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objets de consommation soient à beaucoup meilleur marché pour eux que dans le siècle dernier et que le salaire du travail ait augmenté de 30 pour cent dans tout le royaume, ce qui produit une grande amélioration dans leur sort, la taxe imposée pour cette classe de la société n'en était pas moins de deux millions et demi sterlings, et qu'elle menaçait de doubler bientôt.

Il se demande quels sont donc les avantages de ce Gouvernement tant vanté, pour de petits propriétaires tels que lui, comparativement à la ruine et à la misère qui les menacent? « Ce sout, dit-il, l'administration certaine » et pure de la justice et la liberté civile et politique.» Ah! que la France puisse garantir ces avantages et l'on verra les étrangers venir respirer sous cet abri tutélaire, lui apporter des capitaux et de l'industrie !

PHILOSOPHIE.

L. B.

DE la perfectibilité; par J.-B. Salaville. A Paris, ches Déterville, Dentu, et au bureau du Citoyen-Français.

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<< UN des caractères les plus frappans dans l'homme, » disait en 1791, à la tribune de l'Assemblée consti» tuante, un de ses membres les plus distingués (1), est » la perfectibilité; et ce caractère sensible dans l'individu, » l'est bien plus encore dans l'espèce. Car, peut-être n'est» il pas impossible de dire de tel homme en particulier » qu'il est parvenu au point auquel il pouvait atteindre, » et il le sera éternellement de l'espèce entière, dont n la richesse intellectuelle et morale s'accroît sans interruption de tous les produits des siècles antérieurs. » Cette doctrine, consignée dans un des plus beaux ouvrages que nous possédions sur l'instruction publique, a

(1) Le C. Talleyran-Périgord, rapport sur l'instruction publique, au nom du comité de constitution, page 7.

été celle de tous les philosophes de l'antiquité; elle a été professée dans ces derniers siècles par tous les écrivains amis de l'humanité et zélés pour les intérêts de la morale. On n'aurait pas soupçonné alors qu'il viendrait un moment où ces maximes si anciennes et si pures seraient présentées comme une nouveauté pernicieuse, où l'on prétendrait en faire le signe d'un parti politique, où des littérateurs croiraient s'honorer eux-mêmes en dégradant notre nature.

C'est la preuve d'un très-bon esprit dans le C. Salaville, de s'être placé au-dessus de l'atmosphère où respirent ces libellistes, d'avoir traité cette question avec le même calme et dans le même langage qu'on l'eût fait il y a vingt ans. Il n'est descendu à aucune controverse; il a écrit pour les philosophes; les philosophes le liront, le méditeront et apprécieront ses vues.

Cet ouvrage est court, mais plein d'idées ; on voit qu'il est le résultat d'un long travail. Il présente un systême neuf et étroitement lié dans toutes ses parties. Voici à peu près sa marche :

« La perfectibilité, selon lui, est la faculté de passer du connu à l'inconnu. L'homme est le seul être perfectible, et de la non-perfectibilité des animaux on doit conclure leur non-intelligence; car, suivant l'auteur, il n'y a point de connaissance actuelle sans la faculté de découvrir un inconnu nouveau ; ce qui le conduit à douter du principe de Locke et de Condillac, qui place dans la sensibilité la source ou l'occasion de l'intelligence. L'individu humain se perfectionne, comme son espèce, par l'effet du besoin créateur, de la curiosité. Cette perfectibilité a un but; ce but est la création d'une sorte de monde intellectuel en nous-mêmes, sur le modèle du monde. sensible; il est commun à tous les hommes, comme à toutes les générations, et devient le centre de leurs efforts; les richesses physiques ne sont que le but apparent de la perfectibilité; nous ne les desirons réellement que pour les connaître ; la richesse intellectuelle est le

seul terme véritable de notre destination, et le prix des objets matériels doit s'avilir à mesure que ces biens intellectuels viendront à s'accroître. Ainsi s'appaiseront l'ambition, l'envie, la cupidité, en raison du progrès de nos lumières, et notre perfectionnement moral sera ainsi la suite naturelle de notre perfectionnement intellectuel. »

Telles sont à peu près les idées du C. Salaville. Nous ne saurions les partager toutes; nous lui contesterions que la connaissance soit le but plutôt que le moyen de notre perfectionnement ; nous lui contesterions que le désordre de nos passions naisse de la nature des objets sensibles que nous convoitons, plutôt que des erreurs qui accompagnent ces desirs; nous éleverions des doutes sur quelques maximes qui nous paraissent trop systématiques. Mais les juges les plus sévères y reconnaîtront une morale pure, un esprit très-méditatif, des aperçus neufs, des intentions extrêmement louables, un style clair, rapide et philosophique. Ils y retrouveront l'auteur que l'ouvrage sur l'Homme et la Société avait déjà fait si avantageusement connaître. J. M. D.

LITTÉRATURE.

ALMANACH DES PROSATEURS, ou Recueil de pièces fugitives, en prose. Rédigé par les CC. Fr. N... et P. B. Lamare. A Paris, chez Léger, libraire, quai des Augustins, No 44.- An X.

LES vers que l'on fait aujourd'hui sont en général fort bons, dit (sans doute avec ironie ) l'éditeur de ce nouvel almanach; mais la prose a aussi son mérite. Et d'après cela, il offre au public le premier volume d'un recueil de morceaux de prose légère; lequel doit avoir un frère, chaque année.

L'Almanach des Muses a servi de modèle à l'Almanach des Prosateurs. Celui-ci est décoré, comme l'autre, d'une

gravure. On y voit Polymnie tenant le sceptre de l'éloquence. A ses pieds, sur un livre ouvert, on lit les noms de Goldsmith, Francklin, Wieland, etc. Dans le fond s'élève le Parnasse et le Temple du goût.

S'il est vrai que l'Almanach des Muses soit presque envahi de vive force, tous les ans, par une foule de jeunes poëtes qui briguent l'honneur d'y voir figurer leurs noms, nous plaignons bien sincèrement l'éditeur de cet autre almanach. Comment se débarrassera-t-il de la foule bien plus grande des Prosateurs qui trouveront dans l'almanach une porte pour s'élancer dans la carrière de la gloire? Pour une pensée de quelques lignes, calquée sur celles de la Bruyère, pour un conte de trois pages, mal imité de Sterne, on se croira un favori de Polymnie, et l'on exigera une place dans le recueil.

en

Cette année, l'éditeur s'est contenté de prendre, grande partie, ses matériaux dans les meilleurs journaux, et dans quelques bons ouvrages récemment publiés. Le choix a été presque toujours fait avec goût. On n'en pourra douter quand on saura que plusieurs morceaux portent les noms de Francklin, Saint-Lambert, Morellet, Laharpe, etc.

Notre Décade a aussi eu l'avantage de fournir un bon nombre de morceaux. C'est ainsi que l'Almanach des Muses vient, chaque année, moissonner chez nous. Ces emprunts-là sont loin de nous déplaire : nous les regardons comme des témoignages d'estime.

Nous osons prédire du succès à l'Almanach des Prosateurs, surtout si, dans les années qui suivront, on a soin de recueillir des productions plus nouvelles, ou moins

connues.

L'éditeur semble avoir eu pour objet de ne former sa collection que de morceaux qu'avoueraient la saine morale et la philosophie. Il faut l'en féliciter. Il lui aurait été si facile de le grossir d'injures contre les philosophes, d'éloges de la superstition, d'anecdotes fausses ou satyriques, ou dangereuses pour les mœurs.

Nous allons citer deux morceaux : l'un, parce que nous

le croyons assez peu connu ; l'autre , parce qu'il est écrit avec sentiment et philosophie, et que l'auteur, quelles que soient aujourd'hui ses opinions, ne pourrait le désavouer sans injustice.

LE JUGE PRUDEN T.

CONTE oriental, traduit de l'allemand de M. HERDER.

UN marchand que des affaires appelaient dans les pays étran gers, confia une bourse de mille sequins à un dervis, qu'il regardait comme son ami, et le pria de conserver ce dépôt jusqu'à son retour. Au bout d'un an, le marchand revient. et demande son argent, mais le dervis lui nia l'avoir reçu. Le marchand, furieux de cette perfidie, s'adresse au cadi. Vous avez eu plus de bonne-foi que de prudence, lui répond le juge vous ne deviez pas avoir autant de confiance dans un homme dont vous ne connaissiez pas la fidélité. Il sera difficile de déterminer ce fourbe à restituer un dépôt qu'il a reçu sans témoins; mais je verrai ce que je puis faire pour vous. Retournez chez lui, parlez-lui amicalement, mais ne lui dites pas que je suis instruit de cette affaire, et revenez demain à la même heure.

il

Le marchand obéit; mais au lieu de retirer son argent, ne reçut que des injures pendant la dispute arrive un esclave du cadi, qui invite le dervis à se rendre chez son maître. Le dervis y va il est introduit dans la plus belle chambre, reçu avec amitié, et traité même avec la considération qu'on a pour les personnes d'un rang distingué. Le cadi l'entretient de différens sujets, parmi lesquels il mêle, à mesure que l'occasion se présente, des éloges du savoir et de la sagesse du dervis. Lorsqu'il a gagné sa confiance par des discours flatteurs, il lui dit je vous ai mandé pour vous donner. une preuve de ma confiance et de mon estime. Une affaire de la plus grande importance m'oblige de m'absenter pour quelques mois je ne me fie pas à mes esclaves, et je voudrais remettre mon trésor dans les mains d'un homme qui jouit, comme vous, de la meilleure réputation. Si vous pouvez vous

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