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» ce cas, les enfants devaient être légitimes par rapport à >> l'un des conjoints, et illégitimes par rapport à l'autre ; >> mais on a rejeté leur opinion sur le fondement que l'état >> des hommes est indivisible, et que, dans le concours, il > fallait se décider entièrement pour la légitimité. »

Telles sont les considérations qui ont servi de bases aux art. 201 et 202 du Code.

Pour appliquer sainement les deux articles, il faut considérer :

1o Les preuves, le caractère et la durée de la bonne foi; 2o Ses effets à l'égard des époux ;

3o Ses effets et ceux de la mauvaise foi, relativement aux enfants conçus depuis la célébration du mariage;

4o Ses effets quant à la légitimation des enfants conçus ou nės antérieurement au mariage putatif.

Section Ire.

Preuves, caractères et durée de la bonne foi.

SOMMAIRE,

603. La bonne foi doit être fondée sur une erreur grave. 604. S'il y a vice de forme la bonne foi est douteuse.

605. Quid si le vice tenait à une formalité substantielle?

606. Exemples qui ont admis la bonne foi motivée sur une erreur de droit, mais dans des circonstances particulières.

607. La bonne foi ne se présume pas si l'on a omis les mesures prescrites pour ne pas errer.

608. C'est par les circonstances que l'on doit juger.

609. La bonne foi se présume dans la seconde épouse d'un bigame. 610. Quid dans le cas de mort civile de l'un des époux ?

611. Quid du cas d'inceste ?

612. Des irrégularités de forme, par exemple, le défaut de publication, ne font pas présumer la mauvaise foi.

613. Lorsque le vice de l'union a été découvert par les époux, les enfants conçus depuis sont-ils légitimes?

614. Opinions contraires.

615. Solution pour la légitimité des enfants conçus avant le jugement sur la nullité.

616. L'époux de bonne foi est peu favorable à demander la nullité du mariage.

617. Conséquences de cette solution.

603. La bonne foi dont parlent les articles cités doit être fondée sur une erreur grave, qui ne soit ni affectée ni simulée, errore accerimo non affectato insimulato ve, suivant les expressions de la loi 4 C. de incestis et inutil. nuptiis.

On ne pourrait pas lui donner pour base l'ignorance d'un fait dont il eût été facile de se procurer la connaissance ou qu'il est presque impossible d'ignorer.

Le mineur étant, par la faiblesse de son âge, plus facile à tromper, sa bonne foi se présume aussi plus facilement que celle du majeur. D'ailleurs, la loi vient à son secours. (Même 1. 4. C.)

Pour apprécier la bonne foi des parties qui ont contracté un mariage nul, il faut se fixer sur la nature du vice reproché au contrat.

Est-ce un vice de forme?

Est-ce un vice de capacité?

604. S'il s'agit d'un vice de forme, la bonne foi est difficile à établir; et cependant si elle n'est pas prouvée clairement par les époux, leur mariage ne peut produire aucun effet civil.

Elle est difficile à établir. Car nous entendons parler ici non pas seulement de la bonne foi morale mais aussi de la bonne foi légale, c'est-à-dire d'une bonne foi trompée par l'ignorance d'un fait, non par l'ignorance de la loi. L'erreur de droit n'est pas une excuse. Error juris nulli prodest. L'exemple donné dans la loi 57 ff. de ritu nuptiarum, est dû à une circonstance particulière; c'est une décision de faveur rendue pour le cas unique dont s'occupe la loi, et pour les personnes que ce cas concernait. Il ne peut servir de règle même pour des cas semblables.

605. Si la nullité reprochée tenait à la solennité du contrat de mariage, à l'incompétence de l'officier public, et à l'omission de quelques formalités substantielles, il faudrait tâcher de s'en défendre en invoquant les règles de décision qui ont été indiquées dans le chapitre des actions en nullité. Car si la nullité était prononcée, il serait à craindre qu'elle n'entrainât la privation des effets civils du mariage, à moins que les époux ou l'un d'eux ne prouvassent que, par une erreur de fait très-excusable ou par suite de manœuvres et de dol qui auraient surpris leur confiance, ils avaient dû supposer que les solennités requises avaient été observées, et que le fonctionnaire ministre de l'acte était l'officier public compétent.

Tels sont les vrais principes de la matière.

606. On pourrait cependant citer quelques arrêts qui ont admis l'erreur de droit comme excuse et qui en ont fait résulter la preuve de la bonne foi des deux époux ou de l'un d'eux.

C'est ce qu'a jugé notamment un arrêt de la Cour de Paris, du 9 messidor an 13, affaire Piérier, C. Amathieu (1).

C'est ce qu'a décidé aussi un arrêt de la Cour de cassation, du 21 mai 1810, rendu dans la cause Pastoris, relativement à un mariage annulé pour cause de bigamie, qui avait été célébré par un aumônier de régiment, et qui n'avait pas été précédé des publications prescrites.

C'est encore ce qu'a jugé un arrêt de la Cour d'Aix du 8 février 1821, dans l'affaire Kinchaut, pour un mariage contracté dans un pays récemment soumis à la domination française, entre une étrangère et un Français, sans le consentement du père de celui-ci, quoique ce père se trouvât au lieu de la célébration, et dans la circonstance même où Cette célébration avait été faite secrètement.

Mais dans ces diverses affaires, en déclarant qu'il y avait

(1) S., 5. 2. 291.

eu bonne foi de la part de l'un des époux, les juges se déterminèrent par des circonstances particulières qui leur firent reconnaître cette bonne foi.

Ainsi, dans la cause Pastoris, la Cour considéra que les conciles n'avaient pas prononcé la nullité des mariages pour défaut de publications de bans, et qu'en Piémont les aumôniers des régiments avaient reçu de l'autorité compétente le droit d'administrer, en temps de guerre, les sacrements aux militaires.

Dans la cause Kinchaut, la bonne foi s'induisit de ce que, suivant les lois du pays où le mariage avait été contracté, le consentement des ascendants n'était plus exigé après l'âge de vingt-un ans, et de ce que la femme avait fait de grands sacrifices (1).

Ces exemples particuliers offrent des cas exceptionnels relatifs à des étrangères qui, épousant des Français, n'étaient pas tenues de connaître le droit français, et chez lesquelles l'erreur de droit n'altérait pas la bonne foi.

Mais ces cas exceptionnels ne détruisent pas la règle gé– nérale que nous avons posée sur l'insuffisance de l'erreur de droit pour faire produire les effets civils à un mariage nul pour omission des formalités substantielles et surtout de la solennité requise.

En appliquant cette règle, la Cour de Bourges a déclaré, par arrêt du 17 mars 1830, qu'un mariage, contracté seulement devant un prêtre depuis la loi du 20 août 1792, ne pouvait produire d'effets civils (2).

On pourrait aussi invoquer comme exemples la jurisprudence ancienne, suivant laquelle un mariage, qui n'avait pas été célébré en face de l'église comme cela était prescrit, ne pouvait produire d'effets civils, malgré la bonne foi de l'un ou de l'autre des époux. C'est ce que décida le grand Conseil

(1) Voir ces deux derniers arrêts, J. de Sirey, 10. 1. 324; Denevers, 8. 1. 317; Dalloz jeune, 22. 2. 122.

(2) S., 30. 2. 171.

de Malines, par un arrêt du 28 février 1711, que rapporte Merlin au mot Légitimité (Répertoire de jurisprudence, sect. 1, § 1er). Il refusa de déclarer légitime l'enfant né d'un mariage qui n'avait pas été célébré in fucie ecclesiæ.

Le même auteur rapporte au même endroit un arrêt du conseil de Brabant du 6 juillet 1782, confirmé par le grand Conseil de Malines le 6 septembre 1784, qui refusa aussi les effets civils à un mariage qu'avait contracté le prince de Tilly, général des armées du roi d'Espagne, avec Alexandrine de Bacy, et qui avait été célébré le 17 octobre 1702 par le chapelain ordinaire de l'armée dans l'oratoire du général, en présence de son valet de chambre, de son chirurgien, de la mère de l'épouse et d'une autre personne. Cette union avait été long-temps tenue secrète. Une sentence de la Congrégation des Cardinaux avait déclaré, en 1728, le mariage légitime. Mais les conseils de Brabant et de Malines considérèrent cette décision comme ne regardant que l'honneur et étant sans conséquence pour les biens; et ils refusèrent à la fille née de ce mariage les droits d'hérédité qu'elle réclamait. Le mariage fut déclaré nul, quant aux effets civils, pour ne pas avoir été célébré solennelle

ment.

607. C'est surtout aux solennités du mariage, à sa publicité et aux prescriptions de la loi sur l'âge des époux, sur le consentement des parents, sur la compétence de l'officier de l'État civil, ministre du mariage, que doit s'appliquer cette règle empruntée du droit romain et enseignée par quelques auteurs, suivant laquelle il faut, pour que l'erreur alléguée soit excusable, que celui qui l'invoque eût pris toutes les mesures indiquées par la loi pour ne pas être trompé (1).

S'il a négligé ces mesures, sa bonne foi ne se présume que difficilement à moins qu'il ne fût mineur; la faiblesse

(2) V. la loi 4, ff. de incestis et inutilib. nuptiis.

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