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sert de lit, elle a pour lui de riants aspects, et comme des bruits de fête. Ses gardiens ne sont ni rudes ni insensibles. « A vrai dire, écrit-il, si la peine était sévère, et bien propre à irriter, nous avions le rare bonheur de ne voir autour de nous que de braves gens (Ch. 64). Tous ceux qui m'entouraient, dit-il ailleurs (84), étaient bons. Et ces petits enfants qui venaient à lui sur la terrasse du midi, ne lui paraissaientils pas beaux et doux comme des anges? Et cette jeune mère, dont la vie s'exhalait avec des paroles si mélancoliques et si tendres, ne lui rappelait-elle pas par sa douceur et sa timidité la personne qu'il avait le plus aimée ? -La nourriture était chétive et misérable; mais quoiqu'il ait souffert pendant un an, comme il le dit, du lourment de la faim, c'est moins sur lui qu'il s'apitoyait que sur le sort de ses compagnons plus robustes auxquels une nourriture plus abondante était nécessaire.

Ainsi la cause de sa douleur était en lui, plus que dans ce qui l'entourait, morale plus que physique. Elle elait dans les regrets de la famille, dans les douleurs de amitié, dans les irritations d'un cœur ulcéré par une attente vaine. Tout cet ébranlement achevant d'user une constitution maladive, il n'était resté à cette âme désolée qu'un accent, et cet accent, comme celui du

La chant de douleur qui ravissait.

cygne, était

Remercions le poëte de Rimini des douces larmes qu'il nous a fait verser; mais n'accusons pas de barbarie un gouvernement placé dans la nécessité de se défendre, et qui, pouvant appliquer dans toute sa rigueur la peine de la loi, l'atténua jusqu'à la fin.

Je ne terminerai pas ce qui se rattache au souvenir de Pellico, sans donner des nouvelles des personnes à qui

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Ces deux enfants qu'une mère mourante recommandait à son pieux souvenir, sont aujourd'hui officiers dans l'armée autrichienne.

Leur père, M. Szmertszek, est économe à l'hospice général de Brünn. Nous nous sommes longtemps entretenus avec lui; il conserve un constant intérêt aux hommes honorables qui furent ses prisonniers.

Le sous-directeur, qui accompagnait le chef de la police, quand ce dernier annonça aux trois prisonniers leur grâce, Wergratt, a été appelé à Vienne.

Quant à Krall, qui lisait Klopstock, Wieland, Gœthe, Schiller, et, ce qui valait mieux, qui se montra si bon pour les prisonniers italiens, il a quitté depuis longtemps le service de la prison; il est retourné dans son village de Bohême, où il a retrouvé sa constante Hanna, et en est devenu l'heureux époux.

J'ai regret de continuer ces pages dont l'intérêt de sentiments cesse ici. Mais après avoir parlé de la partie du Spielberg que Silvio a connue, que son livre rendra à jamais célèbre, peut-être ma tâche serait-elle incomplétement remplie, si je n'en faisais connaître l'autre partie, généralement ignorée en France, et dont les vagues descriptions répandues en Allemagne expliquent la terreur que ce nom y inspire.

Sous ces cachots que Maroncelli habita, sont d'autres cachots, véritables sépulcres où le jour ne pénètre que par de longs soupiraux garnis de fer; et puis, sous ces derniers, d'autres cachots encore, monuments des mœurs d'un autre âge, et dans lesquels le nôtre peut puiser des encouragements et des leçons.

Quand on a traversé le quartier des femmes dont nous avons parlé, et qu'on est descendu vers les bas of fices de la maison, en laissant les cachots disciplinaires

à droite, si l'on suit le fossé que l'on a devant soi, on arrive bientôt à l'entrée d'un noir souterrain. On descend, et l'on se trouve dans une galerie où l'on ne peut se diriger qu'à la lueur des flambeaux. A droite et à gauche sont des caveaux voûtés, fermés de trois portes; la première, qui sert de clôture à une espèce d'avant-cachot pour le surveillant; la seconde, de précaution entre ce dernier et ses prisonniers; enfin une troisième, de quatre pouces d'épaisseur, s'ouvrant dans l'intérieur du cachot, cette dernière percée d'un guichet et d'une sorte de chatière par où la lumière d'une lampe pénètre au besoin dans la prison. L'intérieur est pourvu d'un poêle, J'un lit de camp et planchéié.

Ce sont là les cachots de l'empereur François. Ils sont au nombre de neuf, de grandeur inégale, et pouvant contenir chacun de 15 à 50 prisonniers; en tout 200. Jusqu'à ces dernières années on y a enfermé les voleurs de grand chemin et les assassins. Mais depuis quatre ou cinq ans, on ne les emploie qu'accidentellement, à titre de punition extraordinaire et pour peu de temps.

Qui ne croirait que ces tanières si humides, si malsaines, avaient au moins pour avantage de garder fidèlenent leur proie?

Lasciate ogni speranza, voi ch' entrate.

Il n'en était point ainsi. Le prisonnier y était à peine entré, qu'au retentissement des portes, à celui des dalles, quand il avait soulevé le plancher mobile qui le séparait du sol, il jugeait que cette terre qui l'enterrait vivant, cachait encore dans ses entrailles des moyens d'évasion. A la faveur de l'obscurité profonde qui l'entourait, et se Servant de ses fers comme d'instruments, il ébranlait bientôt la voûte sur laquelle son cachot était construit. Il travaillait patiemment, à petit bruit et peu à peu,

parce que le temps était à lui. Craignait-il d'être surpris; il laissait retomber le plancher qui cachait dès lors à tous les yeux son œuvre commencée. L'orage passé, il reprenait sa tâche pour ne la plus abandonner qu'il ne se fût ménagé une entrée facile dans le souterrain inférieur. Alors, il était libre; libre dans une prison à triple enceinte et remplie de gardiens et de soldats; mais enfin, les circonstances aidant, il ne jugeait pas impossible d'échapper à toute surveillance. Sur 30 ou 40 évasions ainsi tentées, 3 avaient réussi; il est vrai que l'un des trois évadés avait été repris avant d'être au bas de la montagne 1.

Mais voici d'autres cachots qui, comme la mort, ne låcheront pas leur victime.

Vous connaissez ces cages de fer dans lesquelles étaient enfermés au moyen âge les criminels de lèse-majesté. Nos histoires de France les mentionnent plusieurs fois, depuis l'évêque de Verdun qui les devisa le premier, au dire de Comines, et y fut mis incontinent, jusqu'à Anne Dubourg, condamné au feu, pour crime de religion, et qui fut enfermé à la Bastille, dans la cage d'Harancourt, en 1559. C'était, disait Brantôme, un moyen de gentille industrie de séquestrer un homme d'une manière plus complète, et de le dérober aux yeux en l'en

terrant tout vivant.

Eh bien! ces cages, « anneau intermédiaire entre la maison et la tombe,» selon l'expression d'un poëte, nous

1 Le conventionnel français Drouet ne fut pas plus heureux à l'époque de sa captivité dans cette forteresse; il avait fabriqué avec les rideaux de son lit une espèce de parachute pour se sauver mais il se cassa le pied en tombant, fut repris et remis dans la même prison, d'où il ne sortit que deux ans plus tard, échange contre la fille de l'auguste et malheureux Louis XVI.

les avons retrouvées, au Spielberg, à soixante pieds sous

terre.

La galerie de François Ier conduit par une pente rapide à d'autres galeries inférieures qui vont s'enfonçant dans une sorte de labyrinthe sans fin. Là, dans ces dernières galeries, se trouvaient les cachots auxquels la tradition a conservé le nom de Marie-Thérèse, peut-être parce que l'illustre impératrice fut la dernière à en permettre l'usage. Ils étaient au nombre de 34. Un seul est resté pour en conserver le souvenir. C'est une étroite loge en bois, formée de grosses solives liées entre elles par des attaches de fer, avec une très-petite ouverture à hauteur d'appui pour l'introduction des aliments, et une plus grande au-dessous pour l'introduction du prisonnier. Là, point d'air que celui qui arrive imprégné de l'humidité de la terre et des murs, par l'ouverture habituellement fermée du souterrain, à travers un espace de deux cents pas. Point de jour : le prisonnier ne se voyait pas lui-même. Trois fois par semaine, ses gardiens, munis de lanternes, lui apportaient l'eau et le pain qui devaient suffire à sa subsistance; après quoi tout rentrait dans la nuit. Dans cet espace de six pieds carrés, l'infortuné n'était pas même libre. Une lourde chaîne pressait ses pieds, et allait se rattacher, à travers sa cage, un anneau que nous avons vu encore scellé dans le mur opposé.

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Le souvenir du baron de Trenck nous est revenu en visitant ces lieux de désolation, aujourd'hui de silence. Suivant une tradition très-accréditée, le vaillant pandour, désespérant de s'échapper du Spielberg, comme il avait fait des autres prisons où il avait été enfermé, aurait mis fin à ses jours par le poison. Qu'avait-il besoin, le malheureux, de porter sur lui-même une main ho

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