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pas être effacés par une cohabitation illicite quelque longue qu'elle pût être.

De tels mariages peuvent être annulés sur la demande même de l'un des époux. Nous en avons donné quelques exemples dans la section 1re du précédent chapitre.

529. Il ne faut pas aussi tirer des termes de l'art. 196, la conséquence qu'il peut y avoir lieu à la demande en nullité lorsqu'il n'y a pas de possession d'état. Car de ce que l'arti cle repousse la demande en nullité de la part des époux respectivement, lorsqu'il y a les deux conditions réunies, titrė et possession d'état, il ne s'ensuit pas que si la possession d'état manque, le mariage soit nul. Un tel argument serait l'argument à contrario le plus vicieux de tous les raisonnements. Sans qu'il y ait même possession l'acte de célébration n'en prouve pas moins le mariage; seulement le mariage a été tenu secret.

Or nous avons prouvé plus haut, en indiquant les différences notables qui distinguent le mariage clandestin du mariage seulement secret, que si le premier était nul le second était valable (1).

ARTICLE II.

Des demandes en nullité de la part des père el mère, des ascendants et de tous ceux qui y ont intérêt.

SOMMAIRE.

530. Les ascendants peuvent agir en nullité s'ils y ont intérêt. 531. Quel est le genre d'intéret qui autorise l'action?

532. A quelle époque le mariage nul peut-il être attaqué par les parents collatéraux ou les enfants d'un autre lil?

533. Fin de non recevoir contre les actions des ascendants et de la famille.

(1) V. les Pandectes françaises sur l'art. 196.

534. Le mariage peut-il être attaqué par des tiers intéressés, et à qu'elle époque?

535. Le premier époux du bigame peut l'attaquer du vivant de celui-ci. 536. Quid si le premier mariage est contesté?

530. L'article 184, qui autorise les demandes en nullité de la part des tiers, ne parle pas expressément des ascendants dans la désignation des personnes qui peuvent agir.

Cependant cette action leur appartient aussi. Ils sont compris dans l'expression générale qui l'attribue à tous ceux qui y ont intérêt.

531. Mais quel sera l'intérêt qui autorisera de leur part une telle action?

Sera-ce un intérêt moral, un intérêt d'honneur, ou un intérêt matériel, un intérêt d'argent ?

Les auteurs sont divisés sur cette question.

Le rapprochement des art. 184 et 191 a fait penser à quelques-uns que, du silence gardé sur les ascendants dans l'art. 184, tandis qu'ils étaient expressément désignés dans l'art. 191`, l'on devait conclure que, sans un intérêt né et 'actuel, c'est-à-dire un intérêt matériel, ils n'avaient pas le droit de demander la nullité du mariage pour les cas prévus par l'art. 184, c'est-à-dire pour défaut d'âge compétent, pour bigamie, pour inceste; et que cette action ne leur était accordée que s'il y avait eu absence de publicité et incompétence de l'officier public, comme le déclare l'art. 191.

Si cette dernière opinion était vraie il faudrait reconnaitre que la distinction faité par le législateur aurait été irrėfléchie. Car les causes de nullité signalées par l'art. 184, surtout la bigamie et l'inceste, sont bien plus graves, bien plus attentatoires aux mœurs, à l'honneur de la famille, à l'ordre social même, que l'omission de quelques formalités ou que l'incompétence plus ou moins équivoque d'un officier public.

Mais le législateur n'a pas commis cette déplorable erreur.

Son silence sur les ascendants dans l'art. 184 s'explique facilement ; et des articles postérieurs manifestent clairement son intention.

Le projet du Code civil donnait aux ascendants le droit d'attaquer un second mariage contracté avant la dissolution du premier. La Section de législation du Conseil d'État, en proposant une rédaction différente, leur conserva expressément ce droit et sa rédaction fut même adoptée.

Cette rédaction fut ensuite changée, et l'art. 184 y fut substitué avec ses termes généraux qui, sans désigner spécialement les ascendants, déclarent que le mariage peut être altaqué par tous ceux qui y ont intérêt.

Rien n'indique, d'ailleurs, dans les procès-verbaux des discussions du Conseil d'Etat, quelle a été la cause de l'o

mission.

Il est vraisemblable que le rédacteur de l'article considéra les droits des ascendants comme suffisamment maintenus par l'expression générale tous ceux qui y ont intérêt, et que s'ils ne furent pas taxativement nommés, c'est parce que cela parut inutile, peut-être même pour éviter des redites, et pour varier la rédaction comme en sont jaloux quelques écrivains.

On ne concevrait pas, d'ailleurs, que par un changement subit de volonté, le législateur eût privé les ascendants d'un droit aussi important, et qu'il n'eût pas même indiqué les motifs de ce changement. Et puisque le texte de la loi est muet, que les procès-verbaux ne s'expliquent pas davantage, on doit penser que l'intention primitive du législateur est restée la même et qu'il a voulu que l'action en nullité appartint aux ascendants comme y ayant intérêt.

L'article ne dit pas quel genre d'intérêt autorise l'action. Or les ascendants ont un intérêt d'affection, un intérêt d'honneur, un intérêt de direction qui leur permet, qui leur commande même de veiller à ce que le fils de famille ne se dégrade pas dans une union illicite, et qui doit leur conférer le droit de provoquer la dissolution d'un mariage dont l'exis

Art. 187.

tence est un outrage permanent pour la morale et pour la loi (1).

La famille du mineur, à défaut d'ascendants, doit avoir aussi la faculté d'exercer l'action en nullité, parce que la loi lui a confié la direction du mineur, parce qu'elle est chargée de veiller sur lui et de le défendre malgré lui-même contre la faiblesse de son âge, son inexpérience, l'égarement de ses passions, et qu'il est de son intérêt de remplir un devoir que la loi lui a imposée et de ne pas s'exposer au blâme général qu'une coupable négligence lui mériterait (2).

532. Au reste l'esprit de l'art. 184 se reconnaît à la distinction qu'établit l'art. 187 entre l'intérêt moral ou d'honneur et l'intérêt matériel ou d'argent.

Voici les termes de cet article :

<< Dans tous les cas où, conformément à l'art. 184, l'actión en nullité peut être intentée par tous ceux qui y ont un intérêt, elle ne peut l'être par les parents collatéraux, ou par les enfants nés d'un autre mariage, du vivant des deux époux, mais seulement lorsqu'ils y ont un intérêt né et actuel. »

Pourquoi les parents collatéraux et les enfants nés d'un autre mariage ne peuvent-ils pas attaquer le mariage du vivant des deux époux ? C'est que pendant leur existence l'intérêt de ces parents collatéraux, l'intérêt de ces enfants n'existe pas; c'est que cet intérêt ne s'ouvre qu'à la mort de celui des deux époux auquel ils doivent succéder; aussi l'article ajoute-t-il, mais seulement lorsqu'ils y ont un intérêt né et actuel; ce qui signifie lorsque sera ouverte la succession qu'ils auront à recueillir, en sorte que les héritiers collatéraux ou descendants du prémourant seul des deux époux pourront alors attaquer le mariage pour ne pas être privés de leurs

(1) V. Locré, Esprit du Code civil sur l'art. 184, 2e subdivision, no 1, et sur l'art. 187, 1re subdivision, no 5; opinion conforme de Merlin, Répert., vo Mariage, sect. 6, § 2, sur l'art. 186.

(2) Locré, Esprit du Code civil sur l'art. 184, ibid.

droits, en faveur de l'autre époux ou des enfants nés de ce mariage illicite.

Ainsi, dans le cas prévu par l'art. 187, l'intérêt matériel est le seul qui confère le droit.

Mais pourquoi la disposition n'est-elle pas appliquée aux ascendants qui, cependant, comme les parents collatéraux succèdent, et même leur sont souvent préférés à défaut de descendants? (V. les articles 746 et suivants.)

Pourquoi ? C'est que leur intérêt matériel n'est pas le seul qui ait fixé l'attention du législateur. C'est que leur intérêt moral, leur intérêt d'affection et d'honneur a surtout été considéré, et qu'en leur conférant une action en répression d'un mariage scandaleux on n'a pas entendu en limiter l'exercice aux besoins d'une misérable spéculation, on a voulu l'étendre à tout ce qu'exigeraient une tendresse non suspecte et une sollicitude paternelle pour le bonheur, pour la considération de la famille et de l'enfaut lui-même; bonheur, considération qui seraient nécessairement flétris par le scandale d'un mariage que l'opinion publique réprouverait. On a voulu, en un mot, investir le magistrat domestique, dans l'intérêt de la famille, du même pouvoir que l'on attribuait, dans l'intérêt de la société, au magistrat préposé à la conservation de l'ordre social, au ministère public.

Ces réflexions puissantes feraient, il semble, moins d'impression en les appliquant au cas prévu par l'art. 191. Des ascendants peuvent ne pas éprouver eux-mêmes, ou ne pas faire croire en eux un intérêt bien pressant, bien réel, à attaquer un mariage pour défaut de publicité ou pour incompétence de l'officier public. Les tribunaux, en se fixant sur la lettre de la disposition finale de l'art. 191 qui exige un intérêt né et actuel, auraient pu ne pas reconnaître l'existence de cet intérêt et rejeter leur action.

Sous ce rapport il était utile, il était même nécessaire, puisqu'on voulait leur attribuer le droit, de l'exprimer for

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