Page images
PDF
EPUB

législateur. Les gouvernements ne favorisent aucune lutte insensée entre le monopole de quelques-uns et les intérêts négligés de la majorité des citoyens. On permet au consommateur l'entrée des marchés où les produits se trouvent au plus bas prix, au producteur l'entrée de ceux où ils se vendent le plus cher. L'examen attentif de l'état actuel de l'industrie suisse, pourrait bien exercer quelque influence sur l'esprit de ceux qui ne haïssent pas irrévocablement le principe de la liberté du

commerce.

» On pourrait présumer que le système prohibitif dont les autres contrées entourent leurs frontières, aurait inquiété peut être les fabricants suisses, les aurait engagés à conclure, avec les autres pays, des traités de commerce et à admettre ces lois qu'on appelle à tort protectrices; mais l'expérience a prouvé le contraire. L'opinion publique, en Suisse, ne s'est point prononcée dans ce sens. »>

Les fabricants eux-mêmes ne demandent reilles lois.

pas de pa

« La diète suisse, ajoute le docteur Bowring, essaya d'introduire, en 1820, un système protecteur. Il ne dura que quelques mois : les obstacles à la liberté du commerce furent peu à peu surmontés par la conscience du bien de tous et par la simple force de l'opinion publique. Il n'est aucun point sur lequel on remarque un accord aussi grand que sur celui des bienfaits qu'a produits en Suisse la liberté du commerce. »

La plupart des cantons, à la suite de la révolution de Juillet, modifièrent leurs principes politiques et refirent leurs constitutions. La liberté du commerce fut seule partout respectée; aucune innovation ne fut faite à son égard. L'immense majorité des classes industrielles

et ouvrières ne réclama sur ce point aucun changement. Lorsqu'on renversait tant d'autres lois, la liberté du commerce, si elle avait été peu vivace, n'aurait-elle pas été bien vite déracinée et abattue par l'orage des révolutions cantonales? Ces révolutions ne l'auraient-elles pas au moins bien ébranlée? Aurait-elle pu ensuite résister aux attaques du système prussien ? Les préjugés voisins n'auraient-ils pas bientôt pénétré en Suisse et organisé, sur les frontières de la Confédération, les maux des douanes et de la contrebande?

des

pays

Récemment encore, on a pu se convaincre que l'opinion n'avait pas changé, qu'on appréciait les bienfaits de la liberté du commerce, et qu'on était loin de vouloir y renoncer. Un certain nombre de personnes dont je ne suspecte ni les intentions ni le patriotisme, prétendent, il est vrai, que la Suisse ne pourra pas persévérer longtemps dans la marche qu'elle a suivie jusqu'ici et qu'elle se verra forcée peu à peu d'user de représailles contre ce blocus de douanes dont on entoure ses frontières. Cette opinion s'est même fait jour et s'est nettement dessinée dans les séances de la diète fédérale de 1839; on a émis, avec chaleur et sincérité, les arguments qui semblent militer en sa faveur ; ils n'ont pas ea beaucoup d'écho dans les populations. La diète ellemême, à une forte majorité, a soutenu les véritables principes; et pourtant, parmi les cantons qui forment cette majorité, se trouvent une foule de différences sous le rapport du sol et des besoins qui en résultent,

du langage, des souvenirs nationaux, des occupations

agricoles ou industrielles, des tendances religieuses ou politiques. Dans une position pareille, la question n'estelle pas envisagée sous toutes ses faces, scrutée par tous les intérêts divers? Peut-on considérer la solution donnée

au problème comme une de ces décisions légères dont on se départit du jour au lendemain ? Ou bien est-ce par le simple effet du hasard, que les pâtres des Hautes-Alpes et les industriels des Rhodes extérieures se trouvent du même avis que les commerçants de Bâle, de Genève et de Zurich?

Le docteur Bowring va jusqu'à dire & qu'aucun pays n'a fait, dans le bien-être, des progrès aussi étonnants, qu'à sa connaissance au moins, il n'en existe aucun où ce bien-être soit si général et ait pénétré si avant dans les classes ouvrières, que dans les cantons industriels de la Suisse. Il était étonné de voir combien d'hommes, au moyen de leurs épargnes, avaient acquis des biensfonds, et, par leur seul travail, étaient devenus propriétaires de maisons entourées de champs et de jardins. Dans les montagnes du Jura comme dans l'Appenzell, le long des lacs de Zurich et de Constance, partout l'ouvrier avait son troupeau, et, dans son habitation, une foule de commodités dont les classes ouvrières d'autres pays n'offrent que de rares exemples. La manière de vivre était, du reste, très-favorable; elle était partagée entre les fabriques et la culture des terres; aucun espace de temps n'était perdu; les travaux agricoles terminés, on se livrait à des occupations industrielles. »

Un grand nombre d'industriels suisses se trouvent, par cette double position, plus ou moins à l'abri des malheurs que, dans d'autres pays, l'invention des machines a causés à plusieurs classes ouvrières. Otez à beaucoup de gens, dans les villes, la branche spéciale à laquelle ils se sont voués dès leur enfance, et vous verrez se reproduire ces exemples de désastres, malheureusement trop communs, qui occasionnent tant de souffrances industrielles, tant de troubles politiques.

La théorie elle-même ne saurait remédier à ces maux partiels et temporaires. On sait que le logique Ricardo ne s'en préoccupait point, tandis qu'un autre éminent économiste, M. de Sismondi, leur accorde peut-être une trop grande importance. Nous ne voulons point nier les avantages de la division du travail; son efficacité la rend nécessaire, indispensable; seulement, nous croyons qu'il n'est pas toujours prudent de la développer outre mesure, et, comme on l'a fait plus d'une fois, de changer un bras d'homme en une espèce de manivelle vivante. Ces populations suisses, tour à tour industrielles et agricoles, ne sont pas, sans doute, fidèles à toutes les conséquences de la division du travail; mais, au moins, quand l'invention d'une nouvelle machine leur enlève leur branche d'industrie, elles ne se trouvent pas privées de toute ressource; elles peuvent, bien plus vite qu'ailleurs, surmonter, par leur perséverance, des obstacles toujours fâcheux; le cercle d'activité qui leur est ouvert étant beaucoup plus large, elles échappent plus facilement à la douloureuse et sinistre influence de crises inattendues.

Nous pourrions nous étendre beaucoup sur ce point et prouver, à d'autres égards, combien cette position disséminée des industriels suisses leur procure d'avanlages sur les industriels réunis en grand nombre dans de populeuses cités. Tout en laissant de côté le point de vue des vertus morales et domestiques, qui est, du reste, d'une importance majeure, sous le point de vue sanitaire, par exemple, combien cette position n'est-elle pas favorable! Sur ces hautes montagnes couvertes de frimas, au milieu de ces vallées profondes et retirées, la demeure solitaire de l'industriel suisse ne renfermepas une population mâle, forte et vigoureuse?

telle

[ocr errors][merged small]

Au sein de cette atmosphère sereine et pure des Alpes et du Jura, apercevez-vous cette dégradation physique, cet affaiblissement corporel qui ont fait naître tant de plaintes dans les pays de fabriques? Vos regards tomberont-ils sur des races pauvres et allanguies, étiolées comme des plantes qui n'ont jamais vu le soleil ?

Il est douteux qu'on pût constater de tels résultats, si la liberté du commerce n'existait pas en Suisse, si la masse des industriels se trouvait entassée dans quelques villes, si des lois nuisibles dérangeaient la marche naturelle des capitaux, et si, par une intervention téméraire et toujours funeste, les gouvernements se chargeaient d'imprimer à l'industrie une direction qu'elle n'aurait point prise sans eux.

Pour faire mieux comprendre que c'est à la liberté du commerce que la Suisse doit ces avantages, nous citerons encore quelques lignes de l'ouvrage de Bowring.

« On ne peut nier que la Suisse n'ait à combattre une foule d'obstacles. La nature montueuse du sol est une des circonstances qui entravent le plus son commerce. Le Tessin communique avec les autres cantons par trois routes; deux d'entre elles sont impraticables depuis le mois de novembre jusqu'au mois de mars. Les Grisons font plus facilement le commerce avec les nations étrangères qu'avec les autres cantons suisses. Le prix des transports est proportionnellement beaucoup plus élevé qu'en France, en Allemagne et en Italie; en outre, plusieurs contrées industrielles de la Suisse doivent importer de très-loin leurs différents articles de consommation. Quelques-unes des fabriques les plus accréditées se trouvent sur des montagnes, dans des bourgs, des hameaux ou des villes, à deux ou trois mille pieds audessus de la surface de la mer. A la vérité, les grandes

« PreviousContinue »