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mère, et celle-ci un supplice. . . . J'hésitai un moment. Achevez, me dit-il. Enfin, repris-je, j'ai peine à concevoir, après tout ce que je viens d'entendre, comment je vous rencontre aujourd'hui, vous promenant tranquillement dans ces bois.

-Je vous entends. Il a été un tems où j'aurais pu prendre ce parti: alors je ne l'osai pas; je craignais encore. Je suis parvenu à ne rien craindre. Mais quand ma raison a été éclairée, mon ame était abattue; je n'avais que du désespoir et plus de courage; je m'abandonnai à l'habitude de souffrir. Il est un âge où l'on ne se défait point de la vie; elle nous désole sans cesse, et nous quitte par degrés, sans que nous ayons la force de la rejeter: c'est la robe de Vénus qu'on ne peut emporter que par lambeaux.

Pendant que je l'entretenais ainsi, la nature avait changé de face. L'orage s'approchait de nous sur des nuages amoncelés; la nuit était devenue plus sombre. Nous marchions sans dire un mot; mais de tems en tems les éclairs venant frapper sur son visage, répandaient sur ses traits un jour livide qui les rendait plus affreux.

Nous avancions vers le couvent, et nous en étions déjà trèsproches. Il semblait que la tempête se fût reposée dessus; la foudre grondait alentour à coups redoublés.

Je vis le front du solitaire s'éclaircir un moment. O! si le feu du ciel, s'écria-t-il, pouvait consumer cette odieuse enceinte, et tous les misérables qui l'habitent!

Vous n'y avez donc pas un ami ?.

Un ami.... Nous nous appelons tous frères, et nous sommes tous esclaves.

En me disant ces derniers mots, il entrait dans la demeure qu'il venait de maudire, et la porte se referma sur lui.

Mon ame était profondément triste. Je vis que le malheur, quand il est extrême, finit par rendre le cœur dur, et que les plaintes du désespoir deviennent des blasphêmes. Ce malheureux, qui pouvait trouver dans l'idée d'un Dieu une consolation et un refuge, avait mieux aimé y renoncer pour avoir plus de droit de hair les hommes.

O Dieu! être suprême et nécessaire, que j'ignore et que je

crois, parce que tout me l'annonce, sans que rien me l'explique, tu n'as pas créé la beauté pour que l'homme en détournât ses regards; tu n'as pas déployé devant lui les richesses de la création, pour qu'il habitât des cachots; tu n'as pas mis dans son cœur le besoin d'aimer ses semblables, pour qu'il trompât sans cesse ce besoin si doux, et qu'il jurât de n'aimer rien.

On a défiguré ton ouvrage, avant de nier son auteur; et F'athée alors a ose te dire : tu ne m'as pas fait ; et lé fanatique plus coupable t'a dit: tu m'as fait ainsi. Laharpe.

L'Almanach des Prosateurs contient aussi plusieurs pièces inédites, et d'autres si anciennes qu'elles avaient été oubliées. Les journaux de tous les jours en ont fait leur profit. Comme les nouvelles politiques ne suffisent plus pour remplir leurs huit colonnes, les rédacteurs viennent glaner dans le champ de la littérature.

Nous finirons cet article par inviter le C. Lamare, éditeur de l'Almanach des Prosateurs, à se montrer plus rigoureux encore l'année prochaine, dans le choix des morceaux qui composent son recueil. Il en est deux ou trois qu'on voudrait pouvoir retrancher de cette première livraison. Mais son entreprise nous paraît faite pour réussir. Les étrangers surtout accueilleront cet ouvrage; car ils préfèrent nos bons ouvrages en prose à nos poëmes qu'ils trouvent froids, sans verve, sans hardiesse, sans imagination. Sans doute ils ont tort. Mais ce n'est moment de le leur

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prouver.

pas

ici le

X.

LITTÉRATURE.

CRITIQUE.

REVUE LITTÉRAIRE.

LE BONHEUR RURAL, ou Tableau de la vie champêtre. Poëme en douze livres et en prose; par Joseph Rosny. Un volume in-8°. Prix, 3 fr., et 4 fr. franc de port. A Paris, chez Poisson, lib., quai des Augustins, No 34S'IL est vrai (ce qui est loin d'être décidé affirmative

ment, quoique la question ait été souvent agitée) que l'on puisse faire des poëmes en prose, du moins personne ne contestera que dans ces sortes d'ouvrages, la prose doit être poëtique. Nous verrons bientôt si celle de l'ouvrage que nous annonçons l'est en effet.

Dans son avertissement l'auteur tâche de ramener ses lecteurs aux goûts simples: il blâme avec raison le genre merveilleux et les intrigues invraisemblables. Mais comment s'exprime-t-il à ce sujet? « Tôt ou » tard le lecteur cherchera un aliment plus convenable » à sa sensibilité en se repaissant de situations moins » gigantesques. Il préfère ( page XVIII) le simple mérite » de l'intention à celui de la prolixité. » Jusqu'à présent nous n'avions pas cru qu'il y eût du mérite à être prolixe.

Chaque livre du poëme porte le titre d'un des mois de l'année, et roule en général sur des descriptions du tems et des occupations auxquelles on se livre dans chaque mois. Pour donner une idée du style poëtique de cet ouvrage, nous allons transcrire la page neuvième. « Par» tout on entend au loin les granges du laboureur reteutir » sous les coups redoublés du fléau. Cette quantité considérable de grains de toute espèce qu'il a soustraits aux » pluies qui le menacent, lui passe alors par les mains. » Ces différentes piles de fromeut, de seigle, de sarrasin, d'orge et d'avoine, changent toutes de nature. Il en » distrait la partie la plus intéressante afin d'en garnir >> ses magasins pour sa consommation ou pour les semences

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nouvelles; et l'autre, composée de la paille, remplit » ses greniers pour différens usages non moins utiles,..etc.» L'ancienne maison rustique, l'Almanach, du Cultivateur et les Étrennes mignones, s'expriment plus poëtiquement.

Dans brumaire le coup-d'œil que présente la nature devient plus monotone et moins varié (page 34), et les nuits en s'alongeant diminuent d'une manière sensible l'étendue de la lumière (page 37). Certes on ne contestera point de pareilles vérités. Il est clair que ce qui est monotone n'est pas varié, et que plus les nuits sout lou

gues, plus les jours sont courts. Plusieurs pages sont consacrées à la mort de l'animal dont la chair était défendue par Moyse au peuple juif. - En floréal la nature est dans tout son beau (page 181). En prairial tous les habitans des campagnes sont en mouvement (page 197). En messidor le seigle touche à sa maturité, le méteil vient ensuite; le froment lui succède (page 215 ).-On croirait lire le Gentilhomme cultivateur.

Ce n'était point ainsi que s'exprimait l'élégant auteur de Télémaque, et cependant il n'osa donner le titre de poëme à son immortel ouvrage. Les études de la nature ne sont point un poëme, et personne ne leur contestera les charmes du style et des détails; enfin, la Théorie des Jardins, ouvrage plein d'esprit, écrit par un homme qui, en créant Ermenonville, a su réparer l'oubli de la nature contient dans une dixaine de pages plus de choses utiles et intéressantes, que l'on n'en trouve dans tout le gros volume que nous annonçons.

,

L'auteur du Bonheur rural donne à la fin de son prétendu poëme, la liste de ses ouvrages. Ils sont au nombre de vingtsept. Comme aucun n'est connu de nous nous ne savons pas si nous devons féliciter l'auteur de sa fécondité. Mais s'ils ressemblent tous au dernier qui vient de tomber entre nos mains, nous nous croyons autorisés à lui dire qu'il est rare de bien faire en accumulant productions sur productions.

Boileau a dit :

Vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage ;
Polissez-le sans cesse et le repolissez,

Ajoutez quelquefois et souvent effacez.

Et Boileau a joint l'exemple au précepte.

LE PRESBYTÈRE, ou les illustres Persécutés pendant la révolution; par madame C. D. V. ; 2 vol. in-12. A Paris, - chez Lepetit, libraire, palais du Tribunat.

QUOIQUE ce roman renferme plusieurs faits qui sont vrais,

il n'en est pas meilleur pour cela. Mieux vaut la fiction qu'une histoire pareille. Ces illustres Persécutés portent d'abord des noms empruntés, et pour nous les faire mieux connaître, l'auteur supprime ensuite ces noms et ne les désigne plus que par la lettre initiale de leur nom véritable. C'est d'abord une famille dispersée qui, après des aventures très-incroyables, se réunit, par hasard, dans un presbytère d'Auvergne : et comme il n'y avait point assez de six personnages, il arrive des Anglais et des Italiens, qui n'ont rien à démêler avec eux. Le lecteur veut-il avoir une idée de l'inégalité du style, nous lui dirons que : « Le » messager du jour, le coq belliqueux, promenait depuis >> quelques heures son sérail caquetant. » Ce qui signifie que la matinée était avancée. « Une femme que je » me souviens d'avoir accueillie, et qui s'en rappelait, etc. » Il faudrait du moins que nos romanciers de l'un et de l'autre sexe, commençassent par apprendre les premières règles de la grammaire.

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HISTOIRE d'un Chien, écrite par lui-même, et publiée par un homme de ses amis; ouvrage critique, moral et philosophique. 1 vol. in-12. A Paris, chez la veuve Masson. An 10.

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C'EST certainement un chien d'écrivain que celui-ci ; et il n'est pas, après tout, le premier de son espèce. Tant il est vrai que tout le monde s'en mêle! Que de singes aussi, que de serpens, de boucs, de renards, et jusqu'à des insectes, n'a-t-on pas vu se signaler par des productions odieuses et viles! Ce qu'il y a de pis encore, c'est que ces productions-là ont souvent trouvé faveur dans le public, et ont, dans leurs effets funestes, surpassé quelquefois l'attente de leurs dignes auteurs.

Il n'y a au surplus rien de dangereux ni de nuisible à attendre de cette dernière, si ce n'est de l'ennui et de l'impatience contre tous ces aboyeurs sans talent que la

rage

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