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La cohabitation et tout autre fait de ratification tacite n'offrent qu'un indice équivoque, incertain pendant le cours de la première année de majorité; et cet indice après l'année devient inutile.

Il semble donc qu'on ne doive s'arrêter qu'au seul mode de ratification tacite qu'ait déterminé la loi, c'est-à-dire au défaut de réclamation pendant un an. Cette opinion paraît d'autant plus sûre que le législateur qui, dans le même article 183, admettait pour les ascendants une ratification tacite, indépendamment d'une année de silence à laquelle il attribue le même effet, n'aurait pas négligé de prévoir aussi le cas de la part de l'époux d'une ratification tacite autre que le défaut de réclamation pendant l'année (1).

594. Remarquons que soit expresse, soit tacite, la ratification de l'époux faite même en temps opportun, ne peut être opposée aux ascendants, et que ceux-ci, tant qu'ils n'ont pas ratifié enx-mêmes ou que le délai dans lequel la loi les restreint ne s'est pas écoulé, peuvent toujours exercer l'action en nullité. Nous avons vu, au contraire, que lá ratification des ascendants effaçait l'action de l'époux.

595. M. Merlin examine dans son Répertoire une question importante :

« L'époux qui n'a pas agi dans l'année de sa majorité pour faire annuler son mariage, peut-il proposer la nullité par voie d'exception (2)? »

Pour la solution de la question il fait une distinction qui ne nous paraît pas juste.

Selon lui l'exception ne peut être opposée au conjoint. Une épouse, par exemple, ne peut l'opposer à son époux. Mais elle peut l'invoquer contre les héritiers de celui-ci. Les raisons puissantes sur lesquelles l'habile dialecticien

(1) Opinion conforme de Merlin, Répertoire, vo Mariage; de Duranton, t. 2, no 312; de Dalloz atuė, t. 10, p. 87, no 22; contrà, Toullier, t. 1, no 560.

(2) Répertoire, yo Mariage, sect. 6, § 2, sur l'art. 183, 5e question.

fonde son opinion, sous le premier rapport, nous paraissent aussi applicables à la question considérée sous le second rapport.

En effet, toute la difficulté roule sur l'application de la maxime: Quæ temporalia sunt ad agendum perpetua sunt ad excipiendum.

M. Merlin suppose que la femme, qui s'était mariée en minorité sans le consentement de son père, avait abandonné à sa majorité la maison conjugale et avait vécu seule jusqu'à sa 22e année accomplie.

Si son mari la rappelle alors par voie d'action dans la maison conjugale, peut-elle lui opposer par voie d'exception la nullité de son mariage?

Non, dit M. Merlin, parce qu'elle n'est pas dans la position du défendeur dont parle la loi 5, § 6, ff. · de doli mali except., d'où est tirée la maxime: Quæ temporalia sunt ad agendum.

Il faut, suivant cette loi, que le défendeur réunisse deux conditions:

1o Qu'il soit en possession du droit ou de la chose qu'il veut conserver;

2o Qu'il n'ait pas eu auparavant d'action contre le demandeur, et qu'il n'ait pas été en son pouvoir d'agir plutôt. Or telle n'est pas la position de la femme dont parle l'au

teur.

Elle n'est pas en possession de l'état de femme non mariée ; si elle a vécu, si elle vit encore séparément de son mari, c'est par une tolérance de celui-ci qui n'a pu ni détruire, ni même affaiblir sa qualité, sa possession d'état de femme mariée. Le mariage, d'ailleurs, étant d'ordre public, aucune convention ni expresse, ni tacite, n'a pu en faire cesser les droits et les obligations (art. 6 du Code civil).

D'un autre côté, il dépendait d'elle d'exercer, avant qu'elle eût atteint ses 22 ans accomplis, l'action en nullité de son mariage. Le mari n'avait pas à agir lui-même. Il

ne pouvait être que défendeur dans une telle réclamation.

Ces raisons sont décisives, et Merlin en conclut avec logique que la femme n'a aucun moyen d'échapper à la fin de non-recevoir établie par l'art. 183 du Code.

Mais si la femme ainsi séparée avant son veuvagé est actionnée par les héritiers du mari, en partage de la communauté par exemple, il faut examiner de quel ordre sont ces héritiers.

Sont-ils des enfants nés du mariage? La même fin de nonrecevoir doit repousser l'exception de la femme parce que les enfants n'ont pu renoncer à leur qualité d'enfants légiti– mes, ni laisser acquérir à leur mère la possession d'état de femme qui a toujours été libre.

Mais les demandeurs ne sont-ils que des héritiers collatéraux qui réclament le partage d'objets mobiliers que la femme, par son mariage, avait confondus dans la communauté ? celle-ci, pour conserver ces objets, peut opposer par voie d'exception la nullité de son mariage, parce que le mariage étant dissous, la question de savoir s'il était valable ou nul ne tient plus à l'ordre public et ne porte plus que sur des intérêts privés; que, par conséquent, rien ne s'est opposé à ce que les hériters du mari et la veuve ne convinssent entr'eux que le mariage serait considéré comme n'ayant jamais existé légalement.

Tels sont les raisonnements de M. Merlin. Ils nous paraissent plus subtils que justes.

On remarquera d'abord que toute cette argumentation repose sur une fausse base, sur la supposition que la femme avait la possession d'état de femme qui avait toujours été libre.

Or cette supposition est une erreur évidente. Sa possession d'état, pendant la vie du mari, était et avait toujours été celle de femme mariée. M. Merlin le reconnaît.

De là une conséquence nécessaire, c'est qu'à la mort du mari elle n'a pu être considérée par les héritiers comme par

le public que comme veuve. C'est la possession d'état de veuve qu'elle a acquise alors, qu'elle a toujours conservée depuis. Cette possession d'état primitive, elle n'a pu la changer elle-même. Car nul ne peut intervertir son propre titre ni changer sa qualité, si ce n'est par une cause venant d'un tiers ou par la contradiction que l'on oppose à celui qui est intéressé à conserver sa qualité originaire. (Argument de l'art. 2238 du Code civil.)

C'est comme veuve aussi et seulement comme veuve que les héritiers du mari l'ont considérée. C'est une fiction imaginée pour le besoin de l'argumentation que de dire que les héritiers du mari étaient convenus avec la femme que le mariage n'avait jamais existé légalement et lui avaient permis de se conduire comme n'ayant jamais été mariée.

Cette convention ne peut se supposer parce qu'elle est démentie par le fait même de la demande en partage des héritiers, parce que, d'ailleurs, elle n'a pu se faire, ni expressément, ni tacitement. Car il ne dépendait ni des héritiers, ni de la veuve, de changer l'état de celle-ci. L'état de tout individu tient à l'ordre public qui est intéressé à ce qu'il ne soit pas détruit ou modifié suivant le caprice ou les passions de chacun.

Quant aux objets mobiliers que possédait la femme pendant la vie de son mari, c'est comme femme mariée, comme commune en biens qu'elle en était en possession; c'est par la tolérance du mari et même pour lui qu'elle était censée les posséder; et, par suite, c'est comme veuve commune qu'elle en a conservé la possession et qu'elle a retenu cette possession comme elle en avait le droit jusqu'au partage. Sous ce dernier rapport aussi les héritiers du mari peuvent dire que cette veuve n'a pu changer, par sa seule volonté et sans leur consentement, la cause primitive de sa possession.

Ces observations répondent suffisamment, il semble, aux arguments de M. Merlin et démontrent que, dans aucun cas, l'épouse qui a gardé le silence pendant un an, depuis

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sa majorité, ne peut invoquer, même par exception, la nullité de son mariage comme ayant été contracté pendant sa minorité et sans le consentement de ses parents.

M. Merlin rapporte et approuve un arrêt de la Cour de Bruxelles, du 13 août 1813, qui a admis après plusieurs années de majorité, la veuve Godard à proposer contre les héritiers de son mari la nullité d'un mariage qu'elle avait contracté à l'âge de 17 ans sans convoquer ni consulter ses pa

rents.

Mais le mariage avait eu lieu sous la loi du 20 septembre 1792 qui déclarait nuls et de nul effet de tels mariages et qui ne fixait aucun terme fatal à l'exercice de l'action en nullité.

Le mariage, il est vrai, n'avait été dissous que sous le Code civil, en 1805, et la femme n'avait acquis sa majorité de 21 ans que sous cette loi nouvelle en 1803. Mais la Cour motiva principalement son arrêt sur la loi de 1792, en déclarant que le Code régissait seulement les mariages contractés sous son empire.

Elle ajouta surabondamment que la nullité était opposée par voie d'exception.

Cet arrêt ne peut servir de préjugé pour une question semblable qui s'élèverait à l'occasion d'un mariage contracté sous le Code civil (1).

S III.

De la forme des actions en nullité et de la durée de certaines de ces

actions.

SOMMAIRE.

596. Les actions en nullité s'exercent dans la même forme que les actions ordinaires, mais sans citation en conciliation.

(1) Voir sur cette question Dalloz aîné, t. 10, p. 87 et 88, no 24. Opinion conforme à la nôtre.

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