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règle. Bien plus!l'intérêt vrai ou supposé de l'état, les oblige quelquefois à paraître ingrats. Des considérations d'une si haute importance n'étaient pas de nature à pouvoir échapper à la pénétration des cours alliées.

Il en est une autre, plus prépondérante encore qui devait surtout fixer leur attention, et exercer une influence majeure sur leurs détermina¬ tions. C'est celle qui découle de la connaissance qu'elles avaient acquise, de l'esprit hardi, entreprenant et dominateur, non seulement du gouvernement, mais aussi du peuple français.

La France, après la restitution de ses conquêtes, comptait encore une population compacte, forte et vigoureuse, ardente et éclairée, vaillante, intrépide et même impétueuse, de plus de trente millions d'habitans; tous unis par le sentiment de leur prétendue supériorité sur toutes lęs autres nations de l'Univers; tous avides de gloire, de richesse et de domination; tous disposés à ne voir dans leurs revers que le mauvais rêve d'une maladie passagère, et à considérer au

contraire leurs précédens succès comme tout près de revivre à leurs premiers efforts; tous, ou presque tous, depuis longtemps accoutumés à ne voir dans la Belgique que leur apanage de droit, et dans le cours du Rhin, que le minimum de frontière que la nature même leur a posé dans cette direction!

Une semblable nation, plus elle se sentait humiliée pour le moment, plus elle menaçait de redevenir formidable dans un avenir peut-être assez prochain. Sous la conduite d'un prince ambitieux, vaillant, et même sous un chef moins entreprenant mais débordé par l'esprit public, le réveil de cette nation offrait tous les dangers d'un volcan, reprenant après quelque peu de repos ses explosions avec un redoublement de fureur.

La politique de l'Europe eut été en défaut, si des probabilités de cette nature fussent restées en dehors de ses prévisions; et la suite des événemens bien qu'ils ne soient encore que partiellement accomplis, ne prouve déjà que trop qu'il

Établissement du royaume des Pays-Bas.

faut beaucoup de sagesse et de valeur pour prévenir de nouvelles irruptions d'un peuple aussi redoutable.

Quelle était maintenant la digue qu'il fallait élever contre les dangers d'un semblable avenir? On crut en trouver une en interposant entre le centre de l'Europe d'une part, et la France de l'autre, un État du second ordre, inoffensif par sa position, ses intérêts, le caractère et les goûts de sa population; trop faible pour concevoir des vues ambitieuses, ou du moins pour inspirer des alarmes sérieuses, si, par impossible, son gouvernement déviait jamais de la ligne d'une sage modération ; mais assez puissant pour arrêter l'invasion de l'esprit de conquête, s'il venait à se ranimer des cendres mal éteintes qui le couvraient en France; et pour donner à l'Europe le temps, et tous les moyens de le combattre éventuellement.

Deux considérations, l'une fort honorable pour les Puissances alliées, l'autre d'un grand poids dans la balance de leurs combinaisons

politiques, concoururent sans doute puissamment à les décider dans cette occasion.

D'abord la Hollande avait supporté trop de sacrifices en leur faveur, et venait de leur rendre tout récemment de trop grands services, pour qu'il ne parût pas juste de lui tenir compte des uns et des autres. La chose était d'autant

plus facile que le moyen qui conduisait à ce but, tendait en même temps à consolider le système politique qu'on était décidé à introduire dans la réorganisation sociale de l'Europe.

Puis, il fallait régler le sort de la Belgique, ce qui présentait dans tout autre plan des difficultés que l'on considérait comme insurmontables, et entourées des plus grands dangers.

La possession des belles provinces dont ce pays se compose, ne tentait plus l'Autriche, qui connaissait l'esprit inquiet et mobile de leur population; et dont les forces sont trop éloignées de ces contrées pour que dans l'état actuel de l'Europe, elle pût s'y maintenir sans d'immenses sacrifices.

D'un autre côté il ne convenait pas non plus aux grandes Puissances de réunir la Belgique à la Prusse, ni au cabinet de Berlin d'en obtenir la possession. Sous le premier point de vue, beaucoup d'ambitions et surtout celle de la France pouvaient y trouver des motifs d'alarmes plus ou moins fondés. Sous le second, le simple bon sens suffit pour voir que la Prusse, dont le territoire est déjà étendu hors de toute proportion avec sa consistance, devait perdre au lieu de gagner si on allongeait encore son corps effilé, et si l'on mettait ses frontières les plus vulnérables en contact immédiat avec la France.

On pouvait à la vérité ériger la Belgique en État indépendant; mais, dans l'opinion qui à cette époque était dominante dans tous les cabinets, c'eut été la rejeter infailliblement un peu plus tôt ou un peu plus tard dans les bras de la France. La Belgique ouverte de toutes parts, ne pouvait opposer que des moyens de défense évidemment insuffisans contre les projets éventuels de son puissant voisin. La France était à même de la conquérir, avant qu'il ne fût possible de la

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