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les père et mère de passion vive et intéressée qui les excite à exiger cette union

Considérée comme cause de violence illégale la révé→ rence paternelle, c'eût été déposer dans le sein des familles un germe fécond de discussions et de discordes déplorables. Les Romains chez lesquels la puissance paternelle avait bien plus d'étendue, bien plus de force que parmi nous, n'admettaient cependant pas qu'un mariage pût être annulé comme étant l'effet de la contrainte exercée par le père de famille.

Pourquoi? parce que cette puissance n'allait pas jusqu'à obliger le fils de famille à faire un mariage contre sa volonté, et parce que, si celui-ci le contractait, il était présumé l'avoir voulu.

Si patre cogente ducit uxorem...... maluisse hoc videtur. L. 22. ff. de ritu nupt. Voy. aussi L. 21 eod. et L. 26, S1er, ff. de pignor.

C'est assez que notre législation ait prévu le cas où il y aurait preuve de violence et qu'elle ait alors autorisé l'action en nullité.

Mais on ne doit pas attribuer ce caractère aux menaces vagues qu'un père ferait à sa fille de lui retirer son affection, de la priver de sa succession, ni même à l'éloignement momentané de la fille qui serait placée par ses parents dans une pension, dans un couvent.

Cette espèce de contrainte morale, si elle n'était, d'ailleurs, accompagnée d'aucun sévice, d'aucun mauvais traitement, n'aurait pas la gravité exigée par la loi pour entraîner la nullité du mariage qui en aurait été la suite ; et ce serait le cas de dire avec les jurisconsultes romains, mais dans le sens de la validité de l'acte Coacta voluntas, voluntas est. L. 21, $ 5, ff. quod met. (V. Duranton, t. 2, no 47).

$ III.

Des insensés, des interdits.

SOMMAIRE.

184. Les fous, les insensés ne peuvent contracter mariage. Divers cas. 185. Le mariage est nul si l'insensé était interdit antérieurement. 186. Il est aussi nul si la démence était notoire, quoiqu'il n'y eût pas eu d'interdiction.

187. Mais il serait difficile de l'annuler si la cause de l'interdiction n'existait pas notoirement au moment du mariage.

188. Quid si le mariage est contracté dans des intervalles lucides? 189. Par qui la nullité peut-elle être demandée?

190. Elle peut être demandée par l'époux qui a ignoré l'interdiction ou la démence.

191. Elle peut l'être par le tuteur de l'interdit.

192. Elle ne peut pas l'être par les héritiers de l'un ou de l'autre époux.

193. Les personnes pourvues d'un conseil judiciaire peuvent se marier même sans l'assistance de ce conseil.

194. Quid de l'interdiction légale résultant d'une condamnation afflictive?

184. Le consentement étant nécessaire pour former le contrat de mariage, ceux qui sont incapables de volonté sont, par cela même, incapables de mariage, puisque le consentement n'est que l'expression de la volonté.

Comme conséquence naturelle de cette vérité, on serait donc autorisé à dire que les furieux, les fous, les insensés ne peuvent contracter de mariage, parce qu'ils ne peuvent avoir de volonté au moins raisonnée.

Furor contrahi matrimonium non sinit ; quia consensus opus est. L. 16, Sult.

Sed rectè contractum non impedit. Ibid.

Ainsi, la fureur, la démence ne permettent pas de contracter mariage.

Mais elles ne portent aucune atteinte au mariage qui a précédé.

Ici se présentent plusieurs questions :

La fureur, la démence peuvent être ignorées; car elles ne se manifestent pas toujours par des actes apparents, caractéristiques et surtout continuels. Des intervalles lucides peuvent se rencontrer.

Si dans cet intervalle le mariage est contracté, sera-t-il nul? S'il y a nullité, quel est celui des deux conjoints qui pourra la réclamer?

Des héritiers auraient-ils ce droit? Ces trois questions doivent être examinées successivement.

La première peut se présenter dans deux cas :

Ou l'insensé a été interdit,

Ou il ne l'a pas été.

185. Dans le premier cas, il en est du contrat de mariage comme de toutes les autres conventions.

L'interdit en est incapable.

L'art. 1124 du Code civil le défend expressément : Les încapables de contracter sont les interdits, etc.

Indépendamment même du principe général consigné dans l'art. 1124, la Commission législative et la section avaient inséré dans le projet du Code un article spécial ainsi conçu

Sont incapables de contracter mariage, 1° l'interdit >> pour cause de démence ou de fureur; 2° les sourds et >> muets de naissance, à moins qu'il ne soit constaté qu'ils » sont capables de manifester leur volonté. »

Si cet article du projet a été supprimé lors de la rédaction définitive, c'est seulement parce qu'on l'a jugé inutile, les dispositions qu'il contient n'étant que des conséquences naturelles de la règle générale qui exige pour le mariage un consentement valable. D'ailleurs la règle spéciale ne fut pas contredite. Elle est incontestable; elle se trouve implicitement consacrée par l'art. 146 (1).

(1) V. l'Esprit du Code civil sur l'art. 146.

Ainsi, dans le cas de l'interdiction déjà prononcée, il incapacité absolue.

y a

Il y a donc empêchement formel et par conséquent nullité du mariage qui serait contracté malgré cet empêchement : cette nullité est même prononcée textuellement par l'article 502 du Code, suivant lequel « l'interdiction a son effet du jour du jugement, et tous actes passés postérieurement par l'interdit sont nuls de plein droit.

186. Mais s'il n'y a pas eu de jugement ni même de demande en interdiction,. et si, dans l'ignorance de l'incapacité l'officier de l'état civil a uni les époux, le contrat pourrat-il être annulé ?

L'art. 503 du même Code peut servir à la solution de la difficulté :

« Les actes antérieurs à l'interdiction, dit cet article, >> peuvent être annulés si la cause de l'interdiction existait »> notoirement à l'époque où ces actes ont été faits. »>

Dans ce second cas, d'ailleurs, comme dans le premier, le mariage manque de la condition la plus nécessaire à la formation du lien. Il n'y a pas eu de consentement, puisque l'un des contractants était dans l'impuissance morale d'exprimer une volonté réfléchie (1).

Aussi, un membre de la Commission de la Cour de cassation fit-il remarquer que d'après les anciens principes, la démence ou la fureur produisait incapacité du jour où elle était prouvée avoir existé, et non du jour où l'interdiction était prononcée (V. Despeisses).

<< Mais cette Commission, rassurée par les autres précau» tions dont la célébration de mariage est entourée, se borna » à recueillir l'observation; et l'art. 146 fut maintenu dans >> sa simplicité (2).

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186. Si la cause de l'interdiction n'existait pas notoirement au moment du mariage, il y aurait beaucoup de dif

(1) Duranton, no 34.

(2) V. Esprit du C. civ., par Locré, sur cet art. 146.

ficultés à considérer le mariage comme nul, quelque vice qu'on pût reprocher au consentement dans la supposition de la démence; car le fait lui-même serait nécessairement enveloppé de quelques nuages; une démence qui n'est pas notoire est rarement bien caractérisée. L'insanité, la fureur surtout, se signalent toujours par des actes qui les décèlent au public. L'absence de tous actes extérieurs doit exciter les doutes du magistrat et lui inspirer une sage méfiance qui ne lui permet pas d'annuler les actes.

Au reste, c'est d'après les faits et le plus ou moins d'évidence des preuves que ces sortes de questions doivent être décidées.

188. Remarquons que des intervalles lucides n'attribueraient pas capacité pour le contrat de mariage à l'interdit pour cause de fureur ou de démence; car le jugement d'interdiction et ses effets n'en conservent pas moins toute leur force. L'incapacité de l'interdit ne peut cesser que par un nouveau jugement qui, en lui donnant main-levée de son interdiction, lui rende l'exercice de ses droits.

Des intervalles lucides sont, d'ailleurs, d'une appréciation fort incertaine et n'offrent qu'une bien faible garantie du recouvrement même temporaire de la raison.

Le Tribunat avait demandé une disposition qui déclarât que l'interdit était, en fait de mariage, hors d'état de donner un consentement, lors même qu'il aurait des intervalles lucides.

Le Conseil n'adopta pas cette idée, parce que la règle générale lui parut avoir pourvu à tout (1).

Selon Despeisses, auteur du parlement de Toulouse, les insensés pouvaient se marier pendant la durée des intervalles lucides (2).

Cette doctrine ne pourrait s'appliquer aujourd'hui qu'aux insensés non encore interdits. L'incapacité absolue des in

(1) Locre, sur l'art. 146, Esprit du Code civil.

(2) Despeisses, t. 1o, p. 246.

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