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On l'a accusé d'avoir ressuscité la vénalité des offices abolis en 1789, d'être une cause constante d'exactions, de rendre plus considérables les frais, puisqu'ils doivent produire aux officiers publics, outre la légitime rétribution de leur travail, les intérêts du capital qu'ils ont déboursé pour acquérir leurs charges.

L'on a dit aussi que le législateur s'est à dessein servi d'expressions ambiguës et susceptibles d'être diversement interprétées.

Sans doute, et je l'ai déclaré ailleurs, les places et les emplois publics sont choses hors du commerce. Ce n'est point à prix d'argent qu'ils peuvent légitimement s’obtenir; ce n'est point dans l'intérêt personnel des titulaires qu'ils leur sont confiés. Le mérite seul y donne droit, le bien public est la seule raison de préférence. Mais de tout temps on a distingué entre les charges publiques proprement dites et les fonctions d'officiers ministériels. Pour les premières, la transmission à prix d'argent est intolérable; pour les secondes, un peu moins de sévérité est permise; ceux qui en sont revêtus sont plutôt les auxiliaires que les dépositaires de la puissance publique; ils ne participent qu'indirectement à son exercice; ils sont les mandataires, les agents, les officiers des citoyens qui réclament leur intervention; leur clientèle et leurs bénéfices augmentent en raison de l'activité, de l'intelligence, de la moralité dont ils font preuve; une partie de ces avantages passe à ceux qui leur succèdent, pourquoi ceux-ci n'en payeraient-ils pas le prix ? Partout où l'on voit le produit d'un travail, il est naturel de reconnaître le droit de propriété, ou du moins quelques-uns de ses attributs.

Si le nombre des offices était illimité; s'il était perit à chaque citoyen, en justifiant de sa moralité, de

sa capacité et de sa solvabilité, d'obtenir le titre d'officier public, je n'hésiterais pas à dire que la transmission des charges doit être entièrement libre, et que la surveillance de l'autorité sur les traités est inutile. La concurrence serait une puissante garantie contre les conséquences qui pourraient naître de l'exagération des prix.

Mais avec l'organisation actuelle, lorsque le nombre des membres de chaque compagnie est fixé et ne peut s'accroître librement, les obligations auxquelles se soumettent les nouveaux titulaires envers leurs prédécesseurs doivent dans l'intérêt public être soumises à un contrôle. Le droit de propriété cède ici à des considérations pressantes et élevées. Je ne suis pas de ceux que l'établissement d'un tarif rassure. Mieux vaut, n'en dé plaise à la doctrine que les publicistes modernes ont tant préconisée; mieux vaut prévenir que punir.

Tel est, si l'on va au fond des choses, le système de la loi de 1816. Elle concède le droit de vendre les charges mais elle ne le donne pas sans réserves; elle veut que les prix et les conditions de la vente soient soumis à l'ap préciation de l'autorité souveraine. Sans doute ce n'es pas dit expressément, en termes simples et clairs; mais c'est évidemment le sens de la disposition.

Elle autorise les officiers, dont elle fait la nomenclature, à présenter à l'agrément de sa majesté des succes

seurs.

Il suit de là que le roi ou son ministre n'est point oblig d'accepter le candidat qu'on lui propose, qu'il n'est pa même tenu d'expliquer les motifs de son refus;

Qu'il est armé d'un pouvoir discrétionnaire sans bor nes; qu'il peut se déterminer par toutes sortes de consi dérations; apprécier dans sa sagesse la moralité du réci

piendaire; juger son aptitude aux fonctions qu'il veut exercer; s'enquérir de ses antécédents; peser les conditions du traité; calculer si le prix est en proportion avec les produits; combiner ces différents éléments; puiser dans l'un un motif d'admission; trouver dans l'autre une cause de refus; et prononcer enfin la décision, devant laquelle il faut, quelle qu'elle soit, s'humilier.

Tous les ministres qui se sont succédé ont considéré comme devant être l'objet de leur attention spéciale les charges qu'assument les candidats qu'on leur présente. Dès 1817, le garde des sceaux écrivait une circulaire pour prévenir les abus qui naissent de l'exagération des prix; et si les bases d'appréciation qu'il indiquait alors oat depuis paru trop étroites, si les règles qu'il traçait ont été trouvées trop sévères, du moins le pouvoir de les imposer n'a jamais été ni contesté, ni abandonné.

Ces vues sur le caractère des droits reconnus par la loi de 1816, ces explications sur l'intervention de l'autorité dans les actes qui opèrent la transmission des charges, font pressentir la solution de la première queson que je me suis proposé d'examiner.

Il en résulte en effet, 1° Que l'ordre public est inléressé à ce que le prix des charges ne dépasse point tertaines limites; 2° Que l'autorité ministérielle a la mission légale de vérifier, dans chaque traité, si ces linites ne sont pas franchics; 3° Qu'enfin l'ordonnance de nomination contient défense implicite aux parties d'élever le prix au delà de la somme qu'indique le contrat qu'elles ont soumis au ministre, à l'appui de la candidature de l'une d'elles.

Donc il est évident que si, au mépris de cette prohition, elles changent le chiffre de leurs engagements, rette modification est frappée de nullité.

De nombreux arrêts sont rendus en ce sens.

Mais la Cour de Toulouse vient d'adopter l'opinion opposée, dont quelques jurisconsultes se déclarent aussi les partisans.

Les motifs de l'arrêt sont habilement déduits.
Voici comment s'exprime la Cour :

"Attendu que lorsque, cédant aux nécessités de sa position financière, le gouvernement imposa aux officiers ministériels une augmentation dans le chiffre de leur cautionnement, il leur accorda par l'article 91 de la loi du 28 avril 1816, le droit de présenter leur successeur à l'agrément de sa majesté ; que cette faculté leur a assuré la propriété des charges qui se transmet par hérédité; mais que la cession de cette propriété d'un genre particulier, ne peut être faite que sous l'approbation de l'autorité; qu'il faut donc concilier le droit acquis à l'officier ministériel au prix d'un sacrifice avec la prérogative royale, dont on méconnaîtrait l'étendue et les obligations si, par un abus du texte précité, on entendait que l'investiture est toujours due à celui qui réunit les qualités exigées par les lois; que ces nominations peuvent avoir sur la fortune et l'honneur des particuliers une influence qui impose à l'administration l'obligation de l'environner des plus puissantes garanties; que, de là, résulte pour elle le devoir de s'occuper, non-seulement de la moralité du candidat, mais encore de tout ce qui se rattache aux conditions sous lesquelles il doi entrer dans les fonctions délicates qu'il sollicite; qu'ains nul doute ne peut s'élever sur son droit de s'ingérer dans l'examen du traité, de prendre toutes les précautions de se livrer à toutes les recherches qui peuvent lui faire acquérir la connaissance des conventions qui lient en réalité les parties.

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On ne peut pas mieux dire; l'esprit de la loi est bien saisi; le pouvoir et les droits de l'administration sont exactement déterminés.

La Cour continue : « Mais autre chose est le devoir de l'administration, et le devoir des tribunaux. Pour eux le premier devoir de tous est de se conformer à la loi; l'article 91 de celle du 28 avril, muette dans son texte même sur le droit de vendre les charges, n'a pu faire une distinction entre les conventions relatives aux prix, qui sont soumises à l'autorité, et celles qui ne sont connues que des parties; que cet article a promis, il est vrai, une législation destinée à régler le mode de transmission des offices: que si les magistrats peuvent appeler de leur vœux cette loi qui mette un terme aux abus dont la notoriété a frappé le législateur lui-même, sans qu'il ait appliqué le remède au mal qui lui a été signalé, ils sont, tant qu'elle n'est point intervenue, dans l'obligation de maintenir des actes qui ne contreviennent à aucune prohibition législative.

⚫ Qu'en vain assimilant le droit de présentation à la vénalité des charges sous l'ancienne monarchie, on a voulu puiser dans la loi antérieure à 1789 l'existence du droit que l'analogie de situation devait faire appliquer à la cause; que les édits qui ont été invoqués avaient, il est vrai, déterminé le prix des charges, mais seulement dans le but de faire connaître la finance que le roi devait rembourser aux possesseurs d'offices qui tombaient aux parties casuelles; que l'autorité n'en demeurait pas moins étrangère à tout ce qui était relatif a leur cession, dont les conditions étaient débattues entre les contractants; qu'elle n'intervenait pas davantage sous la loi du 25 ventôse an xi, dans les traités que les parties étaient autorisées à faire de gré à gré, pour la

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