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le travail, chacun dans un de ces cachots. La ceinture de fer qu'ils portaient autour du corps, soutenue à la hauteur des aisselles, était rattachée au mur au moyer de la longue chaîne. Deux lourds anneaux liés l'un: l'autre par une barre de fer leur prenaient les poignet qu'ils tenaient écartés. Ils gardaient aux pieds les en traves qu'ils ne devaient plus quitter. Et c'est privé ainsi de l'usage de tous leurs membres, qu'ils étaien laissés seuls pour la nuit auprès du misérable grabat su lequel ils avaient à peine la faculté de se reposer. Voci féraient-ils; un bâillon de fer creux, en forme de poit (Mundbirn), percé de petits trous et rempli de poivri leur était introduit dans la bouche, et faisait de chacut de leurs aspirations un supplice horrible.

Il y a au Spielberg deux individus qui ont subi la pr son très-dure, l'un pendant 18 ans, l'autre penda 20 ans. Le premier jouit d'une santé robuste ; l'autre e perclus de tous ses membres.

Aujourd'hui la peine est la même pour tous, saufe durée, qui varie suivant les condamnations : c'est cel de la prison dure.

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<< Subir la prison dure, a dit Silvio Pellico, c'est êt obligé au travail, porter la chaîne aux pieds, dorm » sur des planches nues et manger la plus pauvre nou » riture imaginable. » Ajoutez, avec la loi autrichient (art. 13): « C'est ne communiquer qu'avec les personn qui ont des relations immédiates avec le condami » pour sa garde.

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Les choses se sont améliorées depuis la sortie d chantre de Francesca, grâce à lui peut-être. On vienti voir que le carcere durissimo a été aboli, et c'est là ul amélioration immense. Le régime lui-même a été adoue Le gouvernement ne refuse plus un peu de paille

condamné pour son lit. Il a ajouté une demi-livre à son pain de chaque jour, et il permet qu'il lui soit donné un peu de viande le dimanche et quelques farineux dans la semaine.

Quant à nous, nous n'en doutons point, c'est à l'inAuence des prisons de Pellico, c'est au retentissement de cette plainte si pure et si énergique dans sa modération. que les prisonniers du Spielberg sont redevables de cet allégement, Pourquoi faut-il que ces mesures d'humaTaté n'aient pas été étendues à tous les établissements de la monarchie ! Nous avons vu dans la plupart des grandes prisons de l'Autriche les prisonniers mourir de consomption, faute d'une nourriture suffisante. Nous avons élevé la voix en leur faveur; ce sera un jour heureux pour nous que celui où nous apprendrons qu'elle a été Entendue.

Les prisonniers du Spielberg se lèvent à 4 heures et demie du matin en été, et à 6 heures en hiver. Ils revêtent uniforme bigarré de gris et de brun que Silvio a dént. Ils se peignent et se lavent. Deux d'entre eux récitent la prière en allemand et en bohémien. La visite des lers vient après; elle est suivie du transport des baquets du balayage des dortoirs

Ces soins divers n'ont pas pris plus d'une demi-heure. Chaque division se rend, sous la conduite de ses chefs salle et de ses gardiens, à l'atelier. Là, le détenu est fouillé, comme il le sera au moment de la sortie. Il reçoit Ensuite un pain d'une livre et demie d'Autriche (84 dégrammes) pour sa journée.

Le diner est le seul repas du jour. Il a lieu à 10 heures demie du matin, et se compose de deux Seidel (écuelees) de soupe, et de deux Seidel de légumes. llest suivi d'une heure de repos dans les cours.

Puis revient le travail qui, avec les soins ordinaire de surveillance et de propreté, et avec la prière, termin la journée.

Le travail est aujourd'hui le grand agent de morali sation dans les prisons. Au Spielberg, aucun détenu sauf quelques condamnés politiques peut-être, n'en es dispensé. La direction mesure à chacun sa tâche selo. ses forces, et il est obligé de la remplir sous peine d punition. S'il fait plus, une partie de l'excédant lui ap partient.

La nourriture est à l'entreprise; les travaux ne le sor pas. Peut-être avons-nous poussé trop loin en France ( système des entreprises qui déplace l'autorité, subot donne les questions de moralité et de discipline aux que tions d'argent, et fait d'une prison une manufactur En Allemagne, les hommes de pratique redoutent beat coup cette innovation dont la régence de la Basse-At triche est jusqu'à présent la seule à donner l'exemple.

L'emploi du dimanche est une des difficultés de l'ac ministration des prisons. Elle n'a été résolue, au Spiel berg, ni mieux ni moins bien qu'ailleurs. Ce jour-l point de travail, mais aussi point de récréation dar les cours. Les détenus sont conduits le matin à la cha pelle où deux messes leur sont dites dans les deux langut nationales. Ils y retournent le soir pour le catéchism et le salut. Le reste de la journée est donné au désœu vrement dans les dortoirs. Quelques-uns sollicitent de aumôniers la permission d'avoir des livres, et passent temps à lire. Ceux qui appartiennent à l'une des com munions chrétiennes dissidentes et les juifs ont la facult de faire appeler un ministre de leur culte, et de l'entre tenir en langue allemande en présence d'un gardien.

La surveillance est ce qui distingue les prisons autri

chiennes. Au Spielberg et à la prison provinciale de Brünn, comme à Lintz, à Vienne et à Prague, nous l'avons trouvée exacte, sévère et de tous les moments. Elle s'exerce à l'aide de nombreux gardiens civils et militaires, et de détenus auxquels l'administration accorde de légères immunités, et qu'elle distingue par les noms de pères et de mères de salle. La nuit des sentinelles sont distribuées dans les corridors, des patrouilles se répandent dans les cours; les directeurs, accompagnés de soldats, visitent les cachots et les fers: on dirait autant de places de guerre à la veille d'un assaut. Hélas ! l'enHemi le plus à craindre dans une prison n'est pas celui que le bruit des armes repousse ; c'est la corruption rériproque des détenus; elle a pénétré dans les maisons de force allemandes; elle menace de s'y étendre par les moyens mêmes qui sont pris pour la prévenir.

Nous avons regretté au Spielberg l'absence d'une école. On y compte cependant plus de 20 jeunes gens au-desus de vingt ans.

Une autre lacune nous a frappés. Les femmes habitent n quartier séparé. Mais à part les mères de salle qui, comme nous l'avons dit, sont choisies parmi les prison ères, elles n'ont point de personnes de leur sexe pour les garder. Ce sont des hommes qui procèdent à la visite de leurs fers soir et matin; ce sont des hommes qui les fouillent à l'entrée et à la sortie des ateliers; ce sont des hommes qui les surveillent dans les ouvroirs et dans les cours. Quelque sévère que soit la discipline autrichienne, dest impossible qu'elle prévienne tous les désordres qu'un semblable état de choses amène nécessairement après lui.

Voilà le Spielberg de Pellico. Supposez qu'il ne s'est Jamais ouvert que pour des voleurs et des assassins, ce

sera une prison comparable, pour le régime, à toutes no maisons centrales de détention. En Autriche, par suit des améliorations qui y ont été introduites depuis quel ques années, nous n'en avons point trouvé de moins ri goureuses. La preuve en est frappante. A la prison d Lintz, la mortalité en 1837 a été de 1 sur 10; à Vienne la même année, de 1 sur 18; à Brünn, dans la priso provinciale, de 1 sur 5; à Prague, la moyenne annuell de dix ans a été de 1 sur 8; au Spielberg, la mortalit ordinaire n'est que de 1 sur 24.

Mais dans cette prison destinée à des malfaiteurs pri dans la lie de la société, renfermez des hommes élevé dans toutes les douceurs de la vie, dans la culture de lettres, des arts, de tout ce qui élève l'âme, et cett même peine qui vous paraissait supportable tout à l'heur vous semblera affreuse.

Habiter le séjour du crime, en revêtir la livrée, sup porter même des privations qui vont jusqu'à comprt mettre la vie, sont des douleurs au-dessus desquelles u esprit élevé et fort de la pureté de ses motifs se place ai sément. Mais dire un éternel adieu au monde extérieur être mort pour lui comme il l'est pour vous, et dans c monde d'angoisses où l'on vit, ne pouvoir converser li brement avec un ami, ni confier à âme vivante la pensé qui vous opprime; subir dans toute sa lourdeur ce jou de plomb qui pèse sur les intelligences; c'est là un sup plice sans nom que l'activité de l'esprit ne fait qu'ag graver, et contre lequel toute force morale, si elle n vient d'en haut, est bientôt impuissante.

Lisez avec attention les mémoires de Silvio : quell est la cause de sa poignante douleur ? Sa prison est-ell malsaine, ou étroite, ou obscure? Non; et quand son esprit est calme, et qu'il se dresse sur la planche qui lui

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