ses biens à la France, redoutable voisin pour la Savoie, contre lequel il ne devait point être aisé de se mesurer avec profit. Peu de temps après, en 1355, Amédée VI allait se marier avec Jeanne de Bourgogne, dont l'apanage devait doubler ses états, mais la France se sentit encore menacée et s'y opposa formellement (1). Le 5 janvier 1355 un traité réglait les difficultés depuis longtemps pendantes entre le Dauphiné, maintenant français, et la Savoie. On échangea des enclaves, par des arrangements qui eussent été tout à l'avantage du comte, si une des conditions du traité n'avait fait payer cher ces concessions. Il stipulait en effet la remise au roi de France de Jeanne de Bourgogne, fille du comte d'Artois « libre de vou, de mariage et de religion », pour être donnée à un époux au choix de ce monarque. Or le mariage de la princesse, élevée à la cour de Savoie, était arrêté depuis trois ans avec le comte Vert, Amédée VI. Mais le roi Jean le Bon ne voulait pas « qu'une des plus riches héritières de la chrétienté, partit de France pour agrandir une puissance, qui déjà prenait à son gré trop d'accroissement ».

Cependant le titre de vicaire perpétuel du Saint-Empire, donné comme une sorte de vice-royauté héréditaire à Amédée VI en 1356, dans la Bulle d'Or de l'empereur Charles IV, mettait sous la protection, au moins nominale, de l'Empire, les possessions de la Maison de Savoie, érigées ainsi en une barrière contre les entreprises de la France sur l'Italie.

Après un temps d'arrêt, le commencement du xve siècle jette un nouveau lustre sur les destinées des comtes de Savoie, à l'ouest des Alpes. Amédée VIII acquiert en 1401

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le comté de Genève (1), qui devait unir et consolider ses provinces un peu éparses, le Bugey, la Bresse, Gex, le pays de Vaud, en les reliant à la Savoie, la plus ancienne, la plus fidèle, qui fournissait à son prince pour soutenir la guerre, les soldats valeureux sur lesquels il pouvait toujours compter. Bientôt l'importance que leurs états avait acquise, leurs illustres alliances, poussèrent les comtes de Savoie à solliciter de l'Empire un titre qui rehaussât leur prestige. Pour répondre à ce désir, l'empereur Sigismond conféra au comte Amédée VIII la dignité ducale en 1416, à Lyon, où de grandes fêtes furent données à cette occasion dans la plaine de Brotteaux, située sur la rive dauphinoise du Rhône, et par conséquent relevant d'un territoire dans la mouvance de l'Empire, où son chef pouvait faire acte de suzeraineté envers un vassal (2).

Les vues des nouveaux dues semblent alors assez peu dirigées vers l'Italie. Ils avaient, durant la guerre de cent ans, lutte aux côtés des seigneurs français, et leur esprit restait toujours hanté de l'idée de reconstituer le royaume de Bourgogne. En 1447 la France, redoutant sans doute. le voisinage d'une ambition toujours en éveil, avait offert au duc Louis Ier la succession de Philippe-Marie Visconti en Milanais. Contre l'abandon des droits de la duchesse d'Orléans, Valentine Visconti, en Italie, les descendants français de cette princesse auraient recueilli les provinces savoyardes en deçà des Alpes (3). Le projet échoua par suite de l'indécision de Louis Ier, dont les troupes furent battues en Milanais, mais dès lors la France eut toujours

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(2) V. Lameire. De la neutralité territoriale locale, p. 33, note. (3) Ducis, loc. cit., P. 10.

une tendance à vouloir rejeter au-delà des Alpes la Maison de Savoie.

Louis XI, qui avait épousé, contre la volonté de son père Charles VII, Charlotte de Savoie, oublia vite la protection que lui avait donnée son beau père. Charles le Téméraire avait fait du duché de Bourgogne un état formidable et entrepris contre le roi de France une lutte acharnée. Amédée IX ayant, entre temps, envoyé un renfort au duc Charles lors de sa guerre contre les Suisses, Louis XI promit à ceux-ci, en 1468, d'envahir les deux rives du lac Léman qui appartenaient à la Maison de Savoie, dès le début de la prochaine guerre contre la Bourgogne. Ce fut encore le roi de France qui contribua à écarter la dernière et la plus belle occasion qui se présenta jamais pour la Savoie, d'arriver à constituer en terre française le puissant état de ses rèves. Un projet de mariage de Philibert le Chasseur, fils d'Amédée IX, avec Marie de Bourgogne, fille et unique héritière de Charles le Téméraire, avait été conçu par ce dernier. « Il voulait, dit Commines, fonder, par ce mariage, un puissant royaume, qui se serait étendu de la mer du levant à celle du ponent. » Pour avoir sous la main les instruments de ses desseins, Charles fit enlever, dans les environs de Genève, la régente de Savoie Yolande, et ses enfants. Mais le jeune duc Philibert s'étant échappé tandis qu'on le conduisait en Franche-Comté, il fut mis par les États de Savoie sous la protection de son oncle Louis XI, qui devint en fait maitre de la Savoie, garda Philibert à sa cour et empêcha ainsi toute réalisation du mariage préparé (1). On peut dire que désormais la seule politique d'avenir

(4) Ducis, loc. cit., p. 10.

pour les dues de Savoie fut incontestablement du côté de cette Italie morcelée et fertile en intrigues, où leur ambition devait trouver un champ illimité d'activité, et vers laquelle la force des choses les rejetait. Mais au moins ne voulaient-ils pas sacrifier sans profit les provinces groupées dans le bassin du Rhône, dont l'acquisition avait coûté à leur Maison plusieurs siècles d'efforts. Or, ils eurent bientôt à les défendre contre un nouvel adversaire. Jusque sous le règne de Louis XI, la politique pratiquée par les ligues de la Haute-Allemagne, émancipées de l'Empire, avait été assez bienveillante envers les États de Savoie, eux aussi vassaux à peu près émancipés du SaintEmpire, qui leur paraissaient une protection en face de la France grandissante. Cependant, après leurs luttes heureuses contre Charles le Téméraire, où leur renommée guerrière s'était établie, les Suisses sentirent s'éveiller en eux une audace nouvelle. Rassurés sur les dispositions de la France, qui venait de les soutenir contre le duc de Bourgogne, ils se mettent à empiéter vers la Savoie. Déjà, en 1475, les Valaisans, aidés par les gens de Berne et de Fribourg, s'emparaient de la ville et du territoire de Saint-Maurice, alors capitale du Chablais, tandis que Fribourg enlevait à Jacques de Savoie, comte de Romont, presque tout son apanage dans le pays de Vaud, considérant ce seigneur comme un allié de Charles le Téméraire trop à portée, pour ne pas en profiter.

En 1477, la duchesse Yolande, pendant le peu de temps où elle reprit la régence, après avoir été délivrée des mains du duc de Bourgogne, se vit obligée de renoncer au protectorat de Fribourg qui put entrer dans la Ligue helvétique, dont elle était seulement alliée jusqu'alors. Il fallut aussi abandonner aux envahisseurs le comté de Romont

et le pays de Saint-Maurice, devenu depuis lors le Bas

Valais.

Berne et Fribourg, mis en appétit par la faiblesse du gouvernement ducal, auquel ils avaient déjà arraché en 1477 des concessions, crurent avoir trouvé en 1505 l'occasion de mettre la main sur le pays de Vaud. Ils prétendirent avoir contre le duc de Savoie des créances considérables hypothéquées sur cette région. C'est ce qu'on a appelé la « comédie du faussaire Dufour » (1). Un secrétaire de ce nom s'étant rendu coupable de quelque infidélité, s'était enfui d'auprès du duc de Savoie. Il aurait trouvé asile à Berne et reçu de cette ville le droit de bourgeoisie en récompense de faux titres de créances contre la Savoie, forgés par lui.

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Mais la preuve ne semble pas faite au sujet de ce trait de noire perfidie ». Il est possible que Louis er et Charles I, puis les régentes après eux, obligés de mettre à la raison leurs vassaux révoltés, aient employé contre eux quelques troupes louées aux cantons. Ce qui est étrange, c'est la clause d'hypothèque invoquée, et surtout, pour une obligation aussi importante, l'absence de titre dans les archives de Savoie. Dans ces conditions, on comprend que le duc ait contesté les réclamations soulevées. Néanmoins pour ne pas laisser stérile l'agitation créée à ce moment, les Valaisans en 1506 se mirent en possession de la partie du Chablais voisine de leur première conquête, en occupant le pays de Gavot où se trouve Evian, et situé entre la Morge et la Dranse. Au lieu de repousser les usurpateurs par la force, le duc

(4) Carutti. Mémoires de l'Académie de Turin, t. XX, 2o série, p. 142 (en italien).

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