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que la France vit pour la première fois (1) son industrie tourmentée par des mesures de finances; et, depuis, le mal s'accrut à tel point, que dans l'espace d'un siècle, le Gouvernement créa plus de quarante mille offices, donnant tous des droits plus ou moins inutiles, plus ou moins vexatoires, sur les marchands, sur les fabricans, sur les ouvriers, sur les objets de leurs travaux. Des ministres oppresseurs ou imprudens firent pulluler ces fléaux, jusqu'à Terray qui voulut rendre les maîtrises héréditaires.

Les marchands et les artisans ont aussi leur cupidité; et ceux qui se trouvaient à la tête de la classe ouvrière sollicitaient les réglemens qui pouvaient diminuer la concurrence. On créa six corps de marchands et quarante-quatre communautés d'arts et métiers; cependant on permit d'exercer librement les professions de bouquetière, d'oiseleur, de faiseur de fouets, de savetier, et une quinzaine d'autres de cette importance. ..... Je ne pense pas qu'on puisse trop fortement s'élever contre le systême des hommes dont la manie est de tout réglementer, qui mettent la permission de gagner sa vie au nombre des choses qu'il faut solliciter, et qui créent autant de délits qu'il y a de manières de travailler différentes de celles qu'ils ont prescrites. >>

L'auteur indique ensuite les restrictions peu nombreuses, peu gênantes, et mises avec une extrême circonspection, dont il croit que les avantages surpassent les inconvéniens. Sans demander l'entière abolition des douanes, il ne se dissimule pas, non plus que tous les bons esprits, les maux qui résultent de leur établissement et le peu d'efficacité de leurs fonctions.

(1) On ne peut tirer un argument en faveur des entraves, de ce que l'industrie était encore plus languissante avant l'établissement de ces réglemens qu'après. Le défaut de sûreté et le manque de capitaux qu'on a éprouvés dans tout le moyen âge, s'opposaient aux développemens de l'industrie, plus encore que les réglemens n'ont fait depuis.

Ces armées peu guerrières qu'on entretient, dit-il, pour arrêter la contrebande, contiennent, toujours beaucoup d'individus qui payés pour empêcher la fraude, sont très-disposés à se laisser payer pour la favoriser. Supposons-les exactes à leur devoir, elles ne sont jamais assez nombreuses pour fermer tous les passages, et c'est l'affaire du contrebandier de connaître ceux qui sont ouverts. Les objets d'un petit volume, l'or et l'argent, par exemple, traversent si aisément la frontière qu'on n'en arrêtera jamais qu'une très-faible partie; quant aux objets d'un volume plus considérable, bien qu'ils ne soient pas aussi faciles à faire passer en fraude, on en trouve cependant les moyens, et des compagnies d'assurance se forment pour les offrir. Voulez-vous un exemple du peu d'effet qu'ont presque toujours les lois prohibitives, voyez la quantité de marchandises anglaises qui se consomment en France et qui remplissent nos magasins. Pour nous parvenir, elles font des circuits dont nous payons les frais; Hambourg, la Suisse, Livourne, pourraient nous dire ce que cette prohibition leur a valu de bénéfice, (l'auteur aurait dû ajouter :) que nous seuls avons payés. »

Parmi tout le fatras qu'on publie sur des matières d'économie publique, nous avons cru devoir distinguer une brochure où respirent des intentions droites et des principes sains. J.-B. S.

HISTOIRE.

HISTOIRE critique de l'établissement des Français dans les Gaules, ouvrage inédit de M. le président Hénault, de l'Académie française et de celle des inscriptions et belles-lettres; imprimé sur le manuscrit original écrit de sa main. Avec cette épigraphe :

Indoct diseant et ament meminisse perit. 2 vol. in-8°. A Paris, chez Buisson.

An IX.

DANS cet ouvrage qu'il faut regarder moins comme

une histoire réelle de l'établissement des Français dans les Gaules, que comme une dissertation sur l'époque de cet établissement et sur toutes les circonstances qui l'accompagnent, l'Auteur compare les systèmes différens de Boulainvilliers, de l'abbé Dubos et de quelques autres écrivains sur cet objet, les combat successivement Fun par l'autre, et les modifie ensuite pour pouvoir mieux les concilier. Deux questions principales l'occupent l'une après l'autre, et il parvient à les résoudre. La première est celle-ci : Quelle est la véritable époque de l'établis‐ sement fixe des Français dans les Gaules ? L'auteur établit que cette époque eut lieu en l'année 351. La seconde question, d'une toute autre importance que la première, est de savoir à quel titre ils s'y sont établis, si c'est par droit de conquête et à force ouverte (opinion de Boulainvilliers) ou si, comme le prétend l'abbé Dubos, cet établissement se fit du consentement des Romains, alors maîtres et habitans des Gaules. Ces deux écrivains different en outre en ce que le premier soutient que nos premiers Rois n'étaient pas de véritables Rois, mais de simples chefs militaires, élus librement par la Nation assemblée, alors en possession de tous ses droits, lorsque le second leur attribue au contraire l'autorité entière et absolue dont out joui depuis leurs successeurs. Dans l'exameu critique de ces diverses opinions, dans la discussion des preuves et le relevé des erreurs ou omissions qu'on peut reprocher à Boulainvilliers et à Dubos, le président Hénault montre beaucoup d'érudition et de sagacité, et conclut enfin contre l'un et l'autre, que Clovis, véritable Roz de France, dans le sens le plus étendu qu'on peut donner à ce mot, et plus conquérant encore que politique, mais certainement l'un et l'autre à la fois, puisqu'il a possédé lui-même des charges dans l'Empire Romain, a joint à la force de ses armes l'effet des insinuations et des promesses, et surtout l'influence puissante des évêques, qu'il avait su mettre dans ses intérêts. Il est constant d'ailleurs, qu'il n'y a aucune portion de terre dans les Gaules qu'il

n'ait conquise et dont ses armes nè l'aient rendu maître. Pour les lecteurs curieux d'approfondir ces sortes de questions, cet ouvrage sera donc un ouvrage précieux, et pourra même paraître une introduction nécessaire à la lecture de l'Abrégé chronologique, qui a fait la réputation du président Hénault. S'il n'a point publié celui-ci de son vivant, c'est que sans doute il n'y voyait encore qu'un premier travail, sorti informe de ses mains, et qui avant d'être donné au public, avait besoin d'être revu sévèrement, et corrigé dans toutes ses parties. Il est difficile. en effet d'imaginer un style plus lâche et plus négligé que celui de cet ouvrage, et cette manière d'écrire n'ajoute pas peu sans doute à ce qu'une lecture de ce genre peut avoir en elle-même de rebutant et de pénible. La narration, souvent confuse, et toujours traînante et sans intérêt, ne rachète par aucun trait saillant, par aucune idée agréable ou profonde, l'aridité du sujet ou la dégoûtante atrocité des crimes dont l'historien a presque toujours à rendre compte. Le manuscrit d'ailleurs est authentique. Il existe autographe entre les mains du libraire. qui offre de le montrer à ceux qui le desireront. C'est donc bien véritablement le président Hénault en robe de chambre, qui nous est offert dans cet ouvrage posthume; et il faut convenir que sous le rapport littéraire, il ne gagne pas à être vu ainsi.

Y gagne-t-il en récompense sous le rapport philosophique? Un avant-propos, mis assez hors de propos en tête de cet ouvrage, mettra nòs lecteurs à portée de le décider. Après y avoir dit que le systême de l'abbé Dubos a causé parmi les savans la même révolution que la philosophie de Descartes en a causé parmi les philosophes, ( Si parva licet componere magnis) le président Hénault prend, on ne sait pourquoi, l'occasion de tomber à corps perdu sur la philosophie, et de se récrier contre l'esprit de dîscussion, qu'au grand regret encore de certaines gens, elle a partout fait naître. Pauvre Voltaire ! C'était donc ainsi qu'on te faisait dupe; ne découvrirons-nous done

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successivement que des faux frères dans tous ceux que tu admettais à ta familiarité, que tu comblais d'éloges dans tes ouvrages, et qui, redevables presque à toi seul de leur réputation, se trouvaient ainsi recommandés d'avance au public et à la postérité. A cette occasion, au surplus, il échappe au président Hénault des aveux naïfs et bons encore à retenir pour le tems où nous vivons. La religion, pour ces hommes (les philosophes ) est › devenue, dit-il, une métaphysique divine qui, en honorant le culte, le rend digne de son objet ; mais pour » un homme que la nouvelle philosophie a rendu tel » combien en a-t-elle perdus! (Entendons ici perdus » pour le christianisme. ) JE PARLE MÊME PHILOSOPHI» QUEMENT. ( Ceci est curieux.) Il y a eu des chrétiens plus éclairés, mais le nombre des chrétiens a diminué. » Quelques-uns ont mieux rempli leur devoir, mais la plupart ont secoué le joug,... En un mot, la religion » s'est perdue en se perfectionnant. » C'est-à-dire que, philosophiquement parlant, il était à souhaiter que la religion ne se perfectionnât pas, et que tous restassent chrétiens, au risque d'être toujours des chrétiens non-éclairés, conséquemment intolérans, fanatiques, et toujours prêts, bien entendu, à donner pour la rémission de leurs péchés, leurs biens à la sainte église... It est plus d'un lecteur à qui ce langage philosophique doit infiniment plaire aujourd'hui.

Plus bas le président Hénault dit encore:

«La politique n'y a pas mieux trouvé son compte que la religion; car toutes deux, pour le bonheur des > hommes, exigent leur entière soumission; et par rap "port à Dieu et par rapport au souverain, le chrétien » et le sujet qui raisonnent n'en sont ni plus religieux, ni plus fidèles. »

Indocti discant et AMENT MEMINISSE periti.

L'épigraphe de l'ouvrage peut-elle être plus à propos répétée qu'à cette occasion? G. P.

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