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tique des anciens. Il développe les plans de campagne', éclaircit les marches des armées, explique les évolutions dans les combats, fait voir l'habileté ou les fautes des généraux, distingue ce qu'on avait confondu, rapproche ce qui était trop séparé, lie ensemble ou supplée ce que le laconisme de l'historien n'avait montré qu'épars ou avait omis; de sorte qu'au milieu de l'ébranlement général de l'empire Romain, les révoltes des légions, les points d'où elles partent, ceux où elles arrivent pour se choquer, leur retraite, leur changemens de quartiers, leur division en différens corps, qui conservant le même nom, semblent être la même légion qui se bat en même tems dans des pays fort éloignés les uns des autres; tout cela se débrouille, se comprend et se voit pour ainsi dire, non seulement par les notes, mais encore par le moyen d'un tableau de mouvemens et des cartes que l'on a dressées pour l'intelligence des opérations de la guerre. Cette partie du commentaire est une espèce de création, si c'est créer que de dissiper le chaos.

On a dit que la géographie était l'œil de l'histoire. Ici l'histoire est l'œil de la géographie, c'est-à-dire que l'on s'est servi de la première pour éclairer et diriger la seconde. La vraie position des anciennes villes se trouve dans les anciens auteurs, bien lus et bien approfondis, et il est certain que si les opinions modernes ne s'accordent pas avec ce qu'ils disent, ou sont démenties par les opérations militaires qu'ils décrivent, on en doit conclure qu'elles sont fausses, et l'on peut le dire, malgré la réputation des savans qui les ont avancées et soutenues ; car l'homme de lettres ne doit connaître, ne doit respecter que la vérité. Or, le commentateur démontre qu'il y a un défaut absolu de rapport et de conformité entre la narration de l'historien et les systêmes de nos plus fameux géographes, sur la situation d'une foulé de places dont il parle, telles que Bedriacum, forum Alieni, oppidum Batavorum, Vada, Grinnes, Arenacum, etc., etc., discordance qui décèle l'erreur, cause principale de

Fobscurité répandue sur les histoires. Car dans tout il n'y a de beau, de clair, de satisfaisant pour l'entendement humain, que ce qui est vrai.

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On voit que le savant professeur ne s'est pas traîné sur les pas de ceux qui l'ont précédé, et qu'il possède cet esprit philosophique qui discute, analyse et ne se rend qu'à l'évidence. C'est l'idée à laquelle il semble préparer le lecteur dans son discours préliminaire, lorsqu'il dit : « En général, mon dessein a été de donner le fruit » de mes réflexions, et non le résultat du travail des » autres ; de publier mes observations, et non de répéter >> en d'autres termes ce qui a été dit jusqu'à présent. » J'ai pu me tromper dans la manière d'envisager les » choses, mais personne ne m'a égaré, et le blâme n'ap» partient qu'à moi, si j'ai mal fait, comme la louange, si j'ai réussi en un mot, il est très-possible que je » sois un mauvais Scholiaste, mais je ne crois pas que qui que ce soit me reproche d'être un copiste ou un plagiaire. »

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On ne peut être qu'un très-bon Scholiaste, quand on donne sur l'un des auteurs les plus admirables de l'antiquité, un commentaire aussi solide, aussi instructif et aussi bien écrit. S'il a un défaut, c'est d'être incomplet; mais nous espérons qu'encouragé par l'accueil du public, le C. Ferlet finira ce qu'il a si heureusement commencé.

LITTÉRATURE. — POÉSIE.

SATIRES D'HORACE traduites en vers par Pierre Daru. A Paris, chez Parisot, rue du Vieux-Colombier, No 389; au Dépôt de librairie, rue de la Feuillade, N° 1 ; chez Pougens, quai Voltaire, et chez tous les marchands de nouveautés (1).

UN des caractères distinctifs d'Horace, c'est la variété,

** (1) On trouve chez ces mêmes libraires quelques exemplaires des

la souplesse. On croirait à peine que l'auteur de ces belles odes, qui l'ont fait justement nommer le Pindare latin, fut le même que celui de ces épîtres où respire avec la philosophie la plus sage, et pour ainsi dire la plus usuelle, toute l'urbanité romaine; de ces satires remplies d'un sel si piquant sans être amer, et du talent si rare de ridiculiser le vice et de faire briller la vertu, sans donner dans les déclamations de l'invective ou du panégyrique.

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Cette variété de tons, cette souplesse de style, qui de tous les grands poëtes de l'antiquité, n'appartient qu'à lui seul, doivent être le désespoir de quiconque entreprend de le traduire. La difficulté qu'elles offrent à vaincre, toute grande qu'elle est, n'est pourtant pas invincible. Le travail du C. Daru sur ce poete aussi aimable que sublime nous le prouve. Le modèle qu'il s'est choisi est și parfait qu'il n'a pu se flatter sans doute d'atteindre généralement à la même perfection; mais si dans la traduction des odes il s'est souvent élevé au ton qu'elle exigeait, s'il a plus souvent encore saisi dans celle des épitres ce tour élégant et facile qui y donne tant d'attrait aux vérités morales, on peut dire qu'il ne s'est pas moins heureusement plié aux formes vives, piquantes et légères qui caractérisent les satires.

Il parait s'être surtout appliqué à faire perdre à certains détails de mœurs anciennes ce qu'ils ont d'étranger aux nôtres, et à les naturaliser en quelque sorte par une facilité de style, qui doit être le fruit de beaucoup de travail. Par exemple, à quelques noms près, que de courtes notes suffisent pour expliquer, qu'y a-t-il d'étranger dans cette fin de la sixième satire du premier livre, où Horace, après s'être moqué des vaines prétentions des nobles, parle avec tant d'intérêt et de grâce de l'obscurité de sa naissance et de l'heureuse simplicité de sa vie?

deux premiers volumes, qui complettent la traduction d'Horace, par le même auteur.

Pourquoi désavouer mon origine obscure?

Si je porte un cœur droit, si ma conduite est pure,
Si de quelques défauts taché légèrement,

Je n'ai que de ces torts qu'on pardonne aisément ;
Si je suis affranchi de la honte du vice,
Si l'on ne put jamais me taxer d'avarice,
Si de quelques amis je puis m'énorgueillir,
Je le dois à mon père, et n'en sais point rougir (2).

Heureux de lui devoir bien plus que la naissance,
Je ne dirai jamais, comme certaines gens,
Qu'on ne peut à son gré se choisir ses parens.
Non, loin de partager ce sentiment impie,
Si le sort permettait que, rentrant dans la vie,
Chacun pût à son gré se choisir ses ayeux;
Satisfait des parens que m'ont donné les Dieux,
Je n'irais point, épris d'une vaine chimère,

Au milieu des faisceaux chercher un meilleur père.

Si je préférais, continue le poëte, une origine plus illustre, je me chargerais d'un fardeau trop pesant pour moi.

Pour accroitre mon bien, il faudrait m'intriguer,
Saluer mille gens, solliciter, briguer,

Ne jamais aller seul, aux champs comme à la ville,
Trainer, pour mon supplice, un cortége inutile.
Aujourd'hui quand je veux, en pleine liberté,
J'enfourche sans façon un mulet écourté (3),
Que blesse sur la croupe une large valise,
Et, mauvais cavalier, je galoppe à ma guise.

Je vais seul où je veux, dès qu'il m'en prend envie;
Je m'informe du prix des légumes, du blé,
Et le soir, au milieu du peuple rassemblé,
Devant les charlatans quelquefois je m'arrête.
Rentré dans ma maison, j'y vois ma table prête;
Trois esclaves soudain m'apportent quelques fruits,
Des pois et des gâteaux très-proprement servis.
Sur un buffet de marbre, à côté d'une aiguière,
S'étale et brille aux yeux ma vaisselle grossière;

(2) Il était fils d'un huissier et petit-fils d'un affranchi. (3) Nunc mihi curto ire licet mulo.

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( 97 )

Et plus près sous ma main, se disputant mon choi
Le vin rouge et le blanc pétillent à la fois..

Je me couche tranquille, et je dors à merveille
Je n'ai point à courir dès l'aurore vermeille,
Vers ce satyre en bronze écorché par Phébus (3),
Et que redoute encor l'usurier Novius.

Je me lève au grand jour, je sors, ou j'étudie,
Je compose, je lis, selon ma fantaisie ;

Je me fais frotter d'huile ensuite, mais non pas
Aux dépens de ma lampe, ainsi que Thraséas (4).
De ses traits enflammés quand le soleil nous brûle,
Je brave dans le bain l'ardente canicule;
Puis délassé, dispos, sans affaire occupé,
Je dine sobrement et j'attends le soupé.

Des sages, des heureux, voilà quelle est la vie, etc.

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Assurément rien dans ces vers agréables ne sent la gêne de la traduction. Je sais qu'un examen scrupuleux et littéral, découvrirait dans le texte un assez grand nombre de circonstances accessoires que le traducteur a négligées; mais si, en ajoutant beaucoup à la difficulté de l'ouvrage, elles ne pouvaient rien ajouter à son agrément, si méme elles étaient de nature à altérer pour les lecteurs français le charme du naturel et de la grâce qui règne dans cette tirade, en la surchargeant de noms et de mots qu'il aurait fallu expliquer tous par des notes, cette négligence apparente n'est-elle pas une preuve de goût?

L'une de ces satires, la plus difficile à traduire et méme à bien entendre, est la 3e. du Liv. II. Horace, pour développer le paradoxe des stoïciens, tous les hommes sont fous, établit un dialogue entre le stoïcien Dama

(3) Statue de Marsyas, auprès des Rostres : c'est là que se tenait la bourse.

(4) Il y a Natta dans le texte, le traducteur, pour la commodité du vers, y a substitué un autre nom : peu importe, car on ne connait pas plus Natta que Thraséas: c'est une licence qu'il a prise plusieurs fois, et qu'il a bien fait de prendre. Ꮐ

An X. 1er. Trimestre.

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