Page images
PDF
EPUB

du 3 avril 1814). La réprobation éclatante dont ils sont frappés par le pouvoir même auquel il appartenait constitutionnellement de les annuler, ne saurait permettre de les considérer désormais comme lois existantes; et ceux-là du moins n'ont pu être confirmés à ce titre par l'article 68 de la Charte.

Cela posé, venons à la question spéciale qui doit faire l'objet de notre examen, et abordons les deux décrets du 6 août 1809 et 26 août 1811 1.

Le décret du 6 août 1809, dont le caractère est entièrement pénal, a eu pour objet d'atteindre :

1o Les Français qui, depuis le 1er septembre 1804, auraient porté ou porteraient les armes contre l'empereur, et à ce titre ceux qui, d'après les dispositions du même décret, seraient considérés comme les ayant effectivement portées ;

2o Ceux qui étant au service militaire d'une puissance étrangère ou revêtus par elle de fonctions publiques, ne rentreraient pas en France lorsque la guerre viendrait à éclater entre cette puissance et la France;

3o Ceux qui, rappelés de l'étranger, n'obéiraient pas au décret de rappel. Observons du reste qu'une partie des personnes comprises dans les deux dernières catégories se trouvent, d'après les termes du décret, rentrer dans la première (V. art. 1 et 2, 19, 26).

Voici maintenant les dispositions principales du

décret :

Il déclare justiciables des cours spéciales les Français qui, depuis l'époque déterminée, auraient porté ou porteraient les armes contre l'empereur; il autorise

1 V. lesdits décrets, IV, B. 232, n° 4296, et IV, B. 387, n° 7186.

même à les traduire devant des commissions militaires, s'ils sont pris les armes à la main (art. 1);

Il spécifie divers cas où l'on est considéré comme ayant porté les armes contre l'empereur (art. 2);

Il déclare ces dispositions applicables aux Français, lors même qu'ils seraient naturalisés en pays étranger (art. 3):

Il établit un mode particulier de procéder contre les personnes de la seconde et de la troisième catégorie, et prononce contre elles, tantôt la peine de mort avec confiscation, tantôt la mort civile également avec confisca

tion.

Le décret du 26 août 1811 a un objet plus général : Fintention qu'il annonce, c'est, en considérant l'expatriation relativement au droit politique et à l'ordre général de l'état, de compléter la législation sur la naturalisation des Français en pays étranger, ou leur entrée au service d'une puissance étrangère.

A cet égard son point de vue est entièrement différent de celui du Code civil. En effet, le législateur n'a vu dans la naturalisation en pays étranger que l'abdication de la qualité de Français par l'acquisition d'une qualité incompatible. En conséquence, le Français qui use ainsi de sa liberté naturelle n'est l'objet d'aucune rigueur; le territoire même ne lui est pas interdit, sauf le cas particulier de l'article 21; et pourvu qu'il ne porte pas les armes contre sa patrie, il ne diffère d'un autre étranger que par la faveur de l'origine, qui permet a lui et à ses enfants de recouvrer la qualité perdue plus facilement qu'un étranger ordinaire ne pourrait l'acquérir (art. 10 et 18).

Mais l'auteur des décrets voit dans l'abandon de la patrie un fait coupable, à moins que, commandé par

des motifs légitimes, il ne soit autorisé par le chef de l'état.

Partant de cette idée, il veut que la faveur de l'origine survive à l'expatriation autorisée, et se fasse sentir pendant la durée même de l'expatriation par la réserve des droits civils les plus importants.

Mais au contraire, il entend punir le Français déserteur, et il ne lui suffit pas de le traiter alors comme un simple étranger.

Ainsi le principe du décret est qu'il est défendu à tout Français de se faire naturaliser en pays étranger sans autorisation

Cela posé, le décret règle diversement les effets de la naturalisation autorisée et ceux de la naturalisation non autorisée.

Le Français naturalisé avec autorisation conserve personnellement, et indépendamment de l'application que peut recevoir l'article 11 aux membres de sa nou velle patrie, le droit de posséder, de transmettre et de succéder; quant à ses enfants nés dans le pays étranger', ils sont étrangers; mais outre le bénéfice de l'article 10, qui comme de raison leur est réservé, ils jouissent de l'avantage de recueillir en France tous les droits ouverts pendant leur minorité et dans les dix ans de leur majorité.

Au contraire, le Français naturalisé sans autorisation encourt la perte de ses biens qui sont confisqués.

Il est privé, à plus forte raison, du droit de succéder (art. 6), et perd en général tous les droits civils (art. 7);

1 Entendez ceux qui sont conçus depuis la naturalisation, car ceux qui étaient conçus auparavant sont Français d'origine (V. €) civ. art. 10).

il est déchu de ses titres de noblesse et des dotations qui peuvent y être attachées (art. 8 et 9); exclu des ordres, il n'en peut plus porter les décorations (art. 10). Enfin le territoire lui est interdit; s'il y est trouvé, il est reconduit à la frontière; et, en cas de récidive, condamné les tribunaux à une détention de un à dix ans (art. 11).

par

Ce sont là des peines dont on ne peut être affranchi que par des lettres de relief, accordées dans la même forme que des lettres de grâce (art. 12). Quant à la manière de les encourir, il semble que ce soit de plein droit, et par le seul fait de la naturalisation non autorisée; du moins ou ne voit pas que la perte des biens et la confiscation soient subordonnées à aucune intervention de la justice; et quant aux déchéances et incapacités, leur application n'est assujettie qu'à une simple constatation par la cour du dernier domicile du prévenu, à la diligence du procureur général, ou sur la requête de la partie intéressée, sans que rien indique même la nécessité d'entendre ou d'appeler le prévenu (art. 7).

Ces rigueurs sont appliquées au cas même de la naturalisation antérieure à la publication du décret, si, dans un délai gradué suivant les distances et qui varie de un an à cinq ans, l'autorisation n'est pas obtenue 1; toutefois, après l'expiration du délai, il peut être accordé des lettres de relief de déchéance (art. 14-16).

Le même décret établit, sous les mêmes peines, la

1 Ce délai a été prorogé d'une année à compter du jour de son expiration, par le décret du 31 juillet 1812 (IV, B. 444-8180) ; il l'a été depuis jusqu'au 1 janvier 1814, D. 13 août 1813 (IV, B. 5179523).

'L'entrée au service étranger sans permission étant assimilée

nécessité de se pourvoir d'autorisation pour entrer au service d'une puissance étrangère, ou pour y demeurer si l'on y est déjà; il détermine en outre les réserves sous lesquelles cette autorisation peut être accordée (art. 17-26).

Au surplus, le décret renouvelle formellement pour les Français naturalisés, avec ou sans autorisation, la défense de porter les armes contre la France, sous les peines établies par le Code pénal (art. 5 et 13).

Et à l'égard des Français entrés, avec ou sans autorisation, au service d'une puissance étrangère, et qui y resteraient en temps de guerre, il renvoie au décret de 1809, dont il ordonne de nouveau l'exécution, mais seulement pour tous les articles qui ne sont ni abrogés ni modifiés par le nouveau décret (art. 18, 25 et 27).

A la seule lecture de ces décrets, on ne sait ce qui doit le plus surprendre, ou d'une pareille accumulation

à la naturalisation non autorisée (art. 25), il en résulte que l'article 12 sur les lettres de relief est applicable à ce cas. Par ce moyen le Français qui, sans autorisation du roi, aurait pris du service militaire chez l'étranger, pourrait, contre le prescrit de l'article 21 du Code civil, recouvrer la qualité de Français, sans remplir les conditions imposées à l'étranger pour devenir citoyen.

1 Ces termes donnent à entendre que certaines dispositions du décret de 1809 sont abrogées par celui de 1811. Cette abrogation, qui ne peut s'appliquer qu'au cas prévu par les deux décrets, de Français au service d'une puissance étrangère, consiste évidemment en ce que les peines qui, aux termes du décret de 1809 (art. 2, 19, 22), étaient encourues pour le seul fait de n'être pas rentré en France lors de la survenance des hostilités, ne doivent plus l'être qu'autant que le Français sera resté au service (D. 1811, art. 18, 25 et 27). Ainsi on évitera ces peines même sans rentrer en France, pourvu que l'on quitte le service étranger. Ce qui est un notable adoucissement. Mais cet adoucissement ne s'applique pas au cas où il y a décret de rappel.

« PreviousContinue »